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Madame d'Épone

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CHAPITRE XVI

La soirée fut triste ; décidément l'ébranlement nerveux de Berthe avait été grand ; elle ne put, malgré ses efforts, reprendre son entrain, et Raymond était l'homme du monde le plus incapable de cacher ou de surmonter un chagrin ; il fit sans sa bonne humeur accoutumée sa partie de bésigue avec sa belle-mère, qu'il ne trouvait pas, à son gré, assez inquiète de Berthe ; il aurait, lui, voulu faire venir immédiatement un médecin de Rouen, car l'avoir vue pleurer l'avait bouleversé ; jamais pareille chose n'était arrivée dans leur vie heureuse, et il en restait atterré. Berthe prolongea plus que d'habitude sa station auprès du lit de Sabine ; il avait fallu la consoler, elle aussi, et, tout en s'endormant, elle levait de temps en temps une petite main qu'elle passait doucement sur le visage de sa mère, pour s'assurer qu'il était bien sec. Enfin, la petite main vigilante retomba et resta immobile ; le sommeil complet était venu. Berthe posa longuement ses lèvres sur cette petite menotte, y cherchant l'apaisement à l'agitation douloureuse de son cœur, puis, doucement, elle se leva et descendit : mais elle n'alla pas s'asseoir à sa place habituelle. Le soir, au Grez, on laissait toutes les portes ouvertes sur le hall bien éclairé, et elle se mit à marcher de long en large dans la vaste pièce ; elle avait lu, elle avait relu le billet de Vincent ; rien dans ces lignes qui puisse l'effaroucher ; au contraire. Il l'assurait d'une affection toute de respect et de dévouement ; il implorait seulement sa confiance qui lui prouverait qu'il avait son pardon ; il le demandait, ce pardon, avec une humilité, une douceur, une tendresse passionnée ; mais pas un mot qui donnât au cœur de Berthe cette brûlante secousse qu'elle avait ressentie dans les bois de Lamarie. Elle était consolée, presque réconciliée avec elle-même, elle rêvait, elle pouvait rêver, sans remords, à cette amitié idéale qui ne déroberait rien à ses devoirs, et tout au fond de son cœur, dans cette lie qui repose au fond du meilleur, du plus pur, naissait un regret féroce de ne plus devoir entendre ces ardentes paroles, de ne plus échanger ces regards qui l'avaient laissée éperdue ; elle froissait la lettre avec une sorte de colère rancunière, pendant que du bout des lèvres elle se murmurait : « Il est bon, il est bon, il ne veut pas troubler mon repos », et la même voix perfide et tentatrice lui demandait s'il n'était pas des choses plus douces que le repos! Puis, de nouveau elle sentait la main de son enfant caressant son visage, et, soudain, la terreur de l'abîme passait sur son âme, une rougeur ardente couvrait ses joues, et elle cherchait des yeux Raymond et surtout sa mère ; elle était là, si belle dans le noble repos de son visage sérieux, si jeune encore avec ses cheveux magnifiques dont la lumière faisait miroiter les ondes noires ; elle était là, et bien qu'elle fût entourée de ses enfants, Berthe comprit qu'elle était bien seule ; nul cœur auquel elle pût s'ouvrir, car on ne confie pas ses peines à son enfant, on lui prend les siennes. Elle pensait aussi à son père, cherchant à se l'imaginer, se demandant comment il avait pu préférer une autre à cette créature admirable qui était sa mère ; elle avait comme l'épouvante d'être sa fille. Si elle allait lui ressembler! oh! non, ce serait trop horrible! Et comme pour s'engager vis-à-vis de ses devoirs, d'un mouvement du pouce elle pressait violemment son alliance sur son doigt, l'enfonçant dans la chair à laisser un sillon profond. Aussi noblement résolue, ce fut un long baiser qu'elle donna à sa mère en la quittant pour la nuit.

— Tu es tranquille, n'est-ce pas, ma fille?

— Oui, maman ; et elle ajouta plus bas : et toi aussi?

Alors, silencieusement, Mme d'Épone lui traça sur le front la petite croix qui était, dans son enfance, sa bénédiction du soir, et Berthe émue baisa cette main chérie, si puissante dans sa faiblesse.

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