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Le diable peint par lui-même

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CHAPITRE XXX.
LE DIABLE A CONFESSE.

Un prêtre, occupé à entendre, dans son église, les confessions de ceux de ses paroissiens qui voulaient faire leurs pâques, aperçut, parmi les pénitens, un inconnu jeune et robuste, qui attendait son tour pour se confesser aussi.

Après que tous les paroissiens furent expédiés[287], l'étranger s'approcha du confessionnal, se mit à genoux devant le prêtre, et commença sa confession; mais il raconta des péchés si énormes, il avoua tant d'homicides, tant de brigandages, tant de vols, tant de parjures, tant de blasphèmes, tant de fornications, et tant d'autres monstruosités qu'il disait avoir faites ou inspirées, que le prêtre, saisi d'horreur à l'idée d'une conscience si pleine, accablé d'ennui par une confession si longue, dit au pénitent inconnu:—Quand tu aurais vécu mille ans, tu aurais à peine eu le temps de commettre toutes ces abominations.

[287] Omnibus expeditis.

—J'ai plus de mille ans, répondit l'inconnu.—Qui es-tu donc, s'écria le prêtre épouvanté?—Hélas! répliqua le pénitent, je suis un de ces démons qui sont tombés avec Lucifer. Je ne vous ai dit là qu'une petite partie de mes fautes. Mais je vais vous conter le reste, si vous voulez m'entendre jusqu'au bout.—Et quel fruit espères-tu en tirer, demanda le prêtre?—J'ai vu plusieurs personnes venir à vous chargées de péchés, et s'en retourner pures, répondit le démon; j'ai remarqué que, malgré les plus grands crimes, vous aviez le pouvoir de leur donner la vie éternelle: l'espoir de participer à leur bonheur m'a séduit, et j'ai voulu faire comme eux.

—Eh bien! repartit le prêtre, si tu veux remplir sincèrement la pénitence que je vais t'imposer, toutes tes fautes te seront remises.—Si cette pénitence est supportable, dit le démon, je m'y soumettrai.—Elle sera très-douce, répondit le prêtre. Va, prosterne-toi, trois fois le jour, le visage contre terre, et dis ces seules paroles:

Dieu bon! Dieu créateur, qu'on bénit en tout lieu,
J'ai péché contre vous… Pardonnez-moi, grand Dieu!

—Je ne puis me résoudre à mettre la face en terre, répondit le Diable; c'est trop humiliant.—Monstre! s'écria le prêtre indigné, si ton orgueil te défend de t'abaisser devant ton maître, retire-toi donc… Et le Diable s'en alla[288]

[288] Cæsarii Heisterb. Miracul., lib. III, de confess., cap. 26.

Mais le dénoûment de cette belle histoire s'accorde trop mal avec la bonne intention du Diable, pour qu'on puisse y ajouter la moindre foi. Il y a d'ailleurs une foule de traits qui prouvent dans les démons plus d'humilité; et voici une anecdote où l'ange déchu se montre moins endurci; elle est du même auteur que la précédente.

Cæsarius d'Heisterbach lui-même se vante d'avoir assisté aux exorcismes d'une possédée, lesquels exorcismes furent assez remarquables par la circonstance suivante. Après qu'on eut interrogé le Diable sur divers sujets hétéroclites, on lui demanda s'il ne regrettait point son ancien état de gloire; et le Diable répondit:—«Qu'on élève, de la terre au ciel, une colonne de fer et de feu, armée de rasoirs et de lames tranchantes; qu'on me donne un corps de chair; qu'on me tire ensuite du haut en bas de cette colonne… je consens à endurer ce supplice jusqu'au jour du jugement dernier, pour regagner le ciel que j'ai perdu[289]…»

[289] Ejusdem, Cæsarii Heisterbach. illustrium miracul., lib. V, cap. 10.

A coup sûr, ce n'est pas là le langage d'un être qui refuse de se prosterner trois fois devant Dieu pour sortir de l'enfer…

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