Madame d'Épone
CHAPITRE XVII
Son dîner procurait à Mme Legay une agitation délicieuse ; elle était une de ces bourgeoises économes avec générosité, et elle ne comprenait pas, dès qu'on se mêlait de faire les choses, qu'on ne les fît pas bien ; elle n'avait jamais eu du monde à dîner, sans que ce monde fût content. Fine connaisseuse gastronomique, elle savait les meilleurs morceaux et où se les procurer, elle était au courant de toutes les spécialités, et ne marchandait pas, pour peu que la chose en valût la peine. Rien de médiocre ne paraissait sur sa table, et elle offrait à ses convives le meilleur en tout. Mais cela ne va pas sans des peines proportionnées, et, à la campagne, les difficultés se doublaient.
Depuis huit jours, Mme Legay ne pensait pas à autre chose, et Céleste, qu'elle initiait à ses préoccupations, savait, à n'en pas douter, que rien ne s'obtient sans fatigue, surtout la perfection ; moins que cela ne contentait pas Mme Legay ; sa vaisselle, ses verres, son argenterie, son linge, tout devait atteindre un niveau dont elle était seule juge. Mme de Canillac feignait de rire, et racontait qu'à l'Abbaye on ne se préoccupait pas ainsi ; mais, malgré l'admiration extrême de Mme Legay pour la douairière de Canillac, elle sentait que ses dîners à elle avaient une autre tournure. Legay, qui n'était pas bon à grand'chose, avait le mérite de se connaître en vins, et sa cave était au rang de ses premières sollicitudes depuis plus de vingt-cinq ans.
Si le cœur de Mme Legay battait pendant l'après-midi du dimanche, jour de son dîner, ce n'était pas d'inquiétude gastronomique ; elle ne laissait rien à l'imprévu et se trouvait en conséquence assurée du succès ; mais elle savait l'effet d'un repas comme celui qu'elle allait offrir, et combien il rend les hommes doux et bienveillants. Elle pensait à Céleste et à Vincent, elle avait tout combiné pour le séduire et le charmer : le prestige de Mme de Canillac aidant, pourquoi ne réussirait-elle pas? Tout dans la vie n'est-il pas dans l'occasion? Celle-ci était parfaite ; le jeune homme voulait se marier, Mme de Comballaz, du moins, l'assurait, pourquoi n'épouserait-il pas une de ses filles dont la distinction… Mme Legay se sentait aussi impeccable sous le rapport de la distinction que sous celui de la cuisine.
Mme de Canillac s'était enfermée chez elle de bonne heure afin de paraître avec tous ses avantages et d'avoir le plaisir d'écraser ses sœurs ; elle s'était prêtée de bonne grâce aux confidences de sa mère, car jamais elle ne s'était plus agréablement trouvée d'être Mme de Canillac. Débarrassée de son mari et de sa belle-mère, jouissant d'une parfaite liberté et dans des conditions qui ne pouvaient être mal jugées par personne, c'était l'idéal. Elle se promettait toutes sortes de succès pour le soir, bien résolue que les hommes seraient pour elle, sans exception.
Ces rêves agréables furent interrompus, de la façon la plus inattendue et la moins désirée, par l'arrivée en personne d'Antonin. Il s'était rappelé, tout à coup, que sa belle-mère avait un dîner ce jour-là, que la cave de son beau-père était remarquable, et qu'un jour de bonheur conjugal le changerait agréablement. Il était persuadé de faire une surprise charmante, et présenta à sa femme un visage d'amoureux qui est absolument sûr de son accueil. Dans son extrême contrariété elle n'eut que la ressource de feindre une terreur qu'elle n'éprouvait nullement.
— Qu'y avait-il? Qu'était-il arrivé?
Il la rassura avec la délicatesse de sa nature et des caresses de charretier dont elle dut paraître très flattée.
— Méchant homme, pourquoi ne pas avoir écrit?
— Parce que j'espère bien que je suis toujours attendu.
— Le fat! Non, on ne vous attendait pas. As-tu vu maman?
— Pas encore ; mais je la connais, belle-maman : elle adore son petit gendre.
Mme Legay accourait pour recevoir ce cher gendre. Elle l'accueillit avec toute la cordialité possible, quoiqu'elle regrettât extrêmement sa venue, le connaissant peut-être mieux qu'elle n'aimait se l'avouer ; mais une fois qu'il était là, il fallait en tirer le meilleur parti possible et le mettre dans les intérêts de la famille. Elle lui dit discrètement quelques mots de ses projets :
— Bonne idée, et ça prend?
— Je n'ai pas le droit de me plaindre.
— Allons, tant mieux, on chauffera l'affaire ; j'aime mieux Suzanne ; mais Céleste est gentille aussi.
Céleste nourrissait une douce haine contre son beau-frère dont les grossières plaisanteries la mettaient au martyre ; elle regarda sa venue comme un désastre.
Mme Legay eut à rétablir l'ordre de ses places, et ce fut une affaire ; en attendant, elle fit valoir, même devant les domestiques, l'empressement touchant de son gendre, et, à sept heures, le gendre, soigneusement habillé, coiffé et rasé par le valet de chambre dont la mission de confiance consistait à le rendre présentable, prenait place à côté de son beau-père devant la cheminée vide du grand salon, prêt à accueillir les arrivants.
On fut très exact, et, à sept heures et demie, Mme Legay avait le bonheur de s'asseoir à sa grande table avec le marquis de Fontanieu à sa droite et le comte de Rollo à sa gauche ; Mme de Rollo était entre Vincent et M. de Comballaz, qui était là en garçon, Mme de Comballaz ayant refusé pour tenir compagnie à sa mère, comme Mme d'Épone l'avait fait sous prétexte de garder Sabine. La droite de M. Legay n'avait rien de divertissant pour Mme Le Barrage ; mais elle avait, de l'autre côté, le joli lieutenant d'Ancenis, qui n'interrompait pas ses déclarations. Céleste, l'air modeste, était assise entre M. de Mottelon et son beau-frère, qui montra, dès le potage, une disposition à être loquace, qu'aucun regard tendre de sa femme ne put modérer. Les domestiques, à l'Abbaye, avaient, à son sujet, des ordres particuliers pour les vins, et, quoique Lupin, son valet de chambre, eût été ajouté au service pour le surveiller sans en avoir l'air, il parut bientôt qu'il allait boire plus qu'il n'aurait fallu. La bonne chère préparée par Mme Legay eut l'effet sur lequel elle avait compté. Dès le potage, qui était quelque chose d'inédit et d'exquis, les langues se dénouèrent.
Les Fontanieu étaient partout les boute-en-train, la petite marquise ne trouvant de forces, pour l'accomplissement de ses devoirs maternels, qu'en les oubliant le plus souvent possible, et sa gaieté plongea Canillac dans l'admiration. Avec sa taille fine, sa coiffure à la chinoise, son petit nez relevé, elle avait l'air d'une jeune fille, et son air candide donnait une drôlerie nouvelle à ses propos qui se préoccupaient fort peu de la présence des demoiselles. « Puisqu'elles sont là, tant pis. » Le gros Comballaz, tout rouge, luisant et jubilant, lui donnait joyeusement la réplique, et l'œil de M. Legay, auprès de cette piquante femme, s'allumait de petites lueurs égrillardes. Rollo, mis en joie aussi, répondait aux agaceries de Mme de Canillac, dont le pied frôlait de temps en temps, par hasard, le sien. L'aînée des demoiselles de La Vergne écoutait, en pouffant et lui ordonnant de se taire, les grosses farces de Canillac, et Céleste répondait des monosyllabes attendris aux politesses de Vincent.
M. Legay s'exaltait à mesure qu'on célébrait ses vins, et il donnait généreusement le signal de la récidive. Tous les hommes, sauf Vincent et le petit d'Ancenis, mangeaient comme des gens qui auraient passé leur vie dans les privations. L'air s'épaississait du fumet de tous ces plats, de l'arôme de tous ces vins.
Rien n'était plus facile à Vincent que de parler librement à sa voisine, et, la frôlant sans la toucher, assez près pour qu'elle eût le sentiment qu'il était là, il reprit les points de sa lettre, à voix brève, coupant ses phrases, mais se sentant écouté. Elle n'avait la force que de répondre oui, reprise d'une façon inouïe par sa présence et par le plaisir mortel qu'elle éprouvait à l'entendre et à le voir. Le moindre mot avait, sur les lèvres de Vincent, l'air d'une caresse, chaque inflexion de sa voix lui allait au cœur ; il causait avec elle doucement, sans effort, faisant parfois prendre part à Céleste dans leur entretien, sans lui ôter ce qu'il avait d'intime, tant Berthe avait le sentiment que chaque mot était pour elle. Canillac, les yeux ternes, les regardait souvent, se demandant laquelle des deux lui plaisait mieux : la petite marquise en noir ou la belle comtesse en blanc ; ce fut Berthe qui l'emporta et, dès après le rôti, il ne cessa d'arrêter sur elle ses yeux insolents ; elle en eut comme un malaise, et Mme de Fontanieu, qui voyait tout, apercevant chez son cousin ce regard de bête de proie, se mit à l'interpeller pour faire diversion.
Mme Legay avait tellement l'œil aux assiettes de ses convives, qu'elle ne fit pas attention avec quelle rapidité les verres de son gendre se vidaient et se remplissaient. Céleste, qui le voyait avec terreur, cherchait en vain à attirer l'attention de sa sœur pour lui faire un signe ; mais Mme de Canillac, tout occupée à tourner la tête à ses deux voisins, n'avait d'yeux que pour eux, avec de temps en temps un regard à Vincent.
Le dîner s'acheva dans une gaieté et une cordialité exubérantes ; tout le monde parlait à la fois ; on commençait à dépouiller la corbeille de fleurs qui ornait la table, et, à l'échancrure du corsage ouvert de Mme de Canillac, il y avait deux roses, l'une donnée par Rollo, l'autre par Le Barrage.
Rollo ne se gênait nullement pour faire sa petite cour, ne voyant là qu'une politesse de plus et l'accomplissement d'une partie du programme ; il s'amusait de bon cœur. Berthe paraissait absolument remise de sa secousse, et il était repris tout entier par les projets de la fête qu'il allait donner au Grez ; il écoutait avec enthousiasme Mme de Canillac qui lui proposait d'éclairer le parc.
L'apothéose de Mme Legay eut une fin ; elle fut longue à arriver, mais elle arriva et, à regret, elle donna le signal de se lever de table. Les hommes, mis en gaieté, jetèrent leurs serviettes avec cet air triomphal qui est coutumier en ces occasions ; les bras s'arrondirent, les sourires s'échangèrent et, lentement, on s'écoula dans le salon.
Vincent ne disait rien à sa voisine en la reconduisant, vraiment ému et vraiment heureux de sentir sa main fine trembler un peu sur son bras. Avant de lui rendre sa liberté, il la pressa d'une étreinte légère et discrète, qui pouvait fort bien être interprétée comme une simple marque d'amitié.
M. Legay, tout monté et gaillard, emmena aussitôt les hommes fumer sous la vérandah ; elle s'ouvrait et devant le grand salon et devant la petite pièce baptisée du nom de cabinet de travail, où le maître de la maison était habituellement relégué, mais où sa femme lui permettait de conserver d'excellents cigares pour offrir aux autres, et il se mit à en faire les honneurs avec une joie d'enfant.
Canillac s'était d'abord approché de sa femme ; mais ce qu'elle avait lu dans son lourd regard ne lui avait pas plu sans doute, car, de son air le plus doux et le plus impératif, elle lui avait dit, en se saisissant gentiment de ses mains et les balançant avec les siennes comme font les enfants :
— Allez fumer dehors, Antonin ; il fait trop chaud ici.
Et, par habitude, il avait obéi. Rollo était déjà étendu dans un fauteuil à bascule, savourant avec une muette béatitude cet état d'âme qui suit un excellent dîner suivi lui-même d'un excellent cigare. Mme Le Barrage, qui ne voulait jamais avoir le démenti sur quoi que ce soit, s'était jointe à ces Messieurs pour fumer, elle aussi, une petite cigarette que d'Ancenis lui offrait. Gracieusement assise sur la balustrade, appuyée à une colonnette fleurie de glycine et de vigne vierge, la tête enveloppée d'un voile de dentelle blanche, elle pouvait fort bien, à cette lumière incertaine, avoir vingt-cinq ans ; et tout dans sa pose était si naturel et gracieux à la fois que l'adoration de d'Ancenis paraissait on ne peut plus justifiée.
Canillac les regardait tout en mâchonnant un gros cigare ; il finit par s'asseoir à côté de Vincent, qui restait silencieux, et par lui dire :
— J'ai été gentil, ce soir?
Vincent, étonné, ne répondit pas.
Canillac continua :
— Je n'ai pas dérangé vos petites affaires pendant le dîner.
Et comme Vincent feignait de ne pas entendre :
— Je ne parle pas de la petite, quoiqu'on m'ait mis dans la confidence, mais de l'autre. Mâtin, la belle femme! et elle vous gobe, j'ai vu tout de suite, moi ; compliments, mon cher.
Vincent s'était levé ; Rollo était à dix pas d'eux et pouvait les entendre ; il s'approcha de sa sœur et lui dit rapidement :
— Canillac est gris.
— C'est son habitude.
— Oui, mais il dit des insanités, il faut le museler.
Mme Le Barrage avait compris ; elle regarda son frère, elle regarda Rollo et, sautant à terre :
— Tiens, ma cigarette est éteinte, Monsieur de Canillac!
Il fut près d'elle en un clin d'œil.
— Donnez-moi du feu, s'il vous plaît.
Il eut frotté une allumette en une seconde et il la lui présenta avec l'air d'un complice. Elle fit prendre lentement sa cigarette, supportant, sans le moindre trouble, d'être dévisagée. Vincent avait jeté son cigare et était entré au salon ; Rollo se balançait toujours. Mme Le Barrage s'assit sur un des canapés d'osier garni de larges coussins de cretonne, et du plat de sa main gauche indiqua à Canillac une place à côte d'elle :
— Mettez-vous là.
Et de son petit pied rapprochant une chaise :
— Et vous, d'Ancenis, ici ; puis, riant : Maintenant, amusez-moi.
Le gros Canillac éclatait de satisfaction ; il ne faisait pas peur à Mme Le Barrage ; elle se moquait de ses inconvenances et savait l'intimider, tout en paraissant extrêmement familière. Il n'y avait que Vincent au monde pour lui faire s'infliger un être de cette espèce ; de temps en temps, il se levait pour aller prendre sur une table un verre de liqueur, et de sa main molle, qui tremblait toujours, se versait de l'eau-de-vie. Pendant un de ces voyages, il donna un coup d'œil au salon : Vincent était assis en face de Mme de Fontanieu et de Berthe. Alors, touchant le coude de Rollo et clignant de l'œil, il lui montra le groupe, ajoutant :
— Hein, il est pincé ; faut avoir l'œil ouvert, mon garçon.
Raymond leva vers son interlocuteur un visage ahuri et furieux ; mais Le Barrage, qui avait entendu, l'arrêta d'un mot :
— Vous ne voyez donc pas l'état où il est? Vous devez avoir mal à la tête, Canillac?
— Moi, pas du tout.
Et il retourna s'asseoir à côté de Mme Le Barrage, qui était en train de se demander avec d'Ancenis par quel procédé on pourrait les débarrasser de cette brute. Il se renversa sur le dossier du canapé et se mit à parler avec volubilité, soudain s'arrêtant et se marmottant quelque chose à lui-même.
Pendant ce temps, M. Le Barrage, très galamment, se rapprocha de Mme de Canillac, et, avec une familiarité aisée, la faisant lever et la menant à distance des autres :
— J'ai quelque chose à vous dire.
— Quoi donc?
— Ayez l'œil sur votre mari, il est en train de dire des sottises.
— A qui?
— A tout le monde et à personne.
Mme de Canillac cligna ses petits yeux et, feignant de sourire :
— Le méchant garçon, on va l'envoyer coucher.
Et tout doucement elle arriva sur la vérandah de la mine de quelqu'un qui vient s'occuper de ses hâtes ; elle donna un coup d'œil à la table sur laquelle étaient placées les tasses et les liqueurs, dit quelques mots aimablement à son père, puis, toujours causant et badinant, elle se rapprocha de Mme Le Barrage.
Antonin n'était pas bon dans ses demi-ivresses, il fronça le front en voyant paraître sa femme, et la regarda comme il regardait sa malheureuse mère, lorsque, le visage plaintif, elle venait tenter de l'arracher à son vice.
Mais Suzanne s'y prenait autrement : elle aurait voulu tuer son mari en cet instant, et lui souriait d'une façon charmante ; elle s'assit et d'une voix caressante :
— Et moi, Antonin, me donnerez-vous une cigarette?
Enchanté, il ouvrit son étui et lui en offrit une.
— Allumez-la-moi.
Il la mit entre ses lèvres, l'alluma à son cigare et la lui passa, se penchant vers elle de très près.
— Allons, Monsieur, soyez sage. Et, avec la plus grande tranquillité, se versant à elle-même un verre d'anisette, elle laissa son mari reprendre de l'eau-de-vie ; il la but lentement, sans remarquer que Mme Le Barrage s'était levée pour rentrer au salon ; et, tout en fumant son cigare très fort, il commençait à s'assoupir.
Sa femme le regardait sans lui parler. Peu à peu, ses paupières s'abaissèrent dans un affaissement de brute, sa tête retomba sur son épaule ; il dormait. Elle savait qu'il en avait pour longtemps ; elle entendit le bruit du piano auquel Mme de Fontanieu s'était assise, ce qui avait été le signal, pour les hommes, d'abandonner la vérandah. A son tour, elle se leva, passa par le cabinet de son père, fit appeler Lupin, et lui donna quelques ordres ; la bête malfaisante était désarmée pour le moment ; mais un fiel affreux remplissait le cœur de la jeune femme ; elle en voulait à mort à toutes celles qui n'avaient pas acheté une position et un nom au prix où elle avait payé le sien ; elle les détestait pour leur bonheur, pour leur sécurité et même pour leur bonté, car elle sentait parfois une sorte de compassion dans les amitiés qu'on lui faisait. Elle croyait qu'en ce moment même on parlait d'elle et qu'on la plaignait, sans se douter que chez toutes ces femmes le tact d'une éducation parfaite leur faisait, sans la moindre entente, ignorer l'existence même de M. de Canillac.
On riait aux éclats quand elle reparut le visage content, le cœur en furie. Mme de Fontanieu, avec un brio étourdissant, chantait romance après romance, imitant les divas à la mode, et stupéfiant la correcte Mme Legay. Berthe, incapable de prendre part à cette sorte de gaîté, s'était un peu éloignée des autres, regardant par les fenêtres ouvertes la pâle lumière des étoiles, envahie par le charme pénétrant de cette nuit d'été, sentant sans les voir les regards ardents des yeux de Vincent et subissant sans lutter l'enivrement involontaire de sa présence. De temps en temps un rire bruyant la réveillait et la ramenait à la réalité ; mais, au milieu des conversations, elle n'entendait qu'une voix ; pendant que la voiture roulait l'emportant au Grez, elle l'entendait encore et comme, contre son habitude, Raymond resta silencieux, rien ne vint rompre le charme dangereux qui l'avait ressaisie.