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Les causeries du docteur

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XV

Les générations spontanées.
L’acclimatation des crocodiles. — Pharmacie thérapeutique.
La voix du sang.

Dans une des dernières séances de l’Institut, M. Victor Meunier a fait une lecture sur le sujet si controversé des générations spontanées. Comme un coursier fougueux qui pénètre dans un magasin de porcelaines, il a commis de véritables dégâts dans les usages académiques. Prenant à partie M. Pasteur, l’un des maîtres de la maison, il lui a décoché à bout portant des arguments d’une acidité assez énergique pour cautériser l’épiderme naturellement fort sensible des membres de l’Institut. Aussi, des tempêtes partielles ont menacé d’engloutir la communication avant qu’elle fût achevée.

M. V. Meunier a peut-être un peu oublié qu’il parlait devant la plus illustre des sociétés savantes, et qu’il ne faut pas mettre les pieds dans le plat de la maison qui vous donne l’hospitalité.

Le point de départ de la controverse relative aux générations spontanées est déjà si loin de nous, que vous l’avez probablement perdu de vue, en admettant qu’il ait jamais fixé votre attention. C’est un procès qui menace de durer autant que ceux des vieux Parlements.

Je vais donc vous résumer le débat aujourd’hui, pour que vous puissiez conter à vos petits enfants les origines de la querelle scientifique, dont ils verront peut-être un jour le dénouement.

Il s’agit de savoir si des êtres animés peuvent naître spontanément et sans avoir été engendrés par des êtres semblables. Si nous nous occupions de tambours-majors ou d’éléphants, l’affaire serait bientôt vidée, mais il n’est question ici que des infiniment petits, d’animalcules microscopiques dont les armées se livrent bataille dans une goutte d’eau.

La question, réduite à ces proportions, vous semblera futile si vous mesurez vos préoccupations au volume des êtres qui en deviennent l’objet, et il vous importera peu de savoir si une monade ou un vibrion, qui mesurent un centième de millimètre, ont le droit d’invoquer la recherche de la paternité, ou si, méprisant le préjugé des ancêtres, ils se créent de toutes pièces, sans qu’aucun ascendant puisse réclamer ces enfants-trouvés de la nature.

Cependant ne vous y trompez pas, la loi qui préside à la genèse des êtres est une, et ne souffre pas d’exception. Il suffirait donc d’établir la génération spontanée d’une monade et d’un vibrion pour qu’il soit admissible que dans une île déserte, dans quelque solitude sauvage (la nature entoure ses enfantements de mystère), des animaux d’une classe supérieure puissent reconnaître la même origine.

Il est, du reste, absolument hors de doute que la création des êtres n’a point eu lieu d’un même coup, comme on l’a cru si longtemps. Notre globe a été peuplé par séries successives ; la science est en mesure de le démontrer d’une manière indiscutable, et les apparitions de certaines espèces ont été séparées par de longues suites de siècles. Je reprendrai quelque jour, d’une manière spéciale, cet important sujet. Revenons à nos générations.

J’ai placé, il y a un mois, quelques pincées de foin dans un bocal contenant de l’eau filtrée ; j’ai examiné au microscope, presque tous les jours, une goutte de ce liquide, et j’ai vu apparaître successivement ou simultanément, en quantité prodigieuse, des monades, des vibrions, des enchelys, des volvox, des cyclidums, des kolpodes, des leucophrys, et bien d’autres petits êtres dont les formes sont assez différentes pour qu’on ait pu les classer en familles distinctes.

Cette foule est plus amusante à observer que celle qui encombre les boulevards ; elle a aussi ses affaires, ses besoins, ses passions, et si je vous racontais les mystères d’une goutte d’eau, je serais forcé de gazer plus d’un chapitre. Il est rare, lorsque l’œil s’attache au microscope, qu’on ne perde pas plus de temps qu’on n’avait l’intention de le faire, à regarder ces animalcules qui se cherchent, s’évitent, se heurtent et même se mangent ; car, dans le monde microscopique, c’est exactement comme chez nous : les gros vivent des petits et les dévorent à belles dents.

D’où proviennent ces myriades de microzoaires, dans un liquide qui n’en contenait pas un seul au début ?


Voilà toute la question. L’expérience élémentaire dont je viens de vous parler est celle qui a donné lieu au premier conflit des opinions.

— Ils sont nés spontanément dans le liquide, s’écrient les hétérogénistes, dont le chef est le savant professeur Pouchet, de Rouen.

— Ils existaient à l’état de germes ou d’œufs sur les végétaux de la macération, répondent les panspermistes, qui marchent sous le drapeau de M. Pasteur, de l’Institut.

De part et d’autre, on multiplia les expériences pour obtenir une solution certaine ; je ne les rapporterai pas toutes, car leur nombre est prodigieux. Je vous signalerai seulement les principales.

Pour écarter cette objection, que les végétaux des macérations contenaient préalablement les germes, les hétérogénistes portèrent par l’ébullition les liquides à une température telle que tout germe devait être nécessairement détruit. De plus, ils substituèrent aux macérations végétales des décoctions de viande, des solutions albumineuses, etc., et, cependant, les infusoires se reproduisirent comme par le passé.

— Vos germes ne proviennent pas des décoctions, dirent alors les panspermistes, mais ils sont apportés par l’air atmosphérique, qui les tient en suspension.

Cette objection était assez fondée, car les poussières de l’air, qui deviennent si apparentes lorsqu’un rayon de soleil traverse une pièce un peu sombre, contiennent un monde de débris organiques et inorganiques : des parcelles de substances filamenteuses, laine, coton, soie, lin ; des grains de diverses fécules ; des molécules de suie ; des fragments de toutes sortes d’insectes, des spores de végétaux microscopiques, des œufs d’une multitude d’infusoires, etc.

J’arrête ici ma nomenclature pour ne pas vous dégoûter de l’air que vous respirez, car si vous demandiez au microscope la révélation des immondices qui traversent vos bronches, vous seriez capables de vous soustraire par l’asphyxie au contact de ces impuretés.

La neige elle-même, dont on a tant vanté la blancheur immaculée, n’est point exempte de ces souillures : les flocons en traversant l’atmosphère logent dans leurs interstices les débris que je viens d’énumérer.

Vous connaissez donc maintenant la constitution des nuages de poussière qui se condensent en se déposant sur les meubles.

Il était assez naturel de croire que l’air en contact avec des liquides d’expérimentation déposait à leur surface quelques germes. Ceux-ci, une fois éclos, ne tardaient pas, en raison de la rapidité de leur reproduction, à donner naissance à des myriades d’individus de la même espèce.

— Et la preuve qu’il en est ainsi, dirent les panspermistes, c’est que si nous chassons, au moyen de l’ébullition, tout l’air que contiennent nos matras ; si dans cet état de vide aérien nous les soudons à la lampe, aucun organisme ne se développe.

— Arrêtez ! vous vous placez dans des conditions anormales ; pour que les générations spontanées se manifestent, il faut non-seulement un liquide complexe, mais encore le contact de l’air, nécessaire au développement de tous les êtres.

— Fort bien ! nous irons donc chercher de l’air sur les hauteurs, là où les poussières organiques n’existent plus.

Et M. Pasteur transporta, comme Moïse, son laboratoire sur le sommet de la montagne. Seulement son Sinaï était le Montanvert. Il remplit ses matras (dans lesquels il avait fait le vide), avec de l’air exempt de poussière. Le liquide ne donna naissance à aucun infusoire.

— Attendez, dit M. Pouchet, je veux aussi affronter les pics arides, et, à mon retour, je vous dirai si mes matras recèlent ou non la vie dans leurs flancs.

Le savant professeur escalada les Pyrénées et se hissa jusqu’aux glaciers de la Maladetta, en compagnie de MM. Jolly et Musset. Il fit sa prise d’air à mille pieds au-dessus de l’altitude choisie par son adversaire, c’est-à-dire en un point où les poussières aériennes étaient encore moins à redouter, et cependant ses matras devinrent le siége de générations spontanées.

Ce résultat infirmait celui obtenu par M. Pasteur. L’Institut nomma une commission pour juger de quel côté étaient les résultats exacts. MM. Pouchet, Jolly et Musset ne crurent pas devoir accepter le programme posé, et se retirèrent du débat. La commission opéra donc en leur absence, et donna raison aux expériences de M. Pasteur.

Parmi les faits présentés par ce savant, il en est un très-remarquable, et qui semble avoir une grande valeur. Il opère sur un liquide fermencestible dans un matras à col extrêmement étroit et plusieurs fois recourbé. L’air normal chassé de l’appareil, par l’ébullition, y rentre lentement pendant son refroidissement. Mais les poussières et les germes qu’il tient en suspension sont arrêtés par les sinuosités du tube, sur les parois duquel ils se déposent, et le liquide reste infécond.

Au moyen de cette disposition, la communication avec l’atmosphère est continue et ne subit aucune interruption, car, sous l’influence des changements de température, l’air contenu dans le matras se dilate, se contracte et se renouvelle ainsi peu à peu. Lorsqu’on soumet à l’analyse les poussières contenues dans le col, on y trouve des germes, qui, introduits dans le liquide, ne tardent pas à se développer.

Il est vrai que ces résultats ne sont pas absolument constants, mais leur fréquence est un argument très-sérieux en faveur de l’opinion qui consiste à admettre que le développement des organismes est dû aux germes transportés par l’air.

C’est contre cette expérience que M. V. Meunier a lancé sa dernière philippique ; en substituant plusieurs cols sinueux au col unique de M. Pasteur, il a vu ses matras envahis par les infusoires.

Tel est l’état de la question. Mes sympathies sont pour les hétérogénistes, leur philosophie est la mienne, et je crois que la nature créatrice n’a déposé sa démission entre les mains de personne ; cependant jusqu’ici j’avoue que les faits sont un peu plus favorables à M. Pasteur qu’à M. Pouchet.


Les naturalistes semblent agités de cette ardeur fiévreuse de découvertes qui prélude aux grandes époques scientifiques ; leurs travaux, plus nombreux que ceux d’Hercule, s’élancent complets de leurs cerveaux féconds, comme jadis Minerve sortit de celui de Jupiter ; ou comme les diables à ressorts s’élancent de leur boîte au nez des passants.

Il y a surtout un petit projet d’acclimatation des crocodiles qui me paraît plein d’originalité ; cette idée ingénieuse est partie du Jardin des Plantes, et, franchement, elle devait bien venir de là.

Le savant qui a consacré sa vie à l’acclimatation et à la reproduction de ces sauriens, trouve probablement que la pêche du goujon n’est pas assez dramatique, et que le cours des fleuves, rivières et ruisseaux, serait infiniment plus pittoresque, s’il était émaillé de crocodiles et de caïmans qui viendraient l’été folâtrer dans les jambes des baigneurs et baigneuses.

Cependant, s’il veut faire participer les crocodiles aux jouissances de la vie civilisée, il faut bien lui rendre justice : ce n’est pas exclusivement pour l’agrément du coup d’œil et pour la satisfaction personnelle de ces reptiles qu’il s’est mis en de tels frais d’imagination ; le but de ce savant est beaucoup plus sérieux : il veut faire du crocodile un succédané du bœuf ou du mouton, il veut le transformer en VIANDE DE BOUCHERIE !!!

Il était écrit, dans le livre de la destinée, que tous les dieux dégommés de l’antique Égypte finiraient par être plongés dans le Tartare du pot-au-feu. Jusqu’ici le crocodile, seul entre tous, avait échappé à la fourchette des gastronomes, mais il paraît que l’heure fatale a sonné pour lui.

Espérons, grand Dieu ! que l’ombre de Sésostris viendra la nuit tirer par les pieds l’audacieux qui osera porter la main sur l’animal sacré ! espérons que les pyramides lui jetteront leurs pierres à la tête pour protéger leur dernier dieu.

Mais, au fait, je n’ai point d’aïeux parmi les momies d’Égypte ; je ne vois pas pourquoi je m’attendrirais sur les destinées des divinités du Nil, et même, en y réfléchissant, je trouve à ce projet quelque chose de hardi qui me touche, surtout si son auteur a, comme je n’en doute pas, l’intention d’attraper lui-même les sauriens dont il veut doter sa patrie.

Cependant, je l’avouerai tout bas, cette idée a bien ses petits inconvénients, et jusqu’à ce que les crocodiles soient complétement civilisés, ce qui ne saurait tarder, car l’auteur du projet a certainement en réserve de petits moyens pour cela, je conseillerai aux baigneurs de substituer au modeste caleçon de bain une armure complète moyen âge. Ce vêtement serait, pour nager, peut-être moins commode que le caleçon, mais il serait plus sûr. Je donnerai le même conseil aux pêcheurs à la ligne, car il se pourrait qu’un beau jour un pêcheur ramenât au bout de son crin un alligator au lieu d’une ablette, et des deux bêtes, il est probable que celle qui tiendrait la ligne serait la plus embarrassée.

Vous dirai-je le nom du savant qui a consacré sa vie à l’acclimatation de ces aimables bêtes ? Je n’ose, je craindrais d’effaroucher sa modestie ; car il est modeste comme tous les gens d’un génie hors ligne. Cependant, pour ne priver personne du plaisir de contempler un zoophile aussi distingué, je préviens mes lecteurs qu’il est visible tous les jours, de dix heures à quatre heures, au Jardin des Plantes ; mais je les prie de croire qu’il ne fait pas du tout partie des collections, et que c’est uniquement en qualité de préparateur qu’il appartient à l’établissement. Lorsque l’empaillage des poissons et le vernissage des reptiles lui laissent quelques loisirs, on le trouve le plus souvent entre la quatrième et la cinquième côte de la baleine, dans une pose gracieuse et méditative, l’œil perdu dans le bleu de l’espace, songeant à la perfectibilité des bêtes, rêvant qu’un crocodile a trouvé le portefeuille de M. de Rothschild, et qu’il refuse avec énergie la récompense honnête que le banquier veut octroyer à sa probité.

Le naturaliste du Jardin des Plantes a dû étudier avec soin les habitudes, inclinations et passions de l’animal qu’il veut acclimater ; qu’il me permette cependant de lui signaler un trait de ses mœurs qui lui a probablement échappé, car il n’en fait pas mention.

Lorsque le crocodile fait sa digestion, il dort sur le rivage, la gueule ouverte, comme un simple épicier enrhumé du cerveau. Alors un échassier de la famille des pluviers s’installe devant cette redoutable gueule et procède au nettoyage des dents du reptile, qu’il débarrasse des matières organiques et des insectes qui font élection de domicile entre ses organes masticateurs ; le volatile exécute ce nettoyage avec une habileté d’autant plus remarquable que les instruments usités en pareil cas sont totalement inconnus sur les bords du Nil.

Il faut donc, sous peine de rendre le crocodile très-malheureux, acclimater en même temps que lui le pluvier, que la nature a fait son cure-dents, ou créer une chaire d’hygiène dentaire en faveur des crocodiles ; car il paraît complétement avéré que ces intéressants animaux n’ont jamais su jusqu’à présent exécuter eux-mêmes cette partie de leur toilette.

Puisque les crocodiles doivent remplacer le bœuf, je désirerais qu’on les mît à même, au moyen d’une éducation convenable, de rendre quelques petits services à la société. Je ne demande pas qu’on les fasse pincer de la guitare ou jouer aux dominos ; mais, enfin, je voudrais qu’on tirât parti de leur civilisation.

Ne pourrait-on pas en faire un succédané du Terre-Neuve en les exerçant à rapporter — complets — les gens en train de se noyer ? On ferait bien, dans ce cas, de décerner des médailles de sauvetage aux plus zélés pour encourager les autres.

Je possède des amis et confrères qui cultivent avec bonheur le canotage dans l’archipel de Neuilly. Ces marins, malgré leur expérience nautique, trouvent que les raidillons sont trop durs à remonter. Ne serait-il pas possible d’utiliser les crocodiles au remontage des canots dans les raidillons et autres endroits où le canotage devient un métier de galère ? Il suffirait pour cela d’imiter les omnibus qui mettent un cheval au bas des côtes.

Je signalerais bien d’autres moyens d’utiliser le crocodile à l’ingénieux naturaliste du Jardin des Plantes, mais j’attendrai pour cela qu’il ait résolu le problème qui fait le tourment de ses jours et le cauchemar de ses nuits.

Un doute terrible lui déchire le cœur : Les crocodiles pourront-ils se reproduire en France !!!!! Tout l’avenir de son projet repose sur la solution de cette question. En effet, dans le cas où ces sauriens ne pourraient pas se reproduire, il est douteux que le gouvernement établisse un service spécial de bâtiments destinés à l’importation de cette denrée.

Pour résoudre ce problème, le savant naturaliste fait en ce moment une expérience qui n’aboutit pas ; il couve, depuis sept mois, sous son gilet de flanelle, trois œufs de crocodile, dont un rouge ; la couleur de ce dernier l’a d’abord un peu surpris ; mais en réfléchissant que, pendant le carême, les poules en France produisent des œufs rouges, il a supposé que l’œuf avait été pondu vers Pâques, ou qu’il appartenait à une espèce rare et non encore décrite.

Tous les matins depuis sept mois, il regarde les œufs qu’il porte, non dans, mais sur son sein, et chaque jour il s’écrie avec désespoir :

— Ils n’écloront donc pas !

Hélas ! je le crains, car ces trois œufs de crocodile (dont un rouge), achetés au poids de l’or à un faux nègre des sources du Nil, ne sont que des billes de réforme dont l’existence, bouleversée par les carambolages, s’est usée sur le tapis vert d’un estaminet de la place du Caire.


La France est un vrai pays de Cocagne pour messieurs les charlatans ; tout le monde peut y faire de la médecine, excepté pourtant les pauvres médecins, qui n’en font pas toujours autant qu’il le faudrait pour vivre.

Les parfumeurs ont planté leur drapeau sur notre domaine en créant la parfumerie hygiénique ; si je ne m’abuse, l’hygiène est bien une des branches de l’art de guérir. Des forbans vulgaires se seraient contentés de cette usurpation, et le titre d’hygiénistes aurait suffi à leur ambition. L’appétit vient en mangeant, et les parfumeurs, qui ressemblent à des chimistes comme les escamoteurs ressemblent à des physiciens, ont mis les deux pieds dans la science en imaginant la PARFUMERIE THÉRAPEUTIQUE. On peut voir la chose en grandes lettres d’or sur une enseigne de la rue Neuve des Petits-Champs.

Dieu ! la belle thérapeutique qu’on doit faire avec des pommades à la rose et des savons au jasmin !

Espérons que ce bon exemple sera bientôt contagieux, que MM. les tailleurs vont confectionner des habits thérapeutiques ; MM. les cordonniers des bottes chirurgicales (pas celles de Junod), et MM. les épiciers des denrées médico-coloniales. Alors, les médecins seront réduits à la cruelle nécessité de faire des culottes et des bottes ordinaires pour ne pas mourir de faim.


O nature ! tu n’abdiques jamais tes droits, et les cœurs les plus stoïques, les roués les plus régence, les diplomates les plus impassibles, finissent, — lorsqu’ils sont encore jeunes, — par obéir à ta voix, si elle se fait entendre.

Il était une fois, à la Salpêtrière, un interne en pharmacie nommé C…; depuis, il a quitté le tablier officinal pour la trousse de docteur. Jeune, possédant un cœur de son âge, il avait épousé… de la main gauche, une cuisinière de l’établissement. Ce mariage morganatique eut un résultat imprévu, mais dont il aurait dû se méfier ; la taille de Margot s’arrondit ; inutile de dire que la crinoline était totalement étrangère à cet arrondissement.

Le jeune C… examinait avec une émotion cachée cette modification physiologique. Son œil pseudo-paternel interrogeait l’avenir ; il voyait déjà son fils futur (il comptait sur un fils) orné du tablier de l’interne ; il rêvait pour lui un avenir plein de gloire. Mais hélas ! un accident imprévu vint arrêter cet avenir dans son germe ; Margot fit un faux pas, ce n’était pas le premier, il est vrai, mais celui-ci fut suivi d’une chute en bas d’un escalier, et le jeune C… goûta les douceurs de la paternité six mois avant l’époque fixée par la nature. Paternité d’autant plus douce, qu’elle était exempte des inconvénients généralement attachés au titre de père.

Adieu rêves d’avenir ! il ne devait plus songer aux mois de nourrice, à l’éducation de ce fils né posthume, mais au moins le destin barbare ne pouvait l’empêcher de pourvoir à sa conservation ; il l’emporta donc dans les profondeurs de la pharmacie, et se mit à chercher un bocal suffisant pour loger sa progéniture. Il se bornait à employer simplement les procédés alcooliques de conservation usités par la mère Moreaux à l’égard de ses prunes et chinois.

C… avait entouré ses amours d’un manteau couleur de muraille, et il repoussait avec force les allusions dénuées de preuves que ses collègues se permettaient sur ce sujet.

Lorsque l’accident survint, on commenta l’intérêt que notre héros semblait prendre à ce fruit d’une union discrète. Mais C… repoussait, avec toute l’énergie d’un interne en colère, l’interprétation dont il était victime. Il prétendait jouer envers cet embryon, non pas le rôle d’un père, mais celui d’un simple bienfaiteur.

Hélas ! pendant qu’il cherchait l’alcool conservateur qui devait assurer une existence indéfinie à cet enfant de l’amour et du hasard, Seringua, le chat de la pharmacie, sauta sournoisement sur la table du laboratoire. Un chat d’hôpital mange de tout ; il vit le fils de C… déposé près du bocal qui devait être son mausolée, il s’en saisit et opéra une retraite aussi rapide qu’imprévue.

A ce spectacle horrible, C… sentit vibrer dans son cœur toutes les cordes de la paternité ; il oublie que sa devise fut : Amour et mystère ! il pousse un cri de désespoir et s’élance à la poursuite de Seringua en s’écriant :

— Arrêtez !… arrêtez !… arrêtez le chat qui emporte mon fils !…

L’histoire raconte qu’à Florence, en pareil cas, une mère put arracher son enfant à la gueule d un lion ; C… fut moins heureux, il arriva trop tard… Seringua avait terminé son horrible festin… Feu le jeune C… était consommé. Pour conserver un souvenir de sa paternité éphémère, l’interne infortuné fut contraint d’enfermer dans un bocal l’infâme Seringua qui avait servi de tombeau à son fils.

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