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La Perse, la Chaldée et la Susiane

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LE TIGRE A AMARA. (Voyez p. 634.)

CHAPITRE XXXVII

Départ de Bagdad.—A bord du Khalifè.—Arrivée à Amara.—Les chevaux de pur sang.—La colonie chrétienne d'Amara.—Une nuit de janvier dans le hor.—Les tribus nomades.—Tag Eïvan.—Imamzaddè Touïl.—Le campement de Kérim khan.

Amara, 1er janvier 1882.—Par quel souhait remplacerai-je aujourd'hui les vœux qui n'arriveront point, hélas, jusqu'à moi? Si je pouvais bientôt revoir ma belle France! Et cependant, avec une ténacité qui fait honneur au caractère de Marcel, nous avons formé le projet de pénétrer, coûte que coûte, en Susiane. Cette nouvelle tentative sera-t-elle plus heureuse que les précédentes? Le début de cette expédition est bien de nature à me décourager.

Désireux de passer quelques jours à Ctésiphon avant de dire adieu à la Mésopotamie, nous sommes sortis de Bagdad dans l'après-midi du 30 décembre. On semait les orges quand nous avons traversé la campagne. Aux terres cultivées succèdent un désert et une lande couverte de buissons noueux sous lesquels s'abritent des chèvres et des moutons; aux laboureurs, des nomades à l'œil inquiet et farouche. Bientôt apparaît le palais de Ctésiphon, s'enlevant en noir sur le fond pur du ciel. Les ombres de la nuit nous enveloppent; au loin les chacals glapissent la lugubre retraite du désert.

Deux jours nous ont suffi pour revoir les ruines et l'emplacement de la ville sassanide, suivre les remparts de sa rivale Séleucie, faire nos dévotions au tombeau de Soleïman le Pur et nous embarquer à bord du Khalifè, superbe bateau de la compagnie Linch, affecté au service du Tigre.

Comme le Mossoul, le Khalifè a tout son avant surchargé de pèlerins. En circulant au milieu des bagages de ces pauvres hères, j'ai remarqué un tapis qui avait échappé aux griffes rapaces des prêtres de Kerbéla: une vraie merveille aux teintes délicieuses, aux dessins délicats. Je saisis le propriétaire après une de ses oraisons et lui demande le prix de son tapis. A ses prétentions il est aisé de voir que la probité commerciale du disciple de Mahomet n'est pas à la hauteur de sa fervente piété, et je le quitte. A peine rentrée dans ma cabine: toc, toc; on frappe à la porte. C'est un autre pèlerin, il apporte sous son bras un objet soigneusement empaqueté.

«J'ai une affaire à vous proposer, me dit-il avec mystère, et il découvre une paire de bottes européennes, assez éculées pour avoir joué un rôle actif dans les voyages du Juif errant.

—Aurais-tu l'intention de me vendre cette chaussure?

—Pourquoi non? N'avez-vous pas proposé à Taghuy de lui acheter son tapis de prière? Mes bottes sont bien plus antiques.»

Le bonhomme s'est retiré fort surpris de me voir refuser une marchandise d'une vieillesse indiscutable et en somme difficile à se procurer en Mésopotamie.

Le lendemain de notre embarquement à Ctésiphon, le Khalifè a fait escale à Amara. La ville, de fondation récente, s'étend le long du fleuve, sur les bords d'un quai naturel si solide et si bien dressé qu'il suffit aux matelots de jeter un simple madrier pour mettre en communication avec la terre les cursives du paquebot. A peine ce léger pont est-il lancé que la foule se précipite à bord et envahit le Khalifè.

Nous nous étions réfugiés dans le salon et attendions, avant de débarquer, la fin de la tourmente, lorsqu'un Turc, vêtu de beaux habits et suivi de nombreux serviteurs, a demandé au capitaine la faveur d'un entretien particulier. Il ne s'agit pas de bottes ce coup-ci. L'œil brillant, l'extrémité de l'index dans la bouche, indice certain d'une ardente convoitise:

«Donne-moi, dit-il, deux bouteilles de ton excellent bordeaux.

—Qu'en veux-tu faire? Ne serais-tu pas un pieux musulman?

—L'eau de raisins ne m'est pas destinée: je possède une jument de pur sang; elle est malade, et le sorcier m'a conseillé de lui frictionner le ventre avec le meilleur vin du Faranguistan.»

Comment résister à une pareille demande? Le capitaine donne l'ordre d'apporter deux bouteilles de bordeaux, et le quémandeur, ne se fiant pas à la discrétion des domestiques, fait disparaître le trésor sous ses amples vêtements.

«Que le gouvernement anglais, dit-il plein de reconnaissance, soit grand après le gouvernement turc!

—Qu'est-ce à dire? s'écrie le commandant blessé dans son amour-propre national; oserais-tu mettre en parallèle ta patrie et la mienne?

—Non, reprend l'effendi d'un air contrit, j'ai souhaité seulement à l'Angleterre d'être aussi glorieuse et aussi puissante que la Turquie.»

Nous débarquons. La ville, créée, il y a à peine trente ans, au point où le Tigre dans ses nombreux méandres se rapproche le plus de la frontière persane, est dépourvue de ressources, et nous eussions été fort en peine, si le consul de Bagdad n'avait eu la prévoyance de nous recommander à un négociant chrétien. Notre hôte porte le nom de Jésus. Il a mis à notre disposition la plus belle pièce de sa maison, mais a vainement tenté de nous procurer des chevaux. Les rares habitants qui pourraient nous sortir d'embarras possèdent tous de superbes poulinières du Hedjaz, et ne consentiraient pas plus à déshonorer des bêtes de pur sang en posant sur leurs nobles reins un fardeau quelconque, qu'à les exposer à être prises par les Beni Laam, campés dans les déserts compris entre le Tigre et Dizfoul.

Si le Stud-book arabe n'est point imprimé sur vélin, il n'en est pas moins gravé au plus profond de la mémoire des nomades; tous savent par cœur l'arbre généalogique de chaque habitant de leur écurie et vouent à leurs juments surtout un attachement sans limite.

«Veux-tu ma fille?» disait dernièrement un chef de tribu au gouverneur d'Amara, qui lui avait rendu un service signalé, «elle est à toi; j'aime mieux te la donner et la doter de cent mille medjidiés que de me séparer de Samas, ma jument favorite.»

Un cheikh vient-il à perdre ses troupeaux dans une razzia et a-t-il besoin d'argent: il se refuse en général à vendre l'entière propriété de ses juments et cède le quart ou la moitié de la bête avec ou sans la bride, c'est-à-dire avec ou sans le droit de la monter. En même temps il se réserve la faculté de racheter la fraction aliénée. Si la jument met au monde un poulain, on le vend, et les copropriétaires se partagent le produit de l'affaire; si, au contraire, il naît une pouliche, le maître de la bride doit l'élever pendant une année et offrir au copropriétaire le choix entre la moitié de la mère et la fille tout entière. Ces transactions sont réglées par un véritable code, que les cheikhs arabes connaissent et interprètent avec justice.

Les nomades n'exigent pas de leurs chevaux une grande vitesse; ils ne sauraient utiliser cette qualité dans un pays sans routes, couvert de broussailles ou de marécages et dépourvu le plus souvent d'eau potable; mais en revanche ils demandent à leur monture de résister aux privations et à la fatigue, et de les transporter à de grandes distances, parfois sans boire ni manger. Certaines juments bien connues ont marché durant trois jours et trois nuits sans débrider et n'ont pas été atteintes de fourbure après une pareille course. Somme toute, deux bons yabous et quelques forts mulets feraient en ce moment bien mieux notre affaire que de nobles coursiers, impossibles d'ailleurs à se procurer.

3 janvier.—Le ciel est gris et maussade, la saison des pluies s'annonce comme très prochaine, la fièvre nous guette, et les jours se passent sans être utilisés.

4 janvier.—Hier soir, notre hôte, Jésus, vint nous demander s'il nous serait agréable de l'accompagner à l'office, célébré par un prêtre chaldéen dans une église bâtie aux frais de la colonie chrétienne d'Amara.

A la pointe du jour nous franchissons le seuil d'une salle étroite à peine haute de trois mètres. Cette pauvre chapelle, bâtie en torchis et couverte d'une terrasse de pisé portée sur des chevrons noueux, ne possède d'autre ouverture que la porte. Je passe au milieu d'une soixantaine de fidèles pieusement recueillis, puis je viens prendre place devant le plus pauvre des autels: il est en terre; la nappe, faite d'une indienne colorée, le dissimule à peine; une boîte peinte tient lieu de tabernacle. Dès notre arrivée les marguilliers se sont empressés d'allumer une vingtaine de bougies; un brillant éclairage est le luxe suprême de toutes les cérémonies religieuses ou profanes de l'Orient, et la messe chaldéenne a commencé, tantôt chantée par le prêtre, tantôt nasillée par les enfants, qui viennent soutenir aux moments solennels les voix plus graves des hommes, réunis au fond de l'église. Je n'ai point éprouvé pendant cette longue cérémonie l'impression de lassitude que l'on ressent dans nos églises de village; je me suis crue ramenée à bien des siècles en arrière, alors que la foi naïve était encore dans toute sa primitive ardeur, en ces temps de persécution où les néophytes se réunissaient pour prier derrière les murs épais d'une maison fidèle, ou invoquaient le Dieu tout-puissant sous les voûtes des catacombes. N'a-t-elle point, comme l'église naissante, surmonté des obstacles sans nombre, cette petite colonie chrétienne? Il y a un an encore, elle n'avait pas même de desservant. Les enfants naissaient, les morts s'en allaient en terre sans prière et sans bénédiction. A Pâques seulement elle était visitée par un Père carme de Mossoul ou de Bagdad, chargé de mettre ordre en quelques heures aux affaires spirituelles de la communauté. Aujourd'hui, au contraire, les mourants reçoivent les dernières consolations, les nouveau-nés l'eau baptismale, et les fiancés peuvent s'unir en légitime mariage pendant toute l'année.

Après la messe les chefs de la colonie chrétienne nous ont invités à les suivre chez leur pasteur. Le prêtre habite une cabane de terre bâtie non loin de l'église. L'appartement se réduit à une seule pièce, servant à la fois de parloir et de chambre à coucher. Quelques couvertures jetées sur une estrade de roseaux, une malle utilisée tour à tour comme armoire ou comme fauteuil, des livres de prières respectueusement posés sur une table, composent toutes les richesses du desservant. Quelle pauvreté! mais aussi quelle paix et quelle heureuse insouciance règnent ici! Il est bien en harmonie avec la chapelle, le presbytère d'Amara.

5 janvier.—Dieu d'Isaac, d'Abraham et de Jacob, soyez béni! Une caravane chargée d'indigo vient d'arriver de Dizfoul: nous partons demain. Ce n'a pas été petite affaire que de décider le tcharvadar bachy à détacher six bêtes de son convoi. Le brave homme a allégué la fatigue de ses animaux, le danger de traverser en si petite troupe le pays des Beni Laam; bref, le consul de Perse s'en est mêlé, mon mari a promis d'indemniser les muletiers si on leur volait nos montures, et les arrhes ont été acceptées. Afin de donner confiance à nos gens, Marcel est allé trouver le moutessaref (sous-préfet turc) et lui a demandé une escorte de quatre zaptiés: «Je me garderais bien de m'occuper de vos affaires, s'est écrié ce nouveau Pilate. Et, s'il vous arrivait malheur, quelle situation serait la mienne? Ma responsabilité serait engagée. En vous déconseillant au contraire le voyage de Dizfoul, je fais œuvre d'ami sincère et de fonctionnaire prudent. Vous n'aurez à vous en prendre qu'à vous-même des suites d'une pareille équipée.» Quelle leçon d'administration a reçu là mon mari!

7 janvier.—Nous sommes partis d'Amara vers midi avec l'intention d'aller coucher aux tentes de Douéridj.

Le convoi a côtoyé pendant plus de quatre heures un canal le long duquel s'étendent de belles prairies; puis, arrivé en vue d'un bouquet de palmiers, il a fait halte. «Vous ne trouverez plus désormais que de l'eau amère», disent nos guides. Les chevaux, débridés, sont menés à l'abreuvoir, Marcel tire de ses fontes une vieille croûte de pâté, et nous dînons en considérant les gros nuages amoncelés au-dessus de nos têtes. Un vol de corneilles passe à notre gauche; au même instant je reçois quelques gouttes de pluie. Si ces oiseaux de mauvais augure pouvaient nous prêter leurs ailes, nous irions nous installer, à leurs côtés, sous les larges feuilles des arbres; hélas! les vertes toitures ne sont pas le fait de mammifères de notre espèce! En selle, et tâchons d'atteindre au plus vite les tentes de Douéridj. La caravane se lance dans un étang que l'on doit traverser avant d'y parvenir; mal lui en prend: la pluie augmente, la nuit tombe, et, après avoir battu de droite à gauche roseaux et ginériums, les guides déclarent qu'ils ont perdu la route et que, privés de la vue des étoiles, ils ne peuvent sortir du marais avant le jour.

On décharge les mulets. Marcel fait empiler les bagages de façon à nous préparer un siège au-dessus des eaux, et nous nous asseyons au sommet d'une malle, avec la sombre perspective de passer toute la nuit exposés à l'orage. Encore si l'on pouvait chanter, causer, dîner, on ne perdrait pas tout courage, mais nos gens sont décidément des empêcheurs de danser en rond. Non seulement ils ont résisté à la tentation d'allumer leurs kalyans, mais ils nous ont même suppliés de garder le silence afin de ne point avertir de notre présence les nomades du hor (marais). «Ne payant pas de redevance à la tribu campée dans ces parages, elle est maîtresse de nous traiter fort mal», concluent-ils en hommes habitués à tenir compte du droit du plus fort. Eux-mêmes se couchent dans l'eau croupissante et, l'oreille tendue, l'œil au guet, ils surveillent les mulets, qui, la tête basse, tournent le dos à l'ouragan. Nous seuls et Séropa, le nouveau cuisinier, juché comme un singe sur la plus haute de ses marmites, dominons la situation. Il est à peine onze heures, la pluie redouble de violence, le vent fait rage. Quelle belle nuit, messeigneurs, pour une orgie à la tour de Nesle, mais quelle triste aventure pour des voyageurs installés entre deux eaux, sans autre abri que des casques défoncés et des imperméables perméables! La lassitude a triomphé des éléments et j'ai fini par m'endormir.

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UNE NUIT DE JANVIER DANS LE HOR.

Au jour je me suis aperçue que Marcel avait amoncelé sur moi toutes les couvertures et que, planté au centre de notre petit îlot en guise de piquet, il avait disposé son caoutchouc autour de nous afin d'éloigner le plus gros de l'averse; à part les pieds et les jambes, déjà trempés la veille, j'étais fort peu mouillée. Au premier mouvement je me suis néanmoins trouvée si raide, si courbatue, envahie par un frisson si pénétrant, que j'ai désespéré de pouvoir remonter à cheval; il a bien fallu néanmoins se remettre en chemin. A huit heures le soleil ne s'était pas encore levé, la pluie recommençait à tomber de plus belle; les guides ont repris leur folle promenade à travers les roseaux et ont bien voulu reconnaître qu'ils avaient tout hier au soir marché à l'ouest au lieu de se diriger vers l'est.

J'ai conscience d'avoir souffert mort et passion pendant cette étape: un violent accès de fièvre s'était déclaré, mes artères battaient à se rompre, tout mon corps gémissait, et quand, trente et une heures après avoir quitté Amara, nous avons atteint le campement de Douéridj, j'aurais été obligée de me laisser choir à terre si Marcel et l'un des muletiers ne m'avaient déchargée comme l'on ferait d'un colis, portée sous une tente spacieuse et couchée au milieu d'un parc de petits agneaux. S'envelopper dans des couvertures, changer de vêtements, il n'y fallait pas songer: les unes étaient imprégnées de pluie, les autres avaient trempé à même le marécage et étaient encore plus humides que les habits abrités sous nos caoutchoucs. La douce chaleur de mes gentils voisins m'a rendu la vie; ce matin je me suis trouvée mieux et en état de plaindre l'infortuné Séropa. Notre dix-septième cuisinier ne cesse de tousser; il gît à l'autre extrémité de la tente, à peine couvert et la tête entourée d'un ignoble chiffon.

«Est-tu malade, Séropa? ai-je demandé.

—Malade? non,… mort: j'ai la fièvre, une fluxion de poitrine et me voilà perclus de rhumatismes. Je suis à moitié nu! ne le voyez-vous pas?

—As-tu perdu ton abba et ton beau tarbouch rouge? T'en serais-tu débarrassé au profit du hor? Qu'as-tu fait de ta malle? elle était, il me semble, assez bien garnie.

—Hélas, je ne la verrai plus! Ce n'est pas moi qui userai tous les beaux effets qu'elle contient. Faites préparer ma fosse.

—Dans un instant, si tu n'es pas trop pressé. Réponds d'abord à mes questions. Où est ta malle?

—Chez votre ami Jésus. La veille de notre départ, le moutessaref—que ses femmes et ses juments restent bréhaignes!—m'envoya chercher en secret et me dit: «Tu es au service des Faranguis et tu vas les suivre en Susiane?—Oui, Excellence.—Je les ai avertis des dangers qu'ils avaient à courir en route et je me suis efforcé de les retenir à Amara: ils n'ont rien voulu entendre. Tant pis pour eux; quoi qu'il arrive, je m'en lave les mains. Quant à toi, tu es sujet turc, c'est donc une autre affaire. Si tu m'en crois, tu abandonneras ces fous à leur triste sort et tu retourneras à Bagdad.» J'ai remercié de sa bienveillance le moutessaref et lui ai promis de suivre ses bons conseils. Comme je ne suis pas un ingrat et que je mange votre pain, je n'ai pas voulu vous quitter. La peau du fils de ma mère n'était guère de nature à tenter les Arabes: j'ai donc confié ma malle à Jésus et, choisissant mes plus vieilles défroques, je me suis mis en route à la queue du convoi, un peu honteux de mon nouvel équipage. Depuis deux jours je suis transi, je tousse à m'étouffer et ne puis plus me tenir sur mes pauvres jambes. Combien je regrette de m'être laissé effrayer par les paroles du moutessaref!

—Prends de l'argent, fais tuer un mouton et habille-toi avec sa toison; pendant que le cuir se tannera sur ton dos, la laine, laissée à l'intérieur, te préservera du froid et de l'humidité. Depuis que tu es malade, qui donc s'occupe de préparer les repas de Çaheb?

—Oh! personne. Tous les vivres sont là, on n'y a même pas touché. Je crois que les Arabes ont donné à Çaheb du riz et du lait aigre.

Il est grand temps que je revienne à la santé et que je reprenne les rênes du gouvernement. Si je n'y prenais garde, mon pauvre Marcel se laisserait mourir de faim.

10 janvier.—Revenir à la vie! Encore quelques étapes comme la dernière, et l'on pourra me chercher un asile sous les beaux ombrages de Kerbéla. Hier matin, le temps s'étant éclairci, les muletiers nous ont conseillé de profiter de l'embellie, car on ne peut, en cette saison, compter sur une suite de beaux jours. J'avais eu la fièvre toute la nuit; cependant le soleil était si beau, l'air si doux et si pur, la plaine si verte que je n'ai pas hésité à me remettre en route. Nous avons d'abord franchi un cours d'eau étroit, mais fort torrentueux, et marché ensuite dans la direction de grands tumulus. De droite et de gauche paissaient des troupeaux de chameaux; à l'horizon se dressait une haute chaîne aux crêtes neigeuses. C'est au pied de ces montagnes qu'était bâtie Suse et que s'élève encore la moderne Dizfoul.

Arriverai-je au but? Je n'étais pas en route depuis une heure, que des frissons m'ont saisie de nouveau, des spasmes violents se sont déclarés; incapable de continuer plus longtemps à me tenir en selle, je me suis laissée glisser sur le sol humide. Les encouragements de mon mari, ses supplications sont restés sans résultat; on m'aurait tuée que je n'aurais pas fait un pas en avant. Nous ne pouvions cependant demeurer dans la gorge où j'étais tombée. Sans eau, sans vivres, sans bois, sans abri, sans défense, nous n'avions pas grand choix: périr de misère ou être dévalisés et tués par les Arabes. Il fallait à tout prix arriver aux tentes, ou tout au moins à un endroit découvert. Quelques gouttes d'eau de pluie découvertes dans les anfractuosités rocheuses atténuent les haut-le-cœur; des couvertures fortement fixées sur une charge constituent une sorte de lit, au-dessus duquel on m'a étendue et attachée; à droite se tenait un tcharvadar chargé de diriger le mulet; Marcel marchait à gauche afin de maintenir en équilibre son compagnon de misère. Sans avoir trop conscience de moi-même, j'ai pu, grâce à cette installation, supporter sept ou huit heures de cheval et atteindre vers le soir un campement de nomades établi au pied d'un tumulus élevé.

Malgré mon extrême fatigue, malgré l'insouciance et la paresse d'esprit, conséquences de la maladie, je n'ai pu assister indifférente au spectacle biblique des tentes, quand, au soleil couchant, les troupeaux de brebis, rentrant du pâturage, se sont élancés vers leurs agneaux bondissants, que les chèvres, les vaches et de colossales chamelles sont venues se grouper dans des parcs clôturés avec quelques broussailles.

A peine les troupeaux étaient-ils rassemblés autour du campement, que pâtres et pastoures ont envahi la tente où l'on nous avait donné asile et nous auraient certainement étouffés si notre hôte ne les avait contraints à réprimer leur curiosité et à s'éloigner. Les femmes, belles, de noble attitude, vêtues de longues chemises fendues dans le dos et sur la poitrine, coiffées de turbans de laine légère, parées de pendeloques de verroterie, de bracelets d'argent incrustés de turquoises, ont alors passé au second rang, tandis que les maris, peu galants, s'asseyaient autour d'un brasier destiné tout à la fois à nous réchauffer et à nous éclairer. Aux lueurs brutales du foyer je contemple le tableau placé sous mes yeux et admire sans me lasser ces Arabes aux traits fins et énergiques, aux longs cheveux tombant en nattes sur la poitrine, aux membres vigoureux et élégants.

Éloignés de tout centre de civilisation, livrés à leur propre initiative, sans prêtres, à peu près sans religion, les nomades vivent sous l'empire de la loi naturelle. Un seul groupe social est solidement constitué: la famille. Elle doit pourvoir à la reproduction de la race et donner des défenseurs à la tribu. Une guerre vient-elle à éclater entre deux cheikhs rivaux: les femmes sont les premières à exciter les guerriers au combat et suivent d'assez près les péripéties de la lutte pour que leurs époux et leurs fils entendent auprès d'eux les hou! hou! hou! gutturaux dont elles accompagnent les grandes cérémonies civiles et religieuses. C'est à elles également qu'échoit la douce part de tourmenter le vaincu devenu leur prisonnier, d'inventer en son honneur des tortures nouvelles, d'exagérer ses souffrances en ralentissant son martyre, de le brûler ou de le couper tout vivant en menus morceaux. Leur enthousiasme arrive même à un tel paroxysme, que celles dont les maris périssent dans la mêlée se glorifient de la mort de leur époux et se remarient dès le lendemain si elles trouvent à lui donner un remplaçant: le vif prime le mort.

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FEMME ARABE DE LA TRIBU DES BENI LAAM.

On doit également ranger dans le code patriarcal des nomades les lois ayant trait au vol des troupeaux et des récoltes, à l'enlèvement des jeunes filles. En ce cas, et chez les Beni Laam, nos hôtes actuels, les parents de la belle se présentent devant le conseil des anciens, vêtus de deuil, armés jusqu'aux dents, la figure lamentable, les yeux roulant dans leur orbite, et s'assoient sans mot dire. La famille du ravisseur montre plus de calme. Le président prend alors la parole, interroge les assistants et cherche à accommoder l'affaire en engageant les avocats du coupable à donner trente chameaux à la famille de l'ex-vierge. Sur cette proposition, des cris de colère s'élèvent de toutes parts; les parties se querellent, discutent pendant plusieurs heures, s'accordent enfin sur le chiffre de vingt chameaux, et il ne reste plus aux plaideurs qu'à abandonner leur mine lugubre et à célébrer la fin des hostilités en se gorgeant de riz, de mouton et de lait aigre.

Il paraît difficile de s'enivrer avec du riz et du lait: le fait se produit pourtant tous les jours. A la suite de ces agapes judiciaires, les convives, sous l'influence de la légère alcoolisation du maçt ou lait fermenté, tombent ivres morts. Le même phénomène s'observe quand les Arabes mangent en quantité des raisins ou des dattes. Mahomet eut peut-être raison d'interdire le vin à des têtes si fragiles.

Le tribunal arbitral porte le nom de aarfa; ses jugements sont sans appel, au moins chez les Beni Laam. La paix ne se signerait point aussi aisément dans les tribus des Anizeh et des Chammar, bien autrement aristocratiques: seule la mort du coupable ou de l'un de ses proches parents peut réparer l'honneur d'une famille outragée.

Le gouvernement turc n'a pas réussi à soumettre les nomades à son autorité et se déclare trop heureux quand les impôts rentrent sans combat. Si les tribus se refusent à acquitter leurs redevances, le valy envoie, en guise de collecteur, un colonel suivi de son régiment. Les Arabes, toujours prévenus du départ des troupes, se jettent au cœur des marais, dont ils connaissent seuls les détours; le colonel, suivi de son régiment, hésite à se hasarder dans le hor, fait demi-tour et rentre bredouille à Bagdad. Sont-ils pris à l'improviste, les nomades lèvent leur campement, cachent sous les eaux stagnantes les caisses contenant leur argent et leurs bijoux, et fuient vers la montagne; les troupes parties, ils reviendront chercher leurs richesses et planteront leurs tentes sur le lieu même qu'ils ont dû abandonner. Les tribus riches, nombreuses et par conséquent moins mobiles, usent d'un autre stratagème: elles prennent à gages, au prix annuel de douze à quinze cents francs, un seïd (descendant du Prophète) et déposent sous sa tente, asile inviolable, toutes les marchandises ou les objets de valeur. Ce sont également les seïds qui sont chargés de venir chez le moutessaref régler les affaires de la tribu et transiger avec les collecteurs. L'illustre origine de ces avocats en turbans bleus ou verts, les mettant à l'abri de toute violence, oblige les chefs administratifs à les écouter avec attention et leur donne une autorité dont ils usent et mésusent en vue de conquérir une existence douce et facile. Ah! Mahomet, la crème des aïeux, avec quelle sollicitude tu as préparé le bonheur de ta postérité!

Les nomades chez lesquels nous venons de recevoir l'hospitalité n'ont pas, comme leurs frères de Douéridj, à se préoccuper des collecteurs et des soldats: à cheval sur les frontières de Turquie et de Perse, ils passent tour à tour dans l'un de ces deux pays quand ils se sentent poursuivis dans l'autre, et jouissent ainsi d'une parfaite indépendance. Heureux les peuples libres, malheureux les voyageurs forcés de les visiter! A proprement parler, nos hôtes sont les voleurs les plus audacieux et les plus adroits de la contrée. Ils vivent de rapines et sont aussi redoutables à leurs compatriotes qu'aux Persans. Quand on s'entend avec eux, on paye à leur cheikh une prime d'assurance de dix francs par bête de charge et l'on voyage tranquille entre Dizfoul et Amara; mais, si l'on veut circuler sans acquitter cette odieuse rançon, on risque fort d'être dévalisé et massacré.

11 janvier.—J'ai passé la moitié de la dernière étape allongée comme hier et attachée sur mon cheval. Surprise de voyager sans souffrance, je me serais dorlotée toute la journée si, vers midi, nous n'avions aperçu deux monuments imposants. Le premier, surmonté d'une coupole allongée, de forme très élégante, rappelle à mon souvenir le tombeau de Zobeïde. Point de gardien ni de porte à l'imamzaddè Touïl. Liberté complète au passant de chercher un gîte dans ce tombeau abandonné et d'admirer tout à l'aise les charmantes imbrications de style arabe qui tapissent l'intérieur de la voûte.

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TAG EÏVAN.

Même liberté et même solitude au Tag Eïvan, que nous atteignons une demi-heure après avoir abandonné l'imamzaddè Touïl. Sur l'un des côtés d'une immense enceinte rectangulaire bâtie en terre crue, s'élève un édifice ayant tout l'aspect d'une cathédrale gothique. La voûte, supportée autrefois par de nombreux arcs-doubleaux, encombre de ses débris une salle longue d'une vingtaine de mètres et large de près de neuf. De hautes fenêtres prises entre deux arcs consécutifs éclairent la nef. Marcel se pâme devant cette construction, dont l'origine sassanide est indiscutable. Et, de fait, l'antiquité du Tag Eïvan est un argument bien puissant en faveur de la filiation perse de l'architecture gothique. Ce n'est pas seulement l'ogive que l'on retrouve en Orient, mais le principe essentiel des vaisseaux du Moyen Age.

Si l'on examine la plate forme qui se prolonge dans l'axe de la salle encore debout, on se convainc facilement que la construction devait s'étendre sur une longueur à peu près double de celle des ruines actuelles, et qu'au centre s'élevait une coupole jetée au-dessus d'un vestibule carré. Du haut des ruines on aperçoit en tous sens une multitude de tumulus: les uns très élevés au-dessus de la plaine, les autres formant de simples vallonnements.

En quittant Eïvan, je me suis huchée de nouveau sur mon trône de couvertures, mais bientôt nous avons atteint les bords de la Kerkha, large rivière qu'il a fallu franchir à gué. L'instinct de la conservation a vaincu la paresse, j'ai réclamé la liberté de mes mouvements et, avant de lancer mon cheval à l'eau, je me suis remise en selle: prudence est mère de sûreté. A peine sommes-nous engagés dans le courant, que les bêtes commencent à dériver, l'eau monte jusqu'à l'épaule de mon cheval; de crainte de me mouiller, je croise les jambes sur la selle: «Hu! hi! peder soukhta, peder cag, vas-tu avancer?»—«Je n'en puis plus et voudrais vous voir à ma place», semble me répondre ma monture. Sains et saufs cependant les cavaliers atteignent la terre ferme; mais l'un des mulets, chargé de provisions, est roulé, entraîné, noyé, perd en se débattant tous ses colis et ne peut être repêché qu'à quelque dix-huit cents mètres en aval du point de départ. Je pleurais déjà quatre pains de sucre fondus au profit des poissons de la Kerkha, quand les guides m'ont engagée à modérer mes lamentations; le fleuve se divise au-dessus du gué; nous sommes en ce moment dans une île et je serai autorisée à gémir si nous perdons le second mulet de charge en franchissant le dernier bras, au moins aussi rapide que le premier. Macte animo puer, et remettons-nous en route. Un quart d'heure de marche, et nous voici de nouveau sur la rive. Les chevaux, encore émus au souvenir du dernier bain, refusent d'avancer et montrent leur croupe à la rivière au moment où l'on croit les avoir lancés dans les flots; coups de fouet, coups de talon, cris des tcharvadars, invocations à Allah restent sans effet: nos vaillants bucéphales s'entêtent à ne pas abandonner le plancher des vaches. L'homme est parfois supérieur au mulet, je le constate non sans une certaine fierté. La natation est un art dont je n'ai jamais approfondi les mystères; j'ai eu tout à l'heure une peur fort raisonnable quand le courant entraînait mon cheval; la tête me tournait au milieu du brouhaha général, mes yeux troublés voyaient avec anxiété fuir la rive, mon esprit se refusait à admettre que je me rapprochais de terre, et cependant je n'hésite pas à tenter le passage du deuxième bras du fleuve: car je serais forcée, pour l'éviter, d'effectuer une seconde fois la traversée du premier. J'ai beau expliquer cette situation à mon rossard, il s'obstine à serrer les oreilles, à trembler sur ses jambes et se montre sourd aux plus simples raisonnements.

Nous aurions peut-être été forcés de faire une installation durable dans l'île, si quatre ou cinq cavaliers montant de belles juments n'étaient apparus de l'autre côté de la rivière. Attirés par les cris des muletiers et voyant notre embarras, ils n'ont pas hésité à se jeter à l'eau et à prendre la tête du convoi. Sauvés! merci, mon Dieu! Un dernier coup de rein, et nous voici sur la berge. La Kerkha a fait bien des façons avant de se laisser traverser; elle a eu tort, c'est indiscutable, mais il est permis à un noble fleuve de se souvenir de sa grandeur passée et de ne point se livrer au premier venu. N'est-ce pas la Kerkha qui arrosait Suse, l'une des plus anciennes villes du monde? n'est-ce point la Kerkha dont les eaux cristallines conservées dans des vases d'argent étaient servies en tous lieux sur la table du roi des rois? Quels vins fameux pourraient invoquer des titres équivalents? Lorsque les chaleurs torrides de l'été, ces chaleurs légendaires de la Susiane, ont brûlé et desséché le sol, on peut encore franchir en quelques rares passages le fleuve épuisé, mais pendant neuf mois de l'année on doit avoir recours aux embarcations semblables aux keleks de l'Euphrate.

L'un de nos guides est le fils d'un chef louri nommé Kérim khan, dont les campements, suivant la saison, sont établis tout auprès de la Kerkha ou au pied des montagnes voisines de Dizfoul. Sur l'invitation du jeune homme, nous sommes entrés dans la tente de son père. On a apporté des pipes, du thé, du lait aigre, du pain chaud, que les hommes fabriquaient en couvrant d'une mince couche de pâte des plaques de cuivre rougies au feu; puis nous nous sommes remis en route après avoir échangé avec nos hôtes d'innombrables souhaits de bonheur. «Je suis votre frère», nous disait notre nouvel ami, et, pour rendre ses sentiments d'une façon expressive, il accrochait l'un à l'autre ses deux index. «Bien obligée, mon cher Mohammed, à la vie, à la mort; c'est chose conclue.»

Autour du campement s'étendent de verts pâturages et de grands champs semés en blé; au delà, longeant la route, maintenant frayée grâce au passage des caravanes, se présentent des multitudes de villages entourés de jardins qui témoignent de la fertilité du sol, quand elle est sollicitée par le travail et les arrosages. Nous marchons d'oasis en oasis, et bientôt Dizfoul s'offre à notre vue.

[Illustration]
VUE DU PONT ET DE LA VILLE DE DIZFOUL. (Voyez p. 649.)

La ville, bâtie sur les bords de l'Ab-Dizfoul, torrent descendu des montagnes du Loristan, s'étend en amphithéâtre le long d'une rive très escarpée. Elle se présente sous l'aspect le plus gai; longtemps avant de l'atteindre, j'ai aperçu aux rayons d'un beau soleil couchant ses jardins, ses maisons aux terrasses étagées et le pont grandiose auquel Dizfoul doit son nom, le «pont de la Forteresse». Fondé, au dire des chroniqueurs iraniens, par Ardéchir Babégan, cet ouvrage est formé d'énormes piles construites, à la manière romaine, en béton revêtu d'une enveloppe de pierre de taille, tandis que ses plus vieilles arches, faites en briques et de style franchement persan, remontent à l'époque du sultan Saladin. A la nuit close nous laissons à notre gauche une lourde bâtisse, résidence d'été du gouverneur, et nous nous engageons sur le pont. La porte de la ville, située à son extrémité, est close depuis le coucher du soleil, et l'on refuse tout d'abord de l'ouvrir. Par bonheur on peut parlementer entre ses ais disjoints. Marcel met tout d'abord un bakchich dans la main du gardien; celui-ci trouve le présent insuffisant et, d'un geste plein de dignité, le restitue, avec l'espoir de le voir s'accroître.

[Illustration]
FABRICATION DU PAIN CHEZ LES NOMADES.

«Je vous ouvrirai à l'aurore, laissez-moi dormir en paix.

—Tu trouves le cadeau insuffisant! s'écrie Marcel en heurtant de son fusil les battants de la porte; avant un quart d'heure tu me conduiras gratuitement chez le gouverneur. En attendant, cours au palais et remets au hakem cette lettre de Son Altesse Zellè sultan; les ferachs te diront si tu as agi en homme sage en me faisant attendre.»

Intimidé, le gardien saisit le pli, examine le sceau et, revenant subitement à de bons sentiments, s'empresse d'offrir à nos gens, toujours à travers les fentes des vantaux, un kalyan tout allumé.

«Excusez-moi, Excellence, le pays est infesté de bandits, j'ai cru avoir affaire à des Beni Laam, je vais chercher le porte-clefs.»

Et notre homme s'éloigne.

Arrive un compère:

«Excellence, donnez un petit bakchich à un malheureux concierge réveillé dans son premier sommeil.

—Ouvre d'abord, nous causerons ensuite de tes affaires.»

Et la vieille porte, grinçant sur ses gonds, s'entre-bâille pour donner passage à notre petite caravane et à des bûcherons, profonds philosophes, qui, arrivés trop tard à la ville, attendaient le jour couchés sur leurs fagots. Suivant les prédictions de Marcel, le gardien nous guide à travers le dédale boueux des rues de Dizfoul. Animaux et piétons, ceux-là barbotant dans le canal ménagé au centre de la voie, ceux-ci rasant les murs au pied desquels sont réservés des trottoirs étroits, arrivent néanmoins chez le gouverneur. Nous mettons pied à terre; le nazer reçoit nos lettres et, à la vue du cachet princier, s'empresse de mettre à notre disposition une chambre bien close: les portes et les fenêtres ont des volets, si ce n'est des carreaux. L'abri n'est point à dédaigner; qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il grêle, le dos rôti par un bon feu, je fais la nique aux éléments et classe dans le domaine des souvenirs les nuits terribles que depuis mon départ d'Amara j'ai passées au milieu du hor ou sous les tentes des Arabes Beni Laam.

[Illustration]
ARABE BENI LAAM.
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