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L'inquiète adolescence

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V

Le P. Nicklaus était assis sur une chaise de paille. Auprès de lui un prie-Dieu pour les pénitents. Le parquet soigneusement ciré luisait sous la lumière blanche que tamisaient les rideaux. Au mur, un crucifix, une photographie de Léon XIII, un bénitier avec une branche de buis sèche.

Le visage jaunissant du Père se détachait entre la soutane noire et le mur blanchi à la chaux. Les yeux se fermaient à demi sous le lorgnon, laissant filtrer un regard très doux et très aigu qui me pénétra comme une lame, dès mon entrée dans la pièce. Je me dirigeai vers le prie-Dieu et me mis à genoux. Le Père posa sa main sur mon épaule.

Dans cette chambre austère, il me semblait tout à coup être transporté à des milliers de lieues du collège et du monde. J’avais soigneusement préparé ma confession et tout en observant une scrupuleuse exactitude dans mon examen de conscience, je concevais quelque vanité d’exposer à un homme aussi réputé que le P. Nicklaus les raffinements de mes états d’âme et mes critiques quant au dogme. Le jésuite ne me considérerait certes pas comme un pénitent ordinaire. Les questions que je lui poserais lui montreraient ma subtilité d’intelligence. Et voici qu’à peine introduit dans cette cellule j’oubliais tout. Ce regard qui s’attachait sur moi perçait jusqu’au fond de mon cœur. Je n’osais le soutenir, tant l’impression de ma nudité morale était pénible. Cet homme connaissait mes élans, mes rêves, mes désespoirs. Comme tout cela devait lui paraître misérable, mesquin ! Je m’humiliai, et, pour cacher ma confusion, j’enfouis mon visage dans mes mains.

Il les écarta doucement.

— Mon enfant, me dit-il, avant que je vous écoute en confesseur, voulez-vous que nous parlions en amis ?

Sa voix n’est plus celle que j’ai entendue à la chapelle, voix d’orateur ou de comédien, si souple, si chaude.

Il parle bas. C’est un souffle qui glisse entre ses lèvres minces, à peine entr’ouvertes.

— Demurs, Paul Demurs, n’est-ce pas ? Je connais vos parents. Eh bien, Paul, en quelle classe êtes-vous ?

— En première, mon Père.

— Nous disions autrefois en rhétorique ! Et vous suivez l’enseignement classique : latin, grec ?

— Oui, mon Père.

J’ajoute, déjà prêt aux confidences :

— Je n’ai de goût que pour les lettres.

Le Père sourit. Il s’en doutait.

— Elles sont l’ornement de notre vie. Mais il ne faut pas chercher dans les livres une simple délectation de l’esprit. Le jeu de l’intelligence est un jeu aussi vain et plus dangereux que les grossiers divertissements de la multitude. Si Dieu vous a fait le don si précieux de discerner et d’aimer la beauté dans les œuvres des hommes, n’en mésusez pas. Souvenez-vous que Dieu est le Beau suprême et que tout ce qui ne le reflète pas est mensonge, faux brillant, fruit plein de cendre.

Il s’arrêta. Une pendule marquait l’heure dans le silence blanc. Une boiserie craqua.

— Vous aimez beaucoup la lecture ? reprit-il.

— Oui, mon Père. Passionnément !

— Quel mot dans votre bouche, mon enfant ! J’espère que vous le prononcez sans en connaître encore le sens.

Je balbutiai :

— C’est-à-dire, mon Père… C’est mon plus grand plaisir, voilà…

— Bien, bien…

Son regard était d’une impénétrable douceur.

— Et que lisez-vous de préférence ?

— Les poètes.

— Virgile ? Horace ?… Non, on ne sait plus le latin aujourd’hui. Racine, sans doute ?…

— Lamartine.

— Lamartine ! Oui, il a écrit le Crucifix. Il lui sera beaucoup pardonné, car il a beaucoup aimé. Mais je redoute pour vous cette influence, mon enfant. La poésie de Lamartine est bien souvent inspirée par des attachements impurs. Le plus grave, c’est que cette impureté s’y dissimule sous les apparences les plus nobles, que la passion (il insista sur ce mot) s’y exprime avec des accents célestes, que l’amour de la créature, amour coupable et désordonné, s’y exalte au point d’égaler en ferveur les débordements de l’amour divin. Oui, confusion bien dangereuse, pour vous…

Sa voix traîne un peu sur le « vous ». Il remit sur mon épaule la main qu’il avait retirée tout à l’heure.

J’éprouvai un sentiment étrange au contact de ce prêtre immobile dans sa robe noire, de cet inconnu dont les paroles trouvaient en moi une résonance si profonde. De nouveau, la différence m’apparut entre le personnage qui, la veille encore, déclamait dans la chaire et ce confesseur attentif dont je devinais que, lui aussi, il avait dû traverser tant de choses mystérieuses, se pencher sur tant d’êtres, écouter tant de confidences. Et comme il devait bien parler aux femmes ! Bizarre association, je songeai à Lortal. La voix du Père avait un pouvoir semblable, un pouvoir d’envoûtement. Monotone, elle vous enveloppait d’une torpeur attendrie où les larmes étaient prêtes à jaillir. Elle ouvrait les portes d’un monde où la charité et le repentir s’épanchent comme des sources. Celle de Lortal aussi ouvrait un monde… un autre. Je m’abandonnai à cette caresse intérieure.

— Oui, mon enfant, disait le Père, je ne vous ai vu que quelques instants et cependant je vous connais. J’ai pénétré le fond de votre cœur. Il est pur, ce cœur ; il est vibrant et généreux ; il s’ouvre à tous les appels ; il voudrait contenir le monde ; il voudrait battre à se rompre, épuiser toute la force de son sang. Il vous semble que vous n’aimerez jamais assez, ni assez fort, ni assez d’êtres. Vous portez en vous le besoin de vous donner. Vous allez comme le lévite qui marche à l’offrande et présente les corbeilles, votre cœur nu exposé sur vos mains. Mon pauvre enfant, que de dangers vous menacent sur la route !

Il a deviné cette force qui me travaille ; il a exprimé l’indéfinissable qui vit en moi. J’éprouve un orgueil qu’il ait lu tout cela. En même temps, il m’attendrit sur moi-même. Et je suis là, dans ses mains, docile, prêt à tous les aveux…

— Avez-vous toujours été très pieux ?

— Je crois que oui, mon Père. Autrefois, si j’avais de la peine, je me réfugiais toujours à la chapelle.

— Dieu était pour vous un ami. Vous lui parliez. Il vous répondait. Votre premier ami, n’est-ce pas ? En avez-vous eu d’autres ? Non. Rien que des camarades ? Vous ne vous confiez à personne… C’est de l’orgueil, cela. Une cause de votre tristesse. Les humbles sont joyeux. Mais Dieu n’est-il plus une consolation pour vous ?

Je n’ose répondre.

— Dites moi tout, Paul, car je puis tout entendre. Il vous semble parfois que Dieu s’éloigne de votre cœur, qu’il remonte là-haut, dans les lieux inaccessibles. Lui parti, il ne reste en vous que froideur, inquiétude, désespoir peut-être. L’acedia, disaient les Pères.

Je baisse la tête.

— Je m’en doutais. C’est un grand signe que de s’ennuyer de Dieu — peut-être même un signe d’élection, ajouta-t-il avec une inflexion insinuante.

— Et votre foi, votre foi d’enfant ? La foi de votre première communion, l’avez-vous gardée ? Avez-vous des doutes ? Votre raison vous tend-elle des pièges ? Avez-vous perdu la certitude du cœur ?

— Non, mon Père. Mais il se fait de grands changements en moi-même. Je ne les comprends pas bien. Autrefois, je priais et je trouvais l’apaisement. J’étais un enfant, aussitôt bercé, aussitôt consolé. Je ne désirais pas autre chose que cette paix. La discipline elle-même ne m’était pas pénible. Aujourd’hui…

— Parlez sans crainte.

— Aujourd’hui, — pardonnez-moi si je blasphème, — la prière ne me satisfait plus. Je suis inquiet, altéré de choses lointaines. J’étouffe dans ces murs où j’ai vécu. Il me semble qu’il y a au delà un univers plein de secrets et qui m’attend…

— Et plein d’amertume. Bientôt vous aborderez la vie et vous verrez, vous que Dieu a marqué pour être à part du troupeau. Vous verrez, quand vous serez parmi les hommes ! En attendant, l’esprit du monde s’empare de vous. Il vous éloigne de ce sanctuaire où vous veniez vous blottir près du Christ. Il suscite, dans la brume de votre imagination, des mirages : tout cela doit être à toi, murmure-t-il. Tout cela : poussière et cendre !

Il réfléchit ; puis, plus près de moi :

— Ne vous semble-t-il pas qu’il se lève en vous comme une force ? Si ! — Vous vous sentez vigoureux, avide, rayonnant d’énergie, prêt à forcer tous les vergers de la terre. Puis, le jour suivant, la force vous abandonne ; vous tombez dans une morne langueur ; un voile recouvre le monde. Non, il n’y aura rien pour vous des splendeurs entrevues ; vous ne serez jamais heureux, jamais aimé…

— Oh ! Oui, mon Père, jamais aimé, jamais aimé… m’écriai-je, bouleversé par une description aussi exacte.

Le Père sourit. Nous parlions presque joue à joue. Je distinguai chaque ride de son visage, les veines de ses tempes, tout le détail des traits : les lèvres minces, le nez busqué, le front large et barré de deux sillons. Une flamme brûle dans ses yeux, glisse entre les cils, comme la lueur d’une lampe à travers des persiennes bien closes.

Comme il est bon et douloureux de voir son âme mise à nu !

— Ces vacances, à la campagne, n’avez-vous pas découvert des choses inconnues ! N’avez-vous pas remarqué la tiédeur du vent, l’odeur de l’herbe, mille parfums, mille saveurs que vous ne soupçonniez pas autrefois ? — Oui, je ne me trompe pas. — Le visage caressé par la brise, froissant une feuille, une poignée d’herbe, c’était comme si la vie de la terre passait en vous !

Lointain, comme s’il se parlait à lui-même :

— L’éveil ! murmura-t-il… Ne vous venait-il pas alors des désirs étranges ? N’avez-vous jamais eu auprès de vous un ami ? N’avez-vous pas eu envie de prendre sa main ?

— Non, jamais, mon Père.

— Parlez-moi sincèrement. L’amour qui vous préoccupe tant, celui que vous cherchez dans vos poètes, celui que vous avez rêvé dans le silence des bois — la nature est si souvent complice de nos sens ! — cet amour qui vous paraît le but suprême de la vie, ce n’est plus, n’est-ce pas ? le sentiment si pur qui vous rapprochait de Dieu ? — Oh ! ne le niez pas ! Ce n’est plus le même ! Il n’y a plus de place pour Dieu seul dans votre cœur.

— Mon Père, je vous jure…

— Ne jurez pas, mon enfant. L’esprit du mal est très fort. Il revêt mille figures toutes plus séduisantes les unes que les autres. Il se dissimule dans les créations les plus éclatantes de Dieu ; il se cache dans les fleurs et dans les vers des poètes ; il nous tend une perpétuelle embûche. Il souille les plus beaux spectacles ; il nous empêche de dépasser les apparences terrestres. Ses poisons sont subtils et se glissent dans les souffles les plus embaumés. Mon enfant, le péché est partout. Mais le péché se fait un masque charmant. Le péché vous parle par la bouche d’un ami ; ses accents sont ceux de la tendresse et de l’amitié. N’en doutez pas. Ces appels qui vous semblent venir de l’inconnu, ce goût de vivre, vos mélancolies elles-mêmes et vos désespoirs : ce sont les mille voix du péché.

Il parlait bas. De plus en plus bas. Je sentais son souffle sur mon oreille.

— Le péché prend la forme de la femme. Oh ! certes, il est de pures amours, de saintes affections. Dieu bénira votre union, si plus tard vous êtes appelé à l’état du mariage. Mais le temps n’est pas venu d’y songer. Cet amour, qui tout entier allait vers Dieu, vous l’avez détourné vers ses créatures. Oh ! je vous crois pur, mon enfant, pur quant aux actes. Mais votre pensée a-t-elle évité toute souillure ? N’avez-vous pas cherché la clef de mystères avilissants ? Ce bien-être sensuel, que vous m’avez avoué sentir par bouffées, ne vous a-t-il jamais incité à imaginer d’autres plaisirs ? Je le crains ; je le crains. Vous vous êtes sans doute trouvé quelquefois auprès de femmes jeunes, agréables. N’éprouviez-vous pas quelque trouble ? Si. N’ayez pas honte, mon enfant, toutes ces faiblesses sont le propre de notre serve humanité. N’avez-vous pas souhaité toucher ces cheveux, ce visage, ces épaules ? N’avez-vous pas frémi au contact d’une main ? Et surtout n’avez-vous pas songé qu’il était possible de trouver avec une femme cette communion que vous ne trouviez plus avec Dieu ?

Sans résistance, j’ouvre mon cœur. J’avoue. J’avoue mes curiosités, mes désirs, mes rêves. J’avoue les livres lus en cachette, un portrait d’actrice conservé dans mon portefeuille, — des choses plus graves : comment, un soir, je suis resté dans un coin du salon, avec Nelly ; elle avait passé son bras autour de mon cou, et je sentais la tiédeur de sa peau sur ma nuque ; j’aurais tant voulu que cette soirée n’eût pas de fin ! J’avoue le baiser pris à Léa, le plaisir que me cause le parfum de Nourmahal. Voici mon Éden entr’ouvert ; le jardin secret de mon adolescence. Je parle. La main que le Père a laissée sur mon épaule fait courir en moi un fluide de confiance extraordinaire et mille troubles secrets dont je ne distinguais pas la nature, voici que je les analyse à l’oreille de cet inconnu, avec une précision passionnée.

Comme il m’écoute, le Père ! Il m’interroge les yeux baissés.

— Votre cousine, ce soir-là, avait mis son bras autour de votre cou. Était-ce une marque d’affection coutumière ?

— Oui et non, mon Père. Ce soir-là pour la première fois, j’y ai fait attention.

— Croyez-vous qu’elle ait remarqué votre trouble ?

— Je ne sais. Je ne crois pas. Je demeurais immobile, presque silencieux. J’étais si bien que je n’osais rien dire. Je n’avais jamais rien éprouvé de semblable. Si, peut-être, en me baignant dans la rivière, les soirs d’été… J’aurais voulu mourir. Et il me venait une grande tristesse, mais plus douce qu’aucune joie. Je ne savais pas pourquoi j’étais triste, mais pour rien au monde, je n’aurais voulu être autrement.

— Elle ne vous parlait pas ?

— Non. Nous écoutions de la musique.

— Est-elle beaucoup plus âgée que vous ?

— Cinq ans.

— Et vous ne désiriez rien de précis ; rester seulement auprès d’elle ?

— J’aurais voulu qu’elle me serrât très fort dans ses bras.

— Vous n’avez pas essayé de l’embrasser…

— Oh ! non.

— Loin d’elle, vous ne l’avez jamais imaginée dans des attitudes voluptueuses ? N’avez-vous pas songé à des rapprochements plus étroits ?…

Il semble hésiter.

— … physiques… des caresses ?… Des baisers ? Ne l’avez-vous pas rêvée dévêtue ? N’avez-vous pas péché en pensée, avec elle !…

Un silence. La croix d’argent que le Père tient dans sa main tinte contre un bouton de sa soutane.

L’envoûtement a cessé.

Quel est cet homme qui suit tous les mouvements de mon cœur, qui jouit de mon trouble ? Car il en jouit. Il jouit de mon adolescence ; il l’aspire entre ses lèvres minces ; il la caresse de sa main maigre. Se donne-t-il l’âcre plaisir de ressusciter sa jeunesse ?

Ou bien, est-ce pour mieux me briser qu’il profite de mon abandon ?

Mon cœur se referme. Il me paraît qu’on l’a voulu forcer. J’ai honte.

Le Père a-t-il deviné ce sursaut ? Il se redresse. Le voici dur, triomphant de ma faiblesse, de la sienne peut-être :

— Mon enfant, l’Ennemi se sert de la femme pour vous entraîner à l’abîme. La femme est l’amorce du Malin. Outre ses séductions naturelles, elle se sert, pour vous atteindre, de l’art, de la poésie, de cette beauté que vous croyez spirituelle et qui n’est que le prestige de vos sens. La femme rend captive l’âme de l’homme, a dit l’Écriture, et le Sage l’a jugée amère comme la mort. Elle vous écrasera la tête.

« Vous me disiez tout à l’heure qu’un rideau vous semblait se lever sur le monde. Mon enfant, ce que ce rideau va vous découvrir n’est qu’illusion, vains simulacres ! Si vous vous approchez pour les étreindre, vous n’embrasserez que cendre et que pourriture.

« Vous avez besoin d’aimer. Tout votre être appelle l’amour. Cette soif, vous ne l’apaiserez pas parmi les hommes. Les amis vous trahiront, la femme vous trahira. Les plus ardentes flammes s’éteignent vite. Je souhaite que Dieu vous épargne cette agonie de voir mourir ce que l’on a cru éternel. Cette communion que vous rêvez entre deux créatures ! Mensonge, folie. Au fond de toute passion, le doute, l’inquiétude, le remords. L’amour humain n’est qu’une haine déguisée.

« Ce royaume de délices, dont la perspective vous émeut dans le secret de votre cœur, vous en aurez vite parcouru tous les détours. Il ne vous restera qu’amertume. Vous connaîtrez ce qui demeure du plaisir : la honte. Le plaisir charnel souillera votre corps et votre esprit. Vous traînerez la volupté comme un boulet !

« Et même, s’il vous arrivait de trouver en une créature l’apaisement de votre cœur, songez que cette créature est périssable, que la mort la ronge lentement, comme vous, comme moi ; qu’elle vieillira, qu’elle se défera fibre par fibre entre vos bras impuissants. Un jour, c’est un squelette que vous presserez sur votre poitrine, une poignée d’ossements que vous étreindrez. La mort ! La mort partout ! Et vous, avide d’éternité…

« Vous n’êtes pas fait pour le monde. Dieu vous réserve à d’autres délices. Vous avez entrevu la lumière. Vous ne pourrez plus vous en passer. Rien ne rassasie plus qui a goûté le sang du Christ. L’infini vous a mordu. Mortifiez cette chair qui vous égare, cette chair vouée à la corruption. Rejetez de vous l’ami dont les paroles sont erreur, la femme dont le désir vous écarte de Dieu. Soyez impitoyable pour sauver votre âme : elle n’a pas de prix ! »


Le jésuite s’acharne. Son regard a perdu toute douceur. Il prêche. Il saccage l’Éden où s’est ébattue ma pensée et dont il ne reste, sous ses coups, que ruine et corruption. Il étale un suaire sur ce monde rêvé.

Sa parole s’adoucit. Il murmure, les mains jointes :

— Récitez le Confiteor !

....... .......... ...

Je suis sorti de la petite chambre, sans en emporter le repos, l’âme plus lourde encore d’inquiétude. Cet homme a meurtri mon cœur. Les souvenirs, les images que j’ai étalés devant lui, les vers des poètes aimés, le parfum des femmes qui ont passé près de moi, les paroles de Lortal, tout cela tourbillonne comme un nuage de fleurs d’amandier balayé par une rafale.

Dans le couloir, plusieurs élèves attendaient leur tour, agenouillés le long des murs plâtreux. J’aperçus la nuque blonde de Charles Jouvelin. Je m’approchai et je vis qu’il pleurait.

Lortal m’a dit en riant :

— Êtes-vous content de votre jésuite ? Moi, enchanté. Nous avons bavardé comme deux amis.

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