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Histoire de Marie-Antoinette, Volume 2 (of 2)

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La Reine ébauche un plan.—En quoi il consiste; pas d'action immédiate; des négociations seulement.—Lettre du 8 juillet à Fersen.—Hostilité de la Reine contre les émigrés.—Mauvaise attitude d'un certain nombre de ces derniers contre Marie-Antoinette.—Froideur de Léopold à l'égard des Princes.—Déclaration de Pillnitz.—Sa vraie portée.—Comment elle est jugée par la Reine.—Lettre du 12 septembre à Mercy.—Cruelle situation de Marie-Antoinette.

Mais si Marie-Antoinette n'adoptait pas les idées des Constitutionnels, si elle n'acceptait pas non plus celles des émigrés, que prétendait-elle donc, et quel était son plan? Ce plan, à la date où nous sommes arrivés, n'était et ne pouvait être encore qu'ébauché. Après l'échec de Varennes, qui avait dérouté si complètement des projets arrêtés et mûris, il fallait un certain temps à la Reine, prisonnière et isolée de ses amis, pour recueillir ses esprits, étudier une ligne de conduite et combiner les débris de l'organisation précédemment élaborée avec les exigences nouvelles de la situation. Une lettre du 8 juillet, à Fersen, donne cependant la première pensée et comme les premiers traits de ce plan qui a été longtemps ignoré, mais que des publications récentes permettent de reconstituer avec une certaine précision. Ce à quoi le Roi et la Reine tenaient avant tout, ce qu'ils recommandaient avec la dernière énergie, c'est qu'on n'eût pas recours à la force.

«Le Roi pense, écrivait Marie-Antoinette, le 8 juillet, que c'est par la voie des négociations seules que leur secours,—des Puissances étrangères,—pourrait être utile à lui et à son royaume; que la démonstration de forces ne doit être que secondaire, et si l'on se refusait ici à toute voie de négociation.

«Le Roi pense que la force ouverte, même après une première déclaration, serait d'un danger incalculable, non seulement pour lui et sa famille, mais pour tous les Français qui, dans l'intérieur du royaume, ne pensent pas dans le sens de la Révolution. Il n'y a pas de doute qu'une force étrangère ne parvienne à rentrer en France; mais le peuple, armé comme il l'est, en fuyant les frontières et les troupes du dehors, se servirait dans l'instant de leurs armes contre ceux de leurs concitoyens que, depuis deux ans, on ne cesse de leur faire regarder comme leurs ennemis.

«..... On doit regarder tout ce qui s'est fait depuis deux ans comme nul quant à la volonté du Roi, mais impossible à changer, tant que la grande majorité de la nation sera pour les nouveautés. C'est à faire changer cet esprit qu'il faut faire tourner toute notre application.

«Résumé: Il désire que la captivité du Roi soit bien constatée et bien connue des Puissances étrangères; il désire que la bonne volonté de ses parents, amis et alliés et des autres souverains qui voudraient y concourir, se manifestât par une manière de Congrès où on employât la voie des négociations; bien entendu qu'il y eût une force imposante pour les soutenir, mais toujours assez en arrière pour ne pas provoquer au crime et au massacre [773]

Il est facile de voir, par ce simple aperçu, combien ce plan différait de celui des Constitutionnels, qui voulaient l'inaction des Puissances; combien plus encore il différait de celui des émigrés, qui, eux, voulaient une entrée en campagne immédiate. C'était à ce dernier projet surtout que la Reine était le plus énergiquement opposée. Toutes ses lettres à l'Empereur, à Mercy, à Fersen, lettres intimes et lettres officieuses, sinon officielles, sont remplies d'instances pour qu'on retienne les émigrés, pour qu'on les réduise à l'inaction, sinon à l'impuissance. Sa méfiance contre les chefs des émigrés, son antipathie surtout contre Calonne, dont l'appel près du comte d'Artois lui avait semblé une sorte d'insulte personnelle [774], et quelle voyait triomphant et plus actif que jamais, semblait s'être accrue de l'humiliation de son échec. Elle s'était accrue surtout des nouvelles qu'elle recevait de Coblentz, du peu de cas que les meneurs de l'émigration faisaient de l'autorité du Roi, et du peu de respect qu'ils avaient pour sa personne. Elle ne pouvait guère ignorer en effet qu'à Bruxelles et à Coblentz on traitait mal ses plus dévoués serviteurs, comme Breteuil, le maréchal de Castries, M. d'Agoût [775], qu'on ne la traitait guère mieux elle-même, et qu'il avait fallu un certain courage à M. de Vaudreuil pour la défendre contre des récriminations ardentes [776]; qu'on opposait hautement le parti du comte d'Artois à celui de la Reine [777], et que certains émigrés avaient poussé l'inconvenance jusqu'à se réjouir publiquement de son arrestation [778]. N'avait-on pas été jusqu'à dire à Coblentz que «le Roi, lorsque ses frères lui auraient rendu la couronne, ne pourrait jamais, sous aucun prétexte et dans aucun cas, renvoyer un des ministres qui faisaient partie du Conseil nommé par les Princes, sans l'aveu et le consentement des autres membres de ce Conseil [779]?» Non pas assurément que ces reproches d'ambition personnelle doivent s'étendre à tous les émigrés; le plus grand nombre n'avait été poussé à s'engager dans l'armée des Princes que par dévouement pour la famille royale et parce que, après Varennes, ils n'apercevaient pas d'autre moyen de la servir que là. Beaucoup de braves gentilshommes de province étaient accourus du fond de leurs campagnes, prêts à verser leur sang simplement, sans prétention, comme à Fontenoy, comme à Clostercamps, parce qu'ils voyaient là un devoir à remplir, et que, dans leur loyal enthousiasme, combattre pour le Roi, c'était toujours combattre pour la France: politiques à courtes vues peut-être, mais serviteurs au cœur large et au dévouement sans bornes. Pour eux, suivant le mot heureux de Mme Swetchine, «le royalisme, c'était le patriotisme simplifié [780]

Mais il faut malheureusement convenir que certains chefs de l'émigration, les meneurs, ceux qui donnaient le ton à Coblentz, «ces talons-rouges et ces têtes folles,» comme les appelait, avec un certain dédain, le cardinal de Bernis [781], n'avaient pas des vues si désintéressées, ni de si naïfs calculs. C'était leur cause autant que celle du Roi qu'ils soutenaient; c'était leur pouvoir, plus encore que celui du Roi, qu'ils prétendaient défendre et perpétuer, quel que fût d'ailleurs le souverain régnant, que ce fût, comme l'avait écrit Gustave III à Stedingk, Louis XVI, Louis XVII ou Charles X [782]. Dès 1790, un émigré, le baron de Castelnau, «un des plus instruits et des plus loyaux,» suivant Mounier [783], n'avait-il pas dit, à Vienne, que «quand même, au milieu d'une contre-révolution, le Roi, la Reine et leurs enfants seraient sacrifiés, le comte d'Artois resterait, et que la monarchie serait sauvée [784]?» Cela n'était-il pas plus vrai maintenant que, outre le comte d'Artois, il y avait, hors de France, Monsieur, héritier présomptif de la couronne après le Dauphin?

Qui pourrait dire que cette perspective d'un changement dans la personne royale ne fût pas entrée dans les visées de quelque personnage, non pas sans doute des frères du Roi, malgré les méfiances de Marie-Antoinette contre le comte de Provence, mais du moins de certains de leurs conseillers, qui espéraient avoir près des Princes plus d'influence qu'ils n'en auraient jamais auprès du Roi et en face de la Reine?

Mme de Bombelles avait donc raison d'écrire que «le peu d'égards qu'ils,—les Princes,—ont eu pour la Reine ferait toujours redouter leur empire à cette dernière [785]». Et l'on conçoit que la malheureuse princesse, instruite de cette attitude, se soit écriée un jour avec colère: «Ils se croient des héros! Que feront ces héros, même avec leur roi de Suède?» Et qu'une autre fois, dans un moment d'amertume et d'abandon, elle se soit laissée aller à dire: «Si mes frères parvenaient à nous rendre quelques services, la reconnaissance en serait bien pesante, et nous aurions ces maîtres-là de plus, qui seraient les plus gênants et les plus impérieux [786]

La raison politique était donc d'accord avec le ressentiment de la souveraine outragée et de la femme offensée, pour lui faire repousser le concours armé des émigrés.

«Il est essentiel, écrivait-elle à Mercy, le 7 août, il est essentiel qu'on contienne les Princes et les Français qui sont au dehors. Je crains tout de la tête de Calonne, et une seule fausse démarche perdrait tout [787]

Le 16 août, elle est plus pressante encore. Pourquoi se fierait-elle aux Princes? Ils n'ont aucun moyen sérieux, ils ne feront rien de bon; ils ne peuvent que nuire.

«Et si même, ce qui n'est pas à présumer, ils ont un avantage réel, nous retomberions sous leurs agents dans un esclavage nouveau et pis que le premier, puisque, ayant l'air de leur devoir quelque chose, nous ne pourrions pas nous en tirer. Ils nous le prouvent déjà en refusant de s'entendre avec les personnes qui ont notre confiance, sous le prétexte qu'ils n'ont pas la leur, tandis qu'ils veulent nous forcer à nous livrer à M. de Calonne qui, sous tous les rapports, ne peut pas nous convenir, et qui, je le crains bien, ne suit en tout ceci que son ambition, ses haines particulières et sa légèreté ordinaire, en croyant toujours possible et fait tout ce qu'il désire. Je crois même qu'il ne peut que faire tort à mes frères, qui, s'ils n'agissaient que d'après leur cœur seul, seraient sûrement parfaits pour nous [788]

Mais quoi! Ignore-t-elle les mauvais propos qui se tiennent contre elle à Coblentz? Ne songe-t-on pas à proclamer Monsieur régent, le comte d'Artois, lieutenant général du royaume? On veut annihiler le Roi, après l'avoir privé de ses défenseurs. Car ne sont-ce pas ces perpétuels appels à l'émigration qui ont créé autour des souverains captifs un isolement sous lequel ils succombent, et qui la force elle, à s'abaisser et à dissimuler? Et, se révoltant à cette pensée, sentant son courroux grandir, et sa tête bouillonner, la Reine rouvre sa lettre le 21 août, pour y revenir encore dans les termes les plus formels et les plus durs sur la nécessité de repousser le concours des émigrés:

«Il est essentiel que les Français, mais surtout les frères du Roi, restent en arrière, et que les Puissances réunies agissent seules. Aucune prière, aucun raisonnement de notre part ne l'obtiendra d'eux; il faut que l'Empereur l'exige; c'est la seule manière dont il puisse, mais surtout à moi, me rendre service. Vous connaissez par vous-même les mauvais propos et les mauvaises intentions des émigrants. Les lâches! Après nous avoir abandonnés, ils veulent exiger que seuls nous nous exposions et que seuls nous servions tous leurs intérêts. Je n'accuse pas les frères du Roi, je crois leurs cœurs et leurs intentions purs; mais ils sont entourés et menés par des ambitieux, qui les perdront, après nous avoir perdus les premiers [789]

Le 26, avant le départ de cette lettre, nouvelles instances: «Il est essentiel que, pour conditions, il—l'Empereur—exige que les frères du Roi et tous les Français, mais surtout ces premiers, restent en arrière et ne se montrent pas [790]

L'Empereur d'ailleurs était très naturellement porté à donner satisfaction à ces désirs de sa sœur. Il n'avait pour les émigrés ni confiance, ni sympathie. Dès le 6 juillet, il s'était adressé aux Électeurs de Trèves et de Cologne, pour les engager à empêcher les Français réfugiés de faire un coup de tête [791], et le 30 du même mois, il écrivait à sa sœur Marie-Christine, gouvernante des Pays-Bas:

«Ne vous laissez induire à rien, et ne faites rien de ce que les Français et les Princes vous demanderont, hors des politesses et dîners, mais ni troupes ni argent. Je plains bien leur situation, et celle de tous les Français qui ont dû s'expatrier; mais ils ne pensent qu'à leurs idées romanesques et à leurs vengeances et intérêts personnels, croient que tout le monde doit se sacrifier pour eux et sont bien mal entourés [792].» «Dans toute cette affaire, écrivait-il un peu plus tard, je n'ai vu que la Reine et M. de Fersen et Bouillé qui parlent et entendent raison [793].» Lui-même ne voulait agir qu'avec «le parfait concours de toutes les Puissances [794]».

C'est dans ce but qu'il s'était ménagé une entrevue avec le Roi de Prusse. L'entrevue eut lieu en Saxe, à Pillnitz, le 25 août; le comte d'Artois s'y était rendu avec Calonne, au grand mécontentement de Léopold. La déclaration qui sortit de ces longues conférences entre l'Empereur, le Roi, leurs ministres, le Prince français et ses conseillers, est connue; il n'est pas inutile pourtant d'en reproduire le texte ici:

«Sa Majesté l'Empereur et Sa Majesté le Roi de Prusse, ayant entendu les désirs et les représentations de Monsieur et de M. le comte d'Artois, se déclarent conjointement qu'Elles regardent la situation où se trouve actuellement Sa Majesté le Roi de France comme un objet d'un intérêt commun à tous les souverains de l'Europe. Elles espèrent que cet intérêt ne peut manquer d'être reconnu par les Puissances dont le secours est réclamé; qu'en conséquence, Elles ne refuseront pas d'employer, avec leurs dites Majestés, les moyens les plus efficaces, relativement à leurs forces, pour mettre le Roi de France en état d'affermir dans la plus parfaite liberté les bases d'un gouvernement monarchique, également convenable aux droits des souverains et au bien-être de la nation française. Alors, et dans ce cas, leurs dites Majestés, l'Empereur et le Roi de Prusse, sont résolues d'agir promptement, d'un mutuel accord, avec les forces nécessaires pour obtenir le bien propre et commun. En attendant, Elles donneront à leurs troupes les ordres convenables, pour qu'elles soient à portée de se mettre en activité.»

A Pillnitz, le 27 août 1791.

Léopold, Frédéric-Guillaume.

Si menaçante que parût être cette déclaration, elle n'était, au fond, suivant l'expression de Mallet du Pan qu'«une comédie auguste [795]». Les cinq mots: Alors et dans ce cas, introduits par un des négociateurs autrichiens, Spielmann, dans la rédaction de l'acte, en avaient annulé toute la portée. Les souverains ne devaient agir que dans le cas d'un concours général des Puissances, et Léopold lui-même déclarait ce concours «bien difficile», sinon impossible [796]. Mais c'était une comédie singulièrement dangereuse. Tôt ou tard connu du public qui ne savait point les arrière-pensées et les dessous de cartes, le manifeste ne pouvait manquer de produire un double effet: exalter les espérances des émigrés, qui se croyaient soutenus, surexciter les passions des révolutionnaires, qui se supposaient menacés: de toutes façons donc, compromettre la sécurité de ceux qu'on prétendait sauver.

La Reine ne s'y trompa point: elle fut très mécontente de la déclaration de Pillnitz:

«On dit ici, écrivait-elle à Mercy, le 12 septembre, que, dans l'accord signé à Pillnitz, les deux Puissances s'engagent à ne jamais souffrir que la nouvelle Constitution française s'établisse. Il y a sûrement des points auxquels les Puissances ont le droit de s'opposer; mais, pour ce qui regarde les lois intérieures d'un pays, chacun est maître d'adopter dans le sien ce qui lui convient. Ils auraient donc tort de l'exiger, et tout le monde y reconnaîtrait l'intrigue des émigrants, ce qui ferait perdre tous les droits de leur bonne cause [797]

On nous objectera peut-être qu'il y a là une contradiction étrange et que la Reine, en sollicitant l'appui des Puissances, demandait, au fond, ce qu'elle repoussait par cette lettre, une intervention étrangère dans la Constitution intérieure du pays. Nous croyons que ce serait mal interpréter sa pensée. La Reine voulait que, grâce à l'attitude menaçante, à la pression même, si l'on veut, des Puissances, le Roi fût remis en liberté; c'était tout. Le Roi, une fois redevenu maître de ses actes, aurait seul décidé, avec les représentants de la nation, ce qu'il devait conserver, et ce qu'il devait rejeter d'une Constitution, dont les défauts étaient évidents, mais que, prisonnier dans Paris, il ne pouvait se refuser à sanctionner.

Et qu'on ne croie pas que ce fût sous l'influence de Barnave et des Lameth que Marie-Antoinette avait tracé les lignes si sages et si fermes que nous venons de citer. Non; cette lettre du 12 septembre est une lettre tout intime; c'est la protestation de son patriotisme, le cri de son cœur, le sentiment profond de sa dignité de Reine et de Française. Si l'on veut voir à quel point elle y ouvre son âme tout entière, qu'on continue la lettre jusqu'au bout, et qu'on lise ceci:

«Enfin, le sort en est jeté; il s'agit à présent de régler sa marche et sa conduite d'après les circonstances. Je voudrais bien que tout le monde réglât sa conduite d'après la mienne; mais, même dans notre intérieur, nous avons de grands obstacles et de grands combats à livrer. Plaignez-moi; je vous assure qu'il faut plus de courage à supporter mon état que si on se trouvait au milieu d'un combat; d'autant que je ne me suis guère trompée et que je ne vois que malheur dans le peu d'énergie des uns et dans la mauvaise volonté des autres. Mon Dieu! Est-il possible que, née avec du caractère et sentant si bien le sang qui coule dans mes veines, je sois destinée à passer mes jours dans un tel siècle et avec de tels hommes! Mais ne croyez pas pour cela que mon courage m'abandonne. Non pour moi, mais pour mon enfant, je me soutiendrai, et je remplirai jusqu'au bout ma longue et pénible carrière. Je ne vois plus ce que j'écris. Adieu! [798]»

Et elle écrivait, quelques jours après à Esterhazy, «qu'il ne fallait pas s'occuper de sa sûreté personnelle, mais seulement du salut de la France [799]

La France et son fils, c'était la double pensée qui la soutenait pendant ses jours d'accablement, et qui lui inspirait, suivant le mot du comte de Stedingk, «un courage égal à son infortune.»


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