Madame d'Épone
CHAPITRE II
En entrant dans le vestibule du Grez, M. de Rollo, qui donnait le bras à sa belle-mère, s'arrêta et avec emphase lui souhaita de nouveau la bienvenue et l'embrassa, puis il se mit à redire à haute voix aux domestiques empressés des ordres déjà donnés dix fois, et parvint par la multiplicité de ses commandements à prêter à l'arrivée de Mme d'Épone cet air de confusion qui, selon lui, ajoutait au prestige de cet événement de famille. Mme de Rollo, suivie de la petite Sabine, avait monté en courant l'escalier, pour revoir encore une fois la chambre de sa mère avant qu'elle en franchît le seuil ; elle l'y reçut avec moins de démonstrations, mais avec une effusion égale. Sabine courait de la fenêtre à la porte, poussant les chaises et les tables.
— C'est moi qui a mis les fleurs, mémé ; et, pour le prouver, elle serrait sur sa petite poitrine plusieurs vases à la fois, au risque de les laisser tomber.
— Oui, mon trésor, elles sont bien jolies ; prends garde de ne rien casser.
Alors, Sabine, très rouge et émue, se mit à marcher sur la pointe des pieds et reposa délicatement ce dont elle s'était emparée avec un courage qui soudain l'abandonnait.
C'était une délicieuse petite créature avec ses cheveux réunis en touffes sur le haut de sa tête et retombant en boucles d'un or argenté sur son front blanc ; toute rose et potelée, elle semblait avoir partout des fossettes : aux joues, aux épaules, sur ses petits coudes tout ronds. Avec cela des mouvements d'oiseau et des yeux délicieusement langoureux sous leurs cils noirs. Mme d'Épone la regardait avec délice, puis regardait sa fille, ne sachant, dans son cœur de mère qui ignore l'égoïsme, ce qui la réjouissait le plus : que cette enfant lui appartînt ou qu'elle fût l'enfant de sa fille.
— Sabine est bien sage? demanda-t-elle, pour justifier une nouvelle expansion.
— Oh oui! mémé, dit la petite sans attendre d'autre réponse, je sais deux fables, n'est-ce pas, maman?
— Mais oui, Chonchon, tu sais deux fables, tu les diras à ta grand'mère, tout à l'heure.
Et, pendant que celle-ci s'asseyait pour jouir de cette première sensation exquise, — être arrivée, — la petite venait se blottir contre elle, avec le manège d'un poussin qui veut se cacher sous l'aile de sa mère, et elle ne parut se trouver bien que lorsque Mme d'Épone, l'enveloppant de ses deux bras, eut presque couvert son visage.
Pendant ce temps, on entendait la voix de commandement de M. de Rollo, qui guidait les hommes occupés à monter les bagages.
— Ce pauvre Raymond se donne bien du mal! ne put s'empêcher de dire sa belle-mère.
— Mais non, maman ; tu sais, il aime bien les arrivées, et la tienne surtout.
— Cher Raymond!
Mme d'Épone avait pour lui une tendresse presque égale à celle qu'elle portait à sa fille : elle lui était si reconnaissante de réaliser ses rêves pour elle. Aussi, quand il entra, la mine affairée et satisfaite, annonçant que tout était en place, évidemment ravi d'un résultat qui aurait pu être douteux à en juger par sa satisfaction, Mme d'Épone l'appela à elle et, lui prenant les deux mains :
— Je ne vous ai pas encore bien regardé, Raymond ; et, arrêtant sur son visage le regard de ses beaux yeux bruns : Très bonne mine, je suis satisfaite.
— Et de Sabine, ma mère, êtes-vous contente? répondit Raymond en s'emparant de l'enfant et en l'asseyant à son tour sur ses genoux ; et, lui prenant la tête dans sa main droite, il tourna le petit visage en pleine lumière.
— Oui, Raymond, très contente, et de ma chère Berthe aussi. Le Grez est mon paradis, voyez-vous.
— Vous êtes bien bonne, dit Raymond, vraiment ému, trop bonne ; on tâchera que vous soyez heureuse dans votre paradis ; vous savez que nous sommes des gens très gais maintenant. Nos voisins de Lamarie nous ont envahis ; nous avons un tennis ; vous verrez comme je suis beau en costume de tennis ; pas vrai, Chonchon, que papa est beau dans sa veste blanche?
— Oui, dit Chonchon, et M. de Mottelon aussi, et le capitaine aussi.
Dans sa justice, Chonchon tenait à faire la part de chacun ; les parties de tennis étaient sa joie ; on lui permettait d'y assister, et lorsque les balles s'égaraient, c'est elle qui courait les chercher, et comme M. de Mottelon et le capitaine lui prodiguaient plus de remerciements que papa, elle avait un sentiment proportionné de leur mérite.
— J'ai été enchantée de savoir cela, Raymond ; il est bon à la campagne d'avoir la ressource d'agréables voisins.
— Ces Mottelons sont charmants, je vous assure, et on les apprécie quand on les connaît. Mme Le Barrage adore ma femme ; c'est une grande ressource pour Berthe. Aussi j'encourage leurs visites ; ils ont la bonté de se déranger très souvent pour nous ; il paraît qu'on se trouve bien au Grez. Ils dînent tous ici demain.
— Cela ne te contrarie pas, maman? demanda Mme de Rollo, qui rentrait après avoir donné un coup d'œil silencieux aux effets de sa mère.
— Non, au contraire, ma chérie, mais je vais m'en aller si tu as des idées pareilles. Raymond me dit que tu trouves en Mme Le Barrage une grande ressource.
— C'est vrai, et sa sœur aussi est excellente, malgré ses manies.
— Et le frère? car il y a un frère, n'est-ce pas?
— Parfaitement, dit Rollo : Vincent de Mottelon, un homme charmant, qui a été partout, plein d'esprit ; c'est une acquisition pour nous.
— J'en suis bien aise, en vérité.
Le son de la grosse cloche qui annonçait la demi-heure de grâce avant le dîner les fit se lever tous à la fois.