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Le diable peint par lui-même

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CHAPITRE XIII.
DE CEUX QUI ONT EU LE COU TORDU PAR LE DIABLE; ET DE CEUX QUE LES DÉMONS ONT EMPORTÉS, ETC.

Felix criminibus nullus erit diù.

Ausone.

Fièvres, malheurs, conseils ne touchent point un fou;
Et le Diable à la fin vient lui tordre le cou.

Nous pourrions faire là-dessus un volume. Nous ne rapporterons que les traits les plus saillans.

—Il n'est pas besoin de dire ce qu'était Cham, troisième fils de Noé. Tout le monde sait qu'il inventa la magie et les divinations, ou plutôt, qu'il les perfectionna; car ces sciences infernales existaient avant le déluge, selon Alcimus-Avitus, saint Prosper, saint Augustin, et plusieurs autres pères de l'église[162]. On sait encore que Noé s'étant enivré, Cham le vit étendu dans une posture indécente, et alla faire là-dessus de mauvaises plaisanteries auprès de ses frères. Ceux-ci prirent la chose plus gravement, et couvrirent avec respect la nudité paternelle. Aussi furent-ils bénis de Noé quand il se réveilla. Les écrivains, qui parlent de cette aventure, disent que le patriarche donna sa malédiction à Cham pour son irrévérence. S'ils avaient consulté la Bible, ils auraient vu que Noé maudit seulement Chanaan, fils de Cham, suivant les admirables coutumes de nos anciens, qui punissaient les enfans des crimes de leur père[163].

[162] Alcimus-Avitus, qui a fait apparemment plus de recherches que les autres théologiens, place l'origine de la magie à la suite du péché originel, dans son poëme de Originali peccato; il range ensuite la magie parmi les plus gros péchés qui ont fait noyer le monde: poëme de Diluvio mundi, poematum, lib. 2 et 4.

[163] Maledixit ejus puero Chanaan, etc., Genes., cap. 9.

Mais tous les historiens ne racontent pas cette belle histoire de la même façon. Le prêtre Bérose dit que Cham était habile dans la magie et les enchantemens; qu'il n'aimait pas son père Noé, parce qu'il s'en voyait moins aimé que ses autres frères; et qu'un jour, ayant trouvé le vieux patriarche plein de vin, il s'en approcha doucement, toucha du doigt ses parties sexuelles, et les fit tomber par une force magique. Noé s'aperçut à son réveil qu'il était eunuque, et qu'il ne pouvait plus voir de femmes[164]… Le même antiquaire ajoute que Cham enseignait aux hommes cette doctrine abominable, qu'on pouvait se joindre charnellement avec sa mère, sa sœur, sa fille; qu'on ne devait pas même s'embarrasser de la différence des sexes; et que les animaux pouvaient servir en cas de besoin[165]… Ces monstruosités que Cham mettait en pratique, lui attirèrent enfin un châtiment terrible. Il fut emporté par le Diable, à la vue de ses disciples[166].

[164] Cum Noa pater madidus jaceret, illius virilia comprehendens, tacitèque submurmurans, carmine magico patri illusit, simul et illum sterilem perindè atque castratum effecit; neque deinceps Noa fæmellam aliquam fæcundare potuit.

[165] Berosi sacerdoti chaldaïci Antiquitatum, lib. III.

[166] Suidas, Lexicon, tom. Ier, édition de Kuster.

Il avait composé cent mille vers sur la magie, selon Suidas, et trois cent mille, selon le commissaire de la Marre[167]… Bérose prétend que Cham est le même que Zoroastre; et le moine Annius de Viterbe pense que cet impudique jeune homme pourrait bien être le Pan des anciens[168].

[167] Traité de la police, titre VII, chap. Ier.

[168] Comment. ad Berosi, lib. 3.—Wierius, de præstigiis, dit que Pan est le prince des démons incubes.

—En 1599, mourut Gabrielle d'Estrées, qui cherchait à épouser Henri IV. Elle était enceinte de son quatrième enfant, et se trouvait logée dans la maison de Zamet, fameux financier de ce temps, dont les richesses égalaient celles des plus grands seigneurs. Comme elle se promenait dans les jardins, elle fut frappée d'une apoplexie foudroyante. Le premier accès passé, on la porta chez madame de Sourdis sa tante. Elle eut une mauvaise nuit; et le lendemain elle éprouva d'affreuses convulsions qui la firent devenir toute noire; sa bouche se tourna jusque sur le derrière du cou; elle expira dans de grands tourmens et horriblement défigurée. On parla diversement de sa mort; quelques-uns l'attribuèrent à Dieu, qui n'avait point permis qu'une maîtresse fût élevée à la dignité d'épouse. Plusieurs chargèrent le Diable de cette œuvre charitable; on publia qu'il l'avait étranglée, pour prévenir le scandale et de grands troubles[169].

[169] M. Garinet, Histoire de la magie en France; branche des Bourbons.

—Un chanoine revenait, un peu avant l'aurore, d'un village où il avait commis le péché de fornication avec la femme d'un jeune paysan. Il lui fallait traverser un fleuve pour rentrer chez lui; il entra donc seul dans une barque de pêcheurs; et tout en ramant, il se mit à réciter les matines de la Vierge. Lorsqu'il fut au milieu du fleuve, comme il en était à ces mots de son office: Ave Maria, gratiâ plenâ, Dominus tecum, une grande troupe de démons fondit sur la barque et la renversa. Le chanoine coula à fond; et les démons, ouvrant la terre, emportèrent l'âme du fornicateur dans l'abîme.

Trois jours après, la sainte Vierge descendit, escortée par les anges, dans cette partie de l'enfer où le chanoine expiait ses crimes.—Pourquoi tourmentez-vous si injustement l'âme de mon serviteur, dit-elle aux démons?—Elle est à nous, répondirent-ils, puisque nous l'avons prise, tandis qu'elle était dans le péché.—Si l'on doit juger cet homme, selon ce qu'il faisait quand vous l'avez noyé, reprit Marie, il est à moi, puisqu'il chantait mes matines… En disant ces mots, elle dispersa les démons, fit rentrer l'âme du chanoine dans son corps; et, le prenant par la main, elle le tira du fleuve, et lui recommanda de vivre plus chastement[170].

[170] Claudii à Rotâ, in supplem. ad Legendam auream Jacobi de Voragine. Leg. 185. On trouvera, dans le chapitre de ceux qui nous ont rapporté des nouvelles de l'autre monde, quelques traits qui se rapprochent de celui-là. On en a déjà cité plusieurs de ce genre, dans le Dictionnaire infernal.

—Voici ce qui arriva, en l'année 1553, à Willissaw, petite ville du canton de Lucerne. Un joueur de profession, nommé Ulrich Schroter, se voyant malheureux au jeu, proférait des blasphèmes qui ne rendaient pas ses parties meilleures. Les assistans lui firent de vaines représentations; il jura que, s'il ne gagnait pas, dans la chance qui allait tourner, il jetterait sa dague contre un crucifix qui était sur la cheminée. Les menaces d'Ulrich n'épouvantèrent point celui dont il outrageait l'image; Ulrich perdit encore. Furieux, il se lève; il lance sa dague, qui s'évanouit; et aussitôt une troupe de diables tombe sur lui et l'enlève, avec un bruit si épouvantable, que toute la ville en fut ébranlée. Les judicieux historiens qui rapportent ce miracle, ajoutent qu'on ne le vit plus, et qu'il est avec les diables. Pour celui-là, il faut convenir qu'il le méritait bien[171].

[171] Bodin, Démonomanie, liv. 3, chap. 1er, après Job-Fincel et André-Muscule.

—Pierre-le-Vénérable raconte cette épouvantable histoire, dans son recueil de miracles: Un jour que le comte de Mâcon était dans son palais, entouré de sa noblesse et de ses gardes, un cavalier inconnu entra tout à coup; et, sans descendre de cheval, il ordonna au comte de le suivre, parce qu'il avait à lui parler. Le comte, entraîné par une puissance surnaturelle, se lève machinalement et suit l'étranger. Il trouve dans la cour un cheval préparé pour lui; il le monte; aussitôt les deux chevaux, le cavalier inconnu et le comte s'enlèvent dans les airs. Le comte s'aperçoit alors de son malheur; il pousse des cris déchirans; il implore de vains secours. Bientôt on le perd de vue; et toute la ville, qui venait de le voir enlever par le Diable, ne douta pas un instant qu'il ne se fût attiré cette fin terrible par ses excès et ses violences. C'était un homme qui opprimait les ecclésiastiques, qui pillait les provisions des couvens, qui chassait les chanoines de leurs églises, et jetait les moines à la porte des monastères[172].

[172] Petri venerabilis de miracul., lib. II, cap. 1. M. Garinet, histoire de la magie en France. Madame Gabrielle de P***, Histoire des fantômes et des Démons qui se sont montrés parmi les hommes.

—Une allemande avait contracté la gracieuse habitude de jurer et de dire des mots de corps-de-garde. Elle eut bientôt des imitatrices dans le pays, et il fallut un exemple pour arrêter le désordre. Un jour donc qu'elle prononçait vigoureusement ces paroles qui font frémir:—que le Diable m'emporte!… le Diable arriva aussitôt et l'emporta[173].

[173] Wierius, de prestigiis, lib. 2. Bodin, Démonomanie, lib. 3, chap. 1er.

—Le Diable, déguisé en avocat, plaidait une cause en Allemagne. Dans le cours des débats, la partie adverse, qu'on poursuivait pour avoir volé son hôte, jura qu'elle se donnait au Diable, si elle avait pris un sou. Le Diable, se voyant tout porté, quitte aussitôt le barreau, et emporte le menteur, qui se donnait à lui de si bonne grâce[174].

[174] Wierius, de prestigiis, lib. 2; ce trait est déjà rapporté dans le Dictionnaire infernal.

—Après avoir traîné ses fourberies et son charlatanisme dans l'Italie, la Grèce, l'Égypte, l'Angleterre, la France, etc., Cagliostro fut arrêté à Rome, et condamné, par la sainte inquisition, comme chef de franc-maçonnerie, et coupable de projets incendiaires contre l'état et la religion. La peine de mort, d'abord prononcée contre lui, fut commuée en une prison perpétuelle, par égard pour sa femme qui, lasse des friponneries et des bassesses de ce malheureux, avait eu elle-même la bassesse de le dénoncer.

C'était là que le Diable attendait Cagliostro. On le trouva un matin mort sur son lit; et les chercheurs de vérités miraculeuses, qui abondent encore dans notre Europe, découvrirent que Cagliostro avait eu le cou tordu par le Diable. (L'abbé Fiard n'a pas encore osé admettre cette supposition dans ses dogmes, parce qu'il place Cagliostro au nombre des plus fameux suppôts du Diable, et que l'enfer soutient ses amis…) On sait d'ailleurs que le Diable n'est pas maître de ses actions; qu'il ne fait qu'obéir quand il tue, et que Cagliostro était le plus abject des hommes, et le dernier des escrocs, si l'on en croit l'auteur italien qui a écrit sa vie.

—L'empereur Valens, gagné par les caresses de sa femme, qui était arienne, et séduit par l'évêque de Constantinople, fit une guerre ouverte aux catholiques, en faveur de la doctrine d'Arius. Il exila S. Athanase, S. Mélèce et plusieurs autres saints qui tenaient à l'église de Rome; il ordonna l'expulsion de tous les prêtres qui oseraient blâmer publiquement les opinions de l'empereur.

Le ciel fit plusieurs miracles pour réduire cet esprit indocile; Valens demeura dans l'endurcissement, ainsi qu'on va le voir. S. Basile ne pouvait se taire sur l'hérésie arienne, et il annonçait la vérité à qui voulait l'entendre. Valens le ménagea long-temps, par égard pour son âge et pour son grand mérite. Cependant, comme Basile s'obstinait à crier contre l'empereur, celui-ci se décida à signer l'exil du saint; et les trois plumes qu'il essaya se brisèrent entre ses doigts… Valens, saisi d'étonnement, déchira la pancarte, et laissa en repos le saint évêque. Mais ses yeux ne se désillèrent point… Il fit baptiser son fils par des prêtres ariens: le jeune prince mourut incontinent[175]; et son père ne se convertit pas encore…

[175] Les historiens ecclésiastiques rapportent cela comme un prodige. Si c'en est un, à quoi se fier maintenant? Le premier fils de Clovis mourut aussitôt après son baptême, et il était baptisé par des prêtres catholiques…

Valens croyait à la magie: il fit mourir tous les grands de l'empire, dont le nom commençait par Theod, à cause qu'un sorcier du temps lui avait prédit que le nom de son successeur commencerait par ces lettres[176]. Tant d'impiétés eurent un terme. Valens fut vaincu par les Goths, à qui il n'avait fait que du bien. Une main invisible le blessa sur le champ de bataille; et on le porta dans la cabane d'un paysan, où il eut le désagrément d'être brûlé dans sa cinquantième année.

[176] Il n'en eut pas moins Théodose pour successeur, celui-ci trouvant un chemin facile au trône, à la faveur de la prophétie.

Les nombreux ennemis de l'ange déchu lui attribuent encore ce trait; et de graves légendaires affirment que le Diable mit le feu à la cabane de sa propre griffe. Mais Lambertinus, et quelques autres historiens justifient le Diable de cette calomnie, puisqu'ils assurent que Valens fut brûlé vif, par ordre de Dieu, qui voulait faire un exemple du protecteur des ariens[177].

[177] Lambertini de Cruz-Houen, Theat. Hispaniæ, pag. 20.

—La très-mémorable histoire qui va suivre, nous apprend qu'il est bon d'avoir des amis partout. Elle prouvera encore que le Diable est sans force devant les gens de bien. Le roi Dagobert mourut à trente-six ans, consumé de débauches. Ce prince n'avait su vivre que dans les plus grands désordres; mais il avait bâti des églises, et enrichi les monastères. Aussitôt qu'il fut mort, un saint ermite, nommé Jean, qui s'était retiré dans une petite île, voisine des côtes de la Sicile, fut averti en songe de prier Dieu pour l'âme de Dagobert. S'étant donc mis en oraison, il vit sur la mer l'âme du roi de France enchaînée dans une barque, et des diables qui la rouaient de coups, en la conduisant vers la Sicile, où ils devaient la précipiter dans les gouffres de l'Etna. On ne sait pas si l'âme est, comme le corps, sensible au bâton et aux coups de poing; quoi qu'il en soit, le saint ermite Jean s'apitoya, parce que l'âme du roi Dagobert poussait des cris lamentables, appelant à son secours saint Denis, saint Maurice et saint Martin. Tout à coup le ciel tonna; les trois saints descendirent, revêtus d'habits lumineux, assis sur un nuage brillant, précédés des éclairs et de la foudre. Ils se jetèrent sur les malins esprits, leur enlevèrent cette pauvre âme, et, l'ayant placée sur un drap triangulaire qu'ils tenaient par les coins, ils l'emportèrent au ciel, en chantant des psaumes[178].

[178] Gesta Dagoberti regis, et M. Garinet: Histoire de la Magie en France, première race.—On trouve, dans ce dernier ouvrage, après la mort de Dagobert, la description de son mausolée, qui fut sculpté sous St. Louis. Voici les choses qui méritent le plus d'être remarquées: Parmi les quatre diables qui emmènent l'âme de Dagobert dans la barque, deux ont des oreilles d'ânes, décoration que le sculpteur aurait pu garder pour lui. Dans la bande du milieu, les deux anges qui accompagnent St. Denis, St. Maurice et St. Martin, apportent un bénitier et un goupillon pour exorciser les diables, comme s'il y avait de l'eau bénite dans le ciel, et comme si trois saints et deux anges ne pouvaient pas chasser quatre démons. On voit sur la troisième bande, le drap où voyage l'âme de Dagobert; la main du Père Éternel est étendue pour la saisir, pendant qu'un ange lui donne des coups d'encensoir… (Pages 27, 28 et 29.) Ce monument vient d'être reporté à St. Denis. Un architecte, qui se nomme, je crois, M. Debray, l'a fait scier en deux, pour donner aux amateurs le plaisir de voir à la fois le devant et le derrière.

—Un soldat, nommé Étienne, était affligé d'une maladie qui lui courbait tout le corps, et lui mettait pour ainsi dire la tête entre les jambes. Il faisait cependant son service, au grand divertissement de ses chefs, à qui il présentait les armes avec une grâce toute particulière. On lui conseilla d'aller prier devant l'image de la sainte Vierge, en le flattant d'une guérison certaine. Il y fut, et revint au camp droit comme un jonc.

Ce miracle eut lieu dans la Thrace. Les compagnons d'Étienne en furent si surpris, qu'ils en parlèrent bien vite à leur capitaine. Celui-ci en donna nouvelle au gouverneur, lequel fit conduire Étienne à Constantin-Copronyme, alors empereur d'Orient. Le monarque, peu touché du prodige, demanda au soldat s'il adorait les images; et celui-ci, tremblant de déplaire à son souverain, fut assez ingrat pour oublier le bienfait qu'il venait de recevoir. Il répondit qu'il était chrétien pur et non idolâtre.—En ce cas, ajouta l'empereur, je te fais centurion… Mais Étienne ne jouit pas long-temps du prix de son apostasie; il remontait à cheval pour retourner à son poste, quand le Diable parut, lui tordit le cou, et le rendit plus courbé, plus tortu, plus difforme qu'auparavant. On dit même qu'il l'étrangla[179].

[179] Niceph. Rerum Roman., lib. 22.—Damasc. orat. de imagin.—Mathæi Tympii præmia virtut. christian. imagin. colent. 13.

Celui-là aussi méritait bien sa peine; cependant Mathieu Tympius purge le Diable de cette mort, en disant que c'était une vengeance divine[180].

[180] Ultio divina, et ultrix Dei justitia, pag. 222.

—Carlostad, archidiacre de Wurtemberg, porta l'impiété jusqu'à nier la présence réelle de Jésus-Christ dans l'eucharistie, après avoir gagé avec Luther, le verre à la main, qu'il soutiendrait cette erreur. Il abolit la confession auriculaire, le précepte du jeûne, et l'abstinence des viandes. Il fut le premier prêtre qui se maria publiquement. Il permit aux moines de sortir de leurs monastères et de renoncer à leurs vœux[181], etc. Tant de désordres publics devaient subir une punition éclatante. C'est pourquoi le Diable reçut ordre d'exterminer Carlostad. On doit présumer qu'il obéit avec peine, puisque l'archidiacre de Wurtemberg était hérétique, et que tout hérétique est fils et camarade du Diable, comme dit George l'apôtre[182].

[181] Pluquet, Dictionnaire des Hérésies, tome Ier.

[182] Le tombeau des hérétiques, 3e partie.—Un peu plus loin, le même George l'apôtre, de très-spirituelle et charitable mémoire, dit que l'hérétique est pire que le Diable, comme il y a des fils qui valent moins que leur père. «Le Diable, ajoute-t-il, craint la sainte hostie, et l'hérétique s'en moque. Il craint le signe de la croix; l'hérétique ne s'en soucie, et est plus assuré que tous les diables. Le Diable cite la sainte Écriture sans la corrompre; l'hérétique la corrompt en la citant. Le Diable a cru la transsubstantiation, baillant des pierres à faire du pain à Jésus-Christ, et eux la nient, etc. Aussi tous les hérétiques seront damnés, aussi-bien que les Juifs, Turcs et Païens.» (Ce livre a été imprimé en 1597.)

Quoi qu'il en soit, voici ce que Mostrovius raconte: Le jour que Carlostad prononça son dernier sermon, un grand homme noir, à la figure triste et décomposée, entra dans le temple et vint s'asseoir en face du prédicateur. Carlostad l'aperçut et se troubla. Il dépêcha son sermon; et, au sortir de la chaire, il demanda si l'on connaissait l'homme noir qui venait d'entrer dans le temple. Mais cet homme avait déjà disparu, et personne ne l'avait vu que le prédicateur. Pendant que ceci se passait, le même fantôme noir était allé à la maison de Carlostad, et avait dit au plus jeune de ses fils:—Souviens-toi d'avertir ton père que je reviendrai dans trois jours, et qu'il se tienne prêt… Quand l'archidiacre rentra chez lui, son fils lui raconta l'apparition, et lui rapporta les paroles du spectre. Carlostad épouvanté se mit au lit; et, trois jours après, le Diable lui tordit le cou[183]. Cet événement eut lieu en l'année 1541, dans la ville de Bâle.

[183] Cette anecdote se trouve encore dans les écrits de Luther, et dans un livre assez plat, intitulé, la Babylone démasquée, ou Entretiens de deux dames hollandaises, sur la religion catholique-romaine, etc., page 226; édition de Pépie, rue St.-Jacques, à Paris, 1727.

—Amalaric, roi d'Espagne, étant tombé dans l'arianisme, se conduisit indignement envers les chrétiens fidèles. Il avait épousé la princesse Clotilde, sœur de Childebert roi de France. Cette pieuse reine n'approuvait point les hérésies de son mari: le barbare lui fit crever les yeux… Clotilde envoya à son frère un mouchoir teint de son sang; et Childebert furieux marcha aussitôt avec une armée contre Amalaric.

Mais la justice des hommes fut prévenue par la justice éternelle. Tandis qu'il s'avançait au-devant de Childebert, Amalaric fut percé d'un trait lancé par une main invisible. Quelques historiens regardent cette mort comme un ouvrage du Diable. En admettant cette supposition, on n'aurait pas le plus petit reproche à faire à l'ange déchu qui n'agissait là, ni sans motifs graves, ni sans ordres supérieurs. Mais les bons écrivains disent très-bien que le trait fut lancé d'en-haut, et de la main des vengeances divines; stupendum sanè divinæ vindictæ argumentum[184].

[184] Lambertini de Cruz-Houen, Theatrum regium Hispaniæ, ad annum 510.

—Une petite troupe de pieux cénobites regagnait de nuit le monastère. Ils arrivèrent au bord d'un grand fleuve, et s'arrêtèrent sur le gason pour se reposer un instant. Pendant qu'ils tuaient le temps et l'ennui, en contant des historiettes, ils entendirent plusieurs rameurs qui descendaient le fleuve avec une grande impétuosité. L'un des moines leur demanda qui ils étaient?—Nous sommes des démons, répondirent les rameurs; et nous emportons aux enfers l'âme d'Ébroïn, maire du palais, qui tyrannisa la France, et qui abandonna le monastère de Saint-Gal pour rentrer dans le monde… Les moines épouvantés s'écrièrent: Sancta Maria, ora pro nobis.—Vous faites bien d'invoquer sainte Marie, répliquèrent les démons; car nous allions vous noyer, pour vos débauches et votre babil. Les cénobites, sans entrer dans de plus longs colloques avec des gens qui rendaient si bien la justice, reprirent le chemin du couvent, et les Diables celui de l'enfer[185].

[185] Legenda aurea, Jac. de Voragine. Leg. 114.

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