Les causeries du docteur
IX
Ralentissement du mouvement terrestre.
Revaccination. — Coloration des photographies. — M. Montagne.
Des instruments nécessaires à la diagnose.
J’ai une triste nouvelle à vous apprendre. Il paraît que, décidément, la terre fatiguée de son éternel mouvement de manége autour du soleil, témoigne de son besoin de repos en ralentissant sa marche.
Pour le moment, cela n’est pas encore très-sensible, mais quand on est sur la pente de l’oubli des devoirs, on ne tarde pas à les méconnaître tous ; or, à un instant donné, il se pourrait que la terre refusât absolument de se mouvoir. Il serait donc peut-être utile de suspendre pendant quelque temps le forage des puits artésiens, le percement des montagnes et les autres travaux gigantesques qui agitent ses entrailles. On éviterait ainsi tout prétexte à une détermination violente, dont il serait extrêmement difficile de la faire revenir.
Je vous engage à prier le ciel, que, le cas échéant, son immobilité coïncide avec le printemps et avec les heures où le soleil éclaire notre hémisphère ; car si elle s’arrêtait, par exemple, par une froide nuit du mois de janvier, vous subiriez un hiver perpétuel assombri par une nuit éternelle.
Ce n’est pas d’hier seulement que les allures récalcitrantes de la terre nous sont révélées, elles avaient déjà été entrevues par Laplace, et, M. Delaunay, en communiquant à l’Institut un travail sur ce sujet, n’a fait que confirmer nos craintes.
Ce savant a constaté que le jour sidéral, qui est, en astronomie, l’unité de temps fondamentale, n’a pas, comme on le croyait, une durée toujours la même ; elle augmente progressivement. Ce fait ressort de l’étude de la solidarité des mouvements planétaires, et c’est en constatant que la lune accélère sa marche, qu’il a été amené à conclure que la terre retarde la sienne.
La lune marche plus vite, donc la terre est moins agile.
Ce retard provient-il du refroidissement progressif de notre vieille planète, dont le résultat serait la diminution de son diamètre ? ou serait-il dû à la résistance causée par les frottements qu’elle subit de la part du milieu éthéré dans lequel elle se meut ? Voilà ce qu’on ne sait pas au juste. M. Delaunay l’attribue à une réaction des phénomènes des marées, dont le déplacement agit continuellement dans un sens contraire au mouvement de rotation terrestre.
Ma causerie n’est pas un bureau de longitudes, et je vous fais grâce des équations et des chiffres qui ont été entassés pour résoudre ces questions ; il y en a de quoi charger deux voitures de déménagement.
Le travail de M. Delaunay m’a inspiré de sérieuses réflexions ; il expose le phénomène, mais il a négligé d’en faire ressortir les conséquences ; je vais vous en signaler quelques-unes.
Les perturbations qui peuvent survenir dans la vitesse du mouvement de rotation de la terre, actuellement de 470 mètres par seconde, porteront un coup funeste aux lois de la pesanteur. La force centripète est proportionnelle au carré de la vitesse de rotation. Le ralentissement de la vitesse aura donc pour conséquence inévitable d’augmenter la pesanteur des corps ; et, à un moment donné, Hercule lui-même aurait besoin de toutes ses forces pour soulever un poids de cinq kilogrammes. Jugez des perturbations qu’un pareil phénomène apportera dans vos habitudes domestiques ! Je vous laisse le soin de les énumérer.
Si au contraire la terre, voulant rattraper le temps perdu, allongeait le pas de manière à tourner dix-sept fois plus vite, c’est-à-dire avec une vitesse de 7,980 mètres par seconde, la pesanteur des corps serait réduite à zéro. Une pierre lancée en l’air à l’équateur ne retomberait pas, et resterait suspendue dans l’espace. Vous seriez obligé de tirer par les pieds, pour le ramener sur le sol, le danseur imprudent qui oserait s’élancer à la hauteur d’un entrechat.
Mais revenons à notre fâcheuse situation, elle est assez chargée de teintes sombres pour que je ne l’estompe pas avec les dangers simplement probables ; j’en pourrais allonger la liste d’une manière terrifiante.
Je vous berçais tout à l’heure de l’espoir d’un printemps et d’un soleil perpétuels, pour vous préparer doucement au dénouement. Mais la vraie vérité, c’est qu’avant que la terre soit immobilisée, les lois de la gravitation seront rompues et notre planète, entraînée vers le soleil dont elle n’est que le satellite, ira se précipiter sur lui, et se fondra dans ses ardents rayons.
C’est là la fatale, l’inévitable, l’inexorable destinée qu’elle doit subir un jour.
Pour que vous ne soyez pas surpris à l’improviste par le cataclysme, et que vous puissiez mettre ordre à vos affaires, je puis vous dire au juste l’heure de la catastrophe. C’est un calcul que j’ai fait à votre intention.
La durée du jour sidéral s’accroît de six secondes par siècle. Cela paraît peu de chose au premier abord, mais les petites sommes, en s’accumulant, finissent par faire un gros total. L’accroissement sera d’une minute en six mille ans ; d’une heure en trente-six mille années. La terre deviendra donc immobile dans huit cent soixante-quatre mille années : un simple point perdu dans l’éternité.
En y réfléchissant, je crois qu’aucun de vous n’a la prétention d’atteindre cette époque reculée. Vous pouvez donc, sans inconvénient, léguer vos terreurs à vos arrière-petits-neveux et finir l’année gaiement.
Une aimable correspondante me demande si elle doit redouter la variole, qui jadis a déposé sur son berceau sa carte de visite gravée. Certainement oui, la maladie ne donne pas une immunité plus complète que le vaccin.
Si j’étais homœopathe, j’engagerais ma correspondante à s’exposer de toutes ses forces à la contagion.
En vertu de l’axiome : Similia similibus curantur, une nouvelle invasion devrait faire disparaître les désagréables traces de la première. Mais, comme je professe un profond dédain pour les radotages du père de cette doctrine, je conseille une vaccination immédiate.
Tous les lundis, on voit arriver à l’Institut, dans une petite voiture de malade, un vieillard infirme et octogénaire qu’on monte à grand’peine jusqu’à la salle des séances. C’est M. Montagne, un des plus savants botanistes de notre époque. On lui doit la classification de presque tous les cryptogames rapportés des voyages de circumnavigation. Il est le dernier égyptien, c’est-à-dire le dernier survivant de la commission scientifique choisie par Bonaparte pour l’accompagner en Égypte. Berthollet, Monge, Geoffroy, Cordier, Jomard, etc., étaient ses collègues.
M. Montagne a cultivé la science avec amour et ne lui a jamais demandé les moyens de s’enrichir. Sa modeste position de fortune lui rend nécessaire le jeton de présence qu’il touche à l’Institut. C’est donc un peu pour cela qu’il fait tous les lundis ce fatigant voyage.
En 1824, un illustre savant, Lamarck, vieux, infirme et presque dans la misère, se traînait également avec peine à l’Institut, pour y toucher le jeton de présence qui l’aidait à vivre. Cuvier, alors secrétaire perpétuel, demanda à ses collègues que Lamarck fût porté d’office en tête de la liste de présence, et qu’il ne fût pas obligé d’assister aux séances. La savante Compagnie s’associa immédiatement à cette bonne pensée, et Lamarck ne fut pas privé du faible secours qui était devenu pour lui une nécessité.
La même mesure serait une justice rendue à la vie laborieuse de M. Montagne, et s’il voulait encore venir parfois réchauffer ses quatre-vingts ans au foyer de la science, au moins choisirait-il son temps.
M. Piorry occupait la tribune, et, dans un long discours en grec et en français, le savant professeur avait vigoureusement insisté sur l’importance de l’organographie en médecine.
Je quittai donc l’Académie, profondément touché de ce que je venais d’entendre et presque converti à des idées sans lesquelles il est, avait-il dit, impossible de faire de bonne médecine, de la médecine sérieuse et scientifique. Je me pris à songer que depuis longtemps j’avais perdu mon plessimètre, et je résolus de profiter de mon émotion pour le remplacer. Je m’acheminai donc de suite vers le magasin de Robert et Collin, et demandai un plessimètre ; on m’en montra de cinq espèces différentes, sans compter les variétés : il y en avait en écaille, en buis, en ivoire, avec ou sans charnières. J’étais dans une très-grande perplexité ; lequel choisir ? quel était de tous ces plessimètres le plessimètre orthodoxe, celui hors duquel il n’y a point de salut ? Dans mon embarras, j’en pris un de chaque espèce, me réservant de demander à M. Piorry quel était le vrai, celui qu’il avait découvert lui-même, et de détruire immédiatement les autres, qui, peut-être, pourraient être la cause innocente d’irréparables erreurs de diagnostic.
J’allais me retirer lorsque le commis me dit : Vous ne prenez pas de stéthoscope ? — Merci, je crois que j’en ai un. — Un seul ? — A la rigueur, je puis en prendre un pour chaque oreille ; cependant… — Écoutez-moi, monsieur ; je vois que vous sortez de l’Académie et que vous venez de boire au biberon des saines doctrines, je vois à votre air que M. Piorry a parlé et qu’il vous a converti à l’organographisme ; ne faites donc pas les choses à demi, et pendant que vous subissez encore son influence magnétique, munissez-vous de tous les instruments de diagnose nécessaires à un médecin sérieux et organopathe. Laissez-moi vous guider dans la voie nouvelle où vous semblez devoir marcher désormais. J’ai été deux ans roupiou de ce grand homme ; je sais ce qu’il vous faut.
Je m’inclinai et mon obligeant cicérone me présenta quatorze stéthoscopes différents. Il m’expliqua que chacun d’eux possédait des propriétés acoustiques particulières, et pour quels motifs le râle crépitant qu’on entendait avec le stéthoscope de L…, se transformait en râle sibilant avec celui de P…, et en râle sous-crépitant avec celui de G… Il mit à ma disposition le thorax d’un ouvrier asthmatique et chargé de satisfaire dans l’établissement à tous les besoins de l’auscultation ; mais, après une étude de vingt minutes, je m’étais tellement brouillé avec mes différents stéthoscopes, que je ne distinguais plus rien du tout, malgré les efforts de mon sujet qui respirait à se briser les côtes ; mais je pense que cela tenait seulement à mon peu d’habitude et que, lorsque j’aurais étudié ces instruments pendant un certain temps, je me tirerais tout comme un autre de l’auscultation. Cependant je refusai formellement de joindre au paquet un stéthoscope à musique nouvellement inventé, craignant de trop compliquer mes études.
— Avez-vous l’ophthalmoscope de Galesowski ? me dit mon obligeant cicérone. — Non. — Très-bien, je vais vous le donner accompagné de celui d’Anagnostakis et de celui de Desmarres ; de sorte que si l’un vous donne un résultat, et l’autre un autre, le troisième fera immédiatement pencher la majorité de son côté, à moins qu’il ne vous fournisse lui-même un troisième résultat, ce qui n’est pas absolument impossible. Il introduisit donc les trois instruments dans mes poches et continua :
— Avez-vous un instrument pour compter les pouls ? Je tirai triomphalement de mon gousset une montre à secondes de Leroy qui me sert à cet usage. — Ça, fit-il d’un air dédaigneux, ce n’est pas un instrument médical ; c’est tout au plus bon pour établir la diagnose de l’heure quand vous allez en fiacre ; mais la sphygmose demande un instrument spécial, non-seulement classique, mais encore mythologique ; le voici : c’est le sablier. Du reste, il n’est pas convenable de tirer à chaque instant sa montre devant un malade ; il s’imagine que ce n’est pas pour compter son pouls, mais uniquement parce que vous vous ennuyez près de lui, ce qui n’est ni poli ni médical.
Mais ce n’est pas tout, le sablier ne remplit que la moitié de l’indication. Comment appréciez-vous la forme du pouls, son rhythme et son espèce ? — Je lui montrai finement mes trois doigts réunis dans la position classique. Il répondit par un regard de travers à ce langage muet. — Osez-vous, me dit-il, comparer vos doigts à nos instruments de précision ? les croyez-vous assez sensibles pour diagnostiquer d’une manière authentique et formelle les soixante-cinq espèces de pouls découverts par l’illustre Bordeu ? Il vous faut pour cela un instrument spécial qui ne doit jamais vous quitter, pas plus que ceux que vous avez pris et que vous allez prendre ; car un médecin qui se présente chez un malade sans être pourvu de TOUS ses instruments de diagnose, n’est qu’un soldat qui marche sans armes vers l’ennemi.
Je passai involontairement mes mains sur mes poches, elles étaient déjà remplies de tant de choses, que je commençai à craindre que mon galbe médical n’en fût considérablement altéré ; je sentis que j’avais quelque peu l’air d’un brocanteur en habit noir. — Voilà, continua-t-il, l’instrument qui sert de complément indispensable au sablier, c’est le sphygmomètre ; non pas celui qu’inventa Sanctorius, et qu’il appelait pulsiloge, mais bien celui du grand Hérisson ; au moyen de cette petite machine, son seul titre à l’immortalité, cet homme célèbre a pu découvrir et même décrire trente-deux espèces de pouls de plus que Bordeu ! ce qui fait maintenant quatre-vingt-dix-sept espèces connues. Voyez, monsieur, à quels progrès peuvent conduire les instruments de précision appliqués à la diagnose !
Je mis dans la poche de mon gilet le sphygmomètre, que j’avais pris d’abord pour un mirliton. Je me dirigeais vers la caisse, lorsque mon cicérone me barra le passage avec un compas de Baudelocque, et un pelvimètre de Vanhuevel. — Avez-vous cela ? me dit-il. — Non. — Aussitôt, et sans m’en demander l’autorisation, il me plaça les deux instruments sous mon bras gauche ; c’était pour moi une démonstration suffisante de leur utilité ; puis, me saisissant par le bras droit, il me ramena devant son comptoir et trouva le moyen d’introduire dans mes poches un spéculum univalve de son illustre maître, et un à vingt-deux valves de je ne sais pas qui ; il n’en introduisit pas davantage, d’abord parce qu’il n’y avait plus de place, et puis, parce que je lui avais avoué en posséder déjà six de divers modèles.
— Je pense, continua-t-il, que vous avez un microscope, car depuis la grande discussion du cancer, il n’est guère permis à un médecin sérieux de se passer de cet élément de diagnose ? Je fis timidement un signe négatif, et mon obligeant cicérone se mit d’un air furieux à m’emballer un gros microscope dont il me remit la clef.
Enfin, je lui fis observer que si j’étais obligé de transporter tout ce bagage chez chaque malade, je n’aurais plus l’air d’un médecin, mais d’un Auvergnat dans l’exercice d’un déménagement. — Monsieur, me répondit-il, la science ne tient pas compte de ces puérils détails ; elle marche ; c’est aux hommes qui la suivent à consulter leurs forces.
Les miennes commençaient à s’épuiser ; mais je résolus de n’en rien faire paraître pour qu’on ne pût supposer que je n’aimais pas la science. Seulement je me promis in petto de louer à l’année un commissionnaire garni de crochets, qui pût m’accompagner chez mes malades.
Comme je me souriais à l’idée du grotesque domestique qui allait devenir mon ombre, mon cicérone me crut favorablement disposé à collection et introduisit dans ma poche de portefeuille, qui jusque-là avait échappé à l’invasion, une boîte à réactifs pour les urines, un lithomètre, un mètre, une loupe dont il me démontra la puissance sur un ouvrier atteint de la gale, qui me fournit sur-le-champ un acarus ; enfin, un thermomètre. Je lui demandai comment il était possible d’appliquer cet instrument à la diagnose et quelle était son utilité. — Cela est aussi simple qu’ingénieux ; vous introduisez la boule de ce thermomètre dans le rectum ou la cavité buccale de votre malade, et vous constatez immédiatement de combien de degrés il s’éloigne de la température normale.
C’est, en effet, fort ingénieux ; je vous remercie ; mais je pense que je suis maintenant suffisamment équipé. — Pas encore, il vous manque ceci ; et il cherche à placer sous mon bras droit, encore libre, une grosse machine qui me sembla le compteur à gaz de l’établissement. — Merci, dis-je en le repoussant, ceci est un instrument de diagnose applicable à la combustion de l’hydrogène, et comme je ne brûle chez moi que de l’huile… — Comment ! monsieur, me dit-il, pour qui prenez-vous donc notre maison ? Apprenez, monsieur, que cet instrument est un spiromètre, non pas le spiromètre de Sybson, qui se contentait de mesurer le mouvement thoracique ; pas même celui d’Hutchinson, qu’on peut employer au besoin comme cloche à plongeur ; c’est le spiro-gazomètre de M. Bonnet, instrument admirable et indispensable pour la diagnose de la phymie ; on s’en sert en bouchant avec soin les divers orifices de son malade et en le faisant souffler dans ce tube ; alors la respiration met en mouvement des choses que je n’ai pas besoin de vous expliquer, et les aiguilles du cadran indiquent, clair comme le jour, que le sujet est phthisique ; à moins cependant que la machine ne se dérange, ce qui arrive quelquefois, ou que le sujet, par une cause quelconque, ne paraisse phthisique et ne le soit pas. Par la même occasion, vous ferez bien de prendre le spiromètre de Guillet ; au moins, si l’un se détraque, pendant que nous le réparerons, vous pourrez vous servir de l’autre. Je fis l’épreuve de mes instruments sur un ouvrier phthisique attaché pour cela à l’établissement, car cette maison est si bien montée, que, dans l’intérêt des clients, chaque ouvrier doit, en entrant, justifier au moins d’une infirmité utile à l’essai des instruments qu’on y fabrique.
Je replaçai sous mon bras le spiro-compteur et me dirigeai sérieusement vers la caisse, lorsque mon conducteur me mit en face d’un bonhomme d’environ deux pieds de haut, habillé en Turc, et qui avait un cadran sur le ventre. Je supposai que c’était un client postiche, destiné à être placé dans le salon des médecins qui ont peu de clients pour faire tapisserie à l’heure de la consultation. — Monsieur, lui dis-je avec beaucoup de dignité, je méprise de pareilles supercheries ; je ne veux pas de votre client postiche. — Vous le prendrez, dit-il en déchargeant un terrible coup de poing sur la tête du Turc ; aussitôt, chose étrange, je vis l’aiguille du cadran se mettre en mouvement et se fixer sur le chiffre 235. Je restai stupéfait devant un argument de cette puissance ; mais mon étonnement se transforma en admiration quand il m’eut expliqué que c’était un dynamomètre, instrument de diagnose appliqué à l’étude du retour des forces pendant la convalescence. En faisant frapper le malade tous les matins sur cette machine, on peut déterminer d’une manière exacte le régime qui doit être suivi ; on l’augmente et on le diminue, selon que le coup de poing donne un chiffre plus ou moins élevé. Comme on le voit, c’est un des instruments de diagnose les plus nécessaires, et le seul qui permette de conduire une convalescence avec quelque sûreté.
Cependant, ce dernier appareil augmentait de beaucoup mon bagage, et je vis bien que l’Auvergnat le plus robuste ne pourrait pas suffire à la tâche ; je me résignai donc mentalement à en prendre deux ; puis, réfléchissant que deux Auvergnats n’étaient que la monnaie d’un cheval, je me décidai pour ce dernier animal, qui pourrait, étant choisi un peu long, me porter avec tous mes instruments de diagnose.
J’avais le droit de croire ma collection complète et je marchais d’un pas résolu vers la caisse, lorsque mon infatigable cicérone me mit en face d’une grande paire de balances qui (au moyen d’un ingénieux mécanisme, solennellement approuvé par l’Académie) pouvaient se réduire à un volume portatif. Il voulut absolument joindre cette machine au reste de mes achats, sous prétexte qu’elle m’était tout à fait indispensable pour établir d’une manière exacte les variations qui peuvent survenir dans la pesanteur spécifique des malades. Je refusai avec énergie cet instrument de diagnose à l’usage des épiciers, et déclarai que, malgré l’ingratitude et autres agréments qui font du malade un animal insupportable, je ne consentirais jamais à le peser comme un pain de sucre ou un tonneau de raisiné. Malgré ses supplications, je me cramponnai à la caisse et demandai ma facture avec l’énergie d’un homme décidé à résister à toutes les séductions. On se rendit à mon désir ; mais, grand Dieu ! quel fut mon effroi quand je vis un total de 2,427 fr. 50 centimes ! Dans mon émotion, je lâchai le spiro-gazomètre de M. Bonnet, qui rendit en tombant un son déchirant ; je fus contraint de me séparer de tous ces merveilleux instruments, et je partis avec un modeste plessimètre, en maudissant la fortune qui m’empêchait de devenir un grand praticien.