Les causeries du docteur
XX
Les trichines.
L’hygiène des hôpitaux. — Un oculiste. — La marée Babinet.
La Médaille et ses revers.
Enfin ! nous avons donc des trichines à Paris, on ne sera plus réduit à traiter ce sujet, qui passionne la peur du public, d’après le récit des blonds fils de l’Allemagne ; nous pourrons tout à notre aise étudier les habitudes de ces nématoïdes.
Si vous êtes désireux de vous en procurer n’allez pas en demander aux charcutiers, ils n’en tiennent pas, le produit est encore rare et ne se trouve pas dans le commerce. J’avais l’intention de les proposer en prime aux lecteurs de l’Événement, mais, en ce moment, il n’y en aurait pas pour tout le monde.
J’attends qu’un abonné se dévoue à leur reproduction. Car, je vous l’ai déjà dit, ils ne multiplient que dans l’être vivant ; il est vrai que leur vertu prolifique est telle qu’un seul abonné fournira de la graine à tous nos lecteurs.
Mes trichines ont été expédiées directement de Berlin par le savant professeur Virchow, au professeur Ch. Robin, lequel a bien voulu me céder un morceau d’un pauvre Allemand qui ne faisait pas assez cuire ses saucisses. Je possède également une portion du porc trichiné qui a été son bourreau.
J’ignore si cela tient aux fatigues du voyage, à un commencement de nostalgie, ou si elles proviennent de sujets enclins aux idées tristes, mais ces trichines ont une physionomie toute mélancolique. Elles se prêtent de mauvaise grâce à l’observation et semblent bouder le microscope. Je puis cependant vous assurer que j’ai fait tous mes efforts pour leur faire oublier leur patrie.
Véritablement, il est impossible de reconnaître à l’œil nu la viande trichinée si l’on n’est pas prévenu.
Avec beaucoup d’attention, on aperçoit un semis de petits grains blanchâtres ovoïdes, d’un demi-millimètre de diamètre : ce sont les kystes qui renferment l’animalcule. Lorsque l’enkystement n’est pas encore opéré et que les trichines sont libres dans le tissu, on ne peut les voir sans l’aide d’un instrument amplifiant.
Jusqu’à présent je n’ai point à modifier ce que j’ai dit dans ma causerie consacrée aux trichines (et qui a été déjà mise bien des fois à contribution, sans indication d’origine), si ce n’est, qu’après avoir isolé et brisé l’enveloppe calcaire de l’un de ces kystes je l’ai trouvé vide, ce qui est fort rare.
Cependant j’espère avoir trouvé un procédé de trichinoculture qui permettra d’obtenir la reproduction des trichines dans un autre milieu que l’intestin d’un animal vivant.
— A quoi bon ?
— Il est de principe, en stratégie, d’étudier les mouvements de son ennemi, et jusqu’à présent nous n’avons jamais saisi sur le fait le mécanisme intime de la reproduction trichinaire. Ce que nous en savons repose sur des inductions que je crois rigoureusement exactes, mais dont l’évidence sera bien plus manifeste quand elle aura subi le contrôle de l’examen direct.
Voici mon procédé d’expérimentation, et j’espère que quelques-uns de mes confrères en tireront parti : de la multiplicité des expériences jaillissent les faits nouveaux.
Nous possédons en médecine deux agents de digestion artificielle, la diastase et la pepsine. Si on place un morceau de viande en contact avec la pepsine dans un vase maintenu à une température de 40° centigrades, on le voit se dissoudre en vingt-quatre heures et se transformer en peptone, comme dans la digestion stomacale d’un animal vivant. Cette propriété est journellement utilisée chez les individus atteints de dyspepsie. La pepsine alors détermine une digestion artificielle que l’estomac malade ne peut accomplir seul.
En plaçant de la viande trichinée dans ces conditions, elle est bientôt digérée artificiellement. L’enveloppe kystique se dissout et les animalcules, mis en liberté, se trouvent exactement dans les mêmes conditions que dans l’intestin d’un animal et ils acquièrent leur aptitude à la reproduction. J’ai déjà exécuté cette partie du programme.
En continuant l’expérience, les embryons trichinaires ne peuvent naturellement opérer leur migration en dehors du milieu qui les contient. Ils doivent devenir adultes sous l’œil de l’observateur, sans passer par la période d’enkystement, et donner lieu à une nouvelle génération d’animaux semblables. Le résultat exige, pour se produire, un temps qu’il m’est difficile de déterminer d’avance. Mais j’espère qu’en suivant cette voie on verra surgir des faits de nature à éclairer quelques points encore obscurs de l’histoire des trichines.
Puisque l’infortuné porc est en ce moment chargé de malédictions comme au temps d’Israël, je n’ajouterai guère à l’horreur qu’on lui témoigne, en vous révélant que nous lui devons également le ver solitaire. Je lui jette donc sans remords cette dernière pierre.
Le porc est souvent atteint d’une maladie nommée ladrerie. Elle est caractérisée par la dissémination dans ses tissus de vers ayant l’apparence de petites vésicules et qui portent le nom de cysticerques.
Küchenmeister a récemment démontré que les cysticerques ne sont que les embryons d’un ver plus redoutable, et, qu’avalés par un animal, ils subissent, dans l’intestin, des transformations analogues à celles des trichines ; ils s’allongent, se développent et deviennent ces interminables ténias qui ont dix fois la longueur de l’homme qui les nourrit dans ses entrailles. Le cysticerque est plus volumineux que le kyste des trichines, et sa vitalité est également détruite par la cuisson.
Malgré ces inconvénients, je mange du porc plus souvent que jadis, seulement j’ai soin qu’il soit bien cuit. Ce n’est pas que je l’aime, mais j’ai vraiment pitié de ces pauvres charcutiers, dont la boutique est tombée dans le marasme. Lorsque je les vois les bras croisés, accoudés sur leur porte, implorant d’un œil triste le passant qui fuit épouvanté, je me dis : Il faut encourager les arts et faire vivre les charcutiers.
En vérité, le Français n’est pas poltron, mais quand il s’y met il fait bien les choses, surtout lorsqu’il s’agit de maladie. Sur quelque quarante millions de citoyens on n’a pas encore observé chez nous un seul cas de trichinose, cependant depuis trois mois on voit des trichines partout et on se laisserait mourir de faim devant un plat de jambon.
La question de l’hygiène hospitalière a été vivement agitée dans ces derniers temps. La reconstruction de l’Hôtel-Dieu l’a mise à l’ordre du jour. Son importance est considérable, et l’humanité exige que les malheureux qui viennent réclamer un lit à l’hôpital reçoivent des secours aussi efficaces que possible.
Vous ne pouvez vous faire une idée de l’immense complication du service de l’assistance publique, et de l’ordre admirable qui règne dans l’administration des secours ; de la propreté, des soins minutieux que les malades reçoivent dans nos hôpitaux. Le service médical est fait par l’élite des praticiens, et le titre seul de médecin d’hôpital est un brevet de capacité hors ligne, car on ne l’obtient qu’après de pénibles concours, et vingt compétiteurs se disputent une place.
Le zèle et les soins les mieux dirigés, échouent devant certaines conditions matérielles, et la construction, la disposition du bâtiment jouent un grand rôle dans les succès qu’on y obtient.
Depuis bien longtemps on était attristé par la mortalité terrible qui sévit sur nos Maternités. La parturition est une fonction physiologique, et cependant la fièvre puerpérale tue dans les hôpitaux une femme sur dix-neuf. Dans la pratique de ville au contraire, malgré la misère trop fréquente, les privations, et les plus mauvaises conditions hygiéniques, on ne perd qu’une femme sur cent soixante-dix environ.
Le directeur de l’Assistance publique, dans l’espoir d’améliorer cette triste situation, a chargé le docteur J. Le Fort d’aller étudier les Maternités de l’Angleterre, de l’Allemagne et de la Russie. M. Le Fort vient de publier, sous le titre : les Maternités, le résultat de cette vaste enquête. Ce travail considérable, lamentable histoire des misères humaines, ajoute à des faits connus des documents nouveaux qui intéressent et les médecins et les esprits sérieux préoccupés des hautes questions sociales. Il met en évidence la nécessité, déjà entrevue, d’encourager le développement des secours à domicile pour soustraire les femmes à cette horrible fièvre puerpérale qui envahit les Maternités.
M. U. Trélat, chirurgien en chef de la Maternité de Paris, a publié sur le même sujet un vigoureux mémoire ayant pour titre : les Hôpitaux ; assistance et hygiène, que je recommande à votre attention.
L’administration s’efforce de suivre la voie que lui tracent les médecins, qui sont les meilleurs juges en ces matières, et tout nous fait espérer que bientôt nous n’aurons plus rien à envier, sous ce rapport, aux étrangers.
La pioche municipale démolit en ce moment une maison sordide et rachitique située rue de la Monnaie. C’est là que le docteur D… avait jadis son dispensaire.
Les commencements du savant oculiste, maintenant millionnaire, furent assez pénibles ; il soignait plus de gens malpropres que de têtes couronnées, car son propriétaire avait fait peindre dans l’escalier cette légende :
Les malades sont priés de ne pas faire leurs ordures dans l’escalier.
M. Babinet, beau comme Socrate, possède comme Socrate un démon familier : c’est le démon des tireuses de cartes et de la pronostication. Démon de M. Babinet ! tu as dû longtemps habiter le corps d’un homme, car tu es diablement sujet à l’erreur.
Un jour M. Babinet se sentit secoué par son diable ; il monta sur son fauteuil à trois pieds, agita dans l’air son inculte chevelure, s’essuya les yeux avec son mouchoir à carreaux bleus, et, d’une voix enrouée, imita de son mieux la sibylle de Cumes.
Il prophétisa ! il voyait l’Océan soulevé par une marée comme on en voit peu, comme on n’en voit guère, comme on n’en voit que tous les cent ans : des vagues plus hautes que les Pyrénées, des maisons roulant dans les flots écumeux, des navires lancés à travers les nuages, des hommes noyés, des femmes noyées, des bêtes noyées : un vrai passage de la mer Rouge. Cela devait être drôle.
Je me dis : On ne sait ni qui vit ni qui meurt ; dans cent ans je ne serai peut-être plus de ce monde. Il faut que j’aille voir la marée Babinet. — Je me dirigeai vers le train de plaisir, muni des provisions et vivres nécessaires à un homme qui va visiter des villes tout à fait submergées. Mais, hélas ! le train de plaisir était complet ; les badauds qui croient encore aux prédictions de Babinet-Lænsberg ne m’avaient point gardé une place.
Il est parti le convoi… funèbre de mes espérances ; me faudra-t-il attendre cent ans la marée Babinet ? Hirondelle légère, prends-moi sur tes ailes et ne t’arrête qu’aux rives de l’Océan ! Mais le convoi était parti et les hirondelles n’étaient pas encore venues. Le train express entendit mes lamentations, eut pitié de mes larmes et me reçut dans son sein.
Nous partons, mais sans dévorer l’espace. La machine se traînait nonchalamment sur les rails et s’arrêtait à chaque instant pour regarder l’heure à l’horloge du ciel. Mon cœur bouillonnant s’élançait à travers la portière au-devant de la marée Babinet : il me semblait par moments entendre le bruit de la mer, je croyais voir les flots impatients accourir au-devant de nous… Erreur ! les ronflements des bourgeois qui m’entouraient troublaient seuls le silence de la nature. Ah ! m’écriai-je dans mon désespoir, nous arriverons quand la marée Babinet sera couchée.
Je pus enfin contempler les palais de marbre, les monuments merveilleux, les chefs-d’œuvre des arts qui font de la noble cité de Dieppe la reine des bords de l’Océan. Je pus fouler enfin les galets de sa plage, si admirablement ronds qu’on les prendrait pour des œufs de dinde ou pour les billes réformées du billard de Neptune : des galets qui dévorent une paire de bottes par kilomètre de promenade ! J’admirai tout, — excepté la marée Babinet. J’étais dans la situation de Vatel : la marée était en retard, la marée n’arrivait pas.
Je vis là un artiste qui couvrait une toile presque aussi rapidement que la lame vient couvrir la plage. Son pinceau pétrissait la mer avec une fougue énergique. La vague écumeuse semblait exaspérée de se voir dompter par cette main magistrale, qui la saisissait au passage avant qu’elle ait eu le temps de retomber dans l’Océan. Je reculai involontairement devant ces flots si parfaits qu’ils semblaient vouloir s’élancer sur moi, pour me punir d’avoir douté de Babinet[4].
[4] J’appris plus tard que cet artiste était M. Jugelet, un des beaux talents de notre époque, et qui a conquis aux expositions toutes les distinctions qui honorent le mérite hors ligne.
Après avoir admiré ces efforts de l’art, je voulus admirer aussi l’établissement des bains de mer, qu’on appelle Frascati dans le pays. Je lui trouvai d’abord, il est vrai, l’aspect délabré d’un cirque de province ; les planches bariolées qui forment les murailles me rappelaient ces Turcs qu’on rencontre, le mardi gras, dans la rue Mouffetard ; mais il faut attribuer cette illusion d’optique aux rafales de la tempête et aux tourbillons de neige qui vinrent aveugler mes yeux et obscurcir mon jugement.
Enfin, vers le milieu du jour, le soleil, honteux de se faire, par son absence, le complice d’un pareil guet-apens, le soleil nous envoya quelques-uns de ses plus pâles rayons sur le dos d’un vent nord-ouest, qui n’eut pas même l’intelligence de s’en réchauffer pour passer moins glacial sur nos fronts. — Je guettai jusqu’au soir sur la jetée, en compagnie de beaucoup d’autres badauds, les yeux braqués sur l’horizon, attendant la marée, la tempête, les catastrophes. Nous ne vîmes rien venir ; la mer était calme, mais la tempête était dans nos cœurs, et le nom de Babinet, fabricant d’almanachs, ne sortait de nos lèvres violettes et frémissantes qu’escorté d’un cortége d’imprécations.
Vers le coucher du soleil, un digne naturel du pays eut pitié de moi, il m’emporta au chemin de fer avec les plus grandes précautions : le froid m’avait rendu fragile ; alors je repris mes sens — et la route de la capitale, que je n’aurais pas dû quitter.
Pendant le voyage j’eus un sommeil accidenté par un songe affreux. Je vis M. Babinet dans son costume de membre de l’Institut ; il avait à la main une corbeille pleine de petits horoscopes renfermés dans des coquilles de noix dorées. Il disait : « Approchez-vous tous qui voulez connaître le passé, le présent et l’avenir ; achetez mes horoscopes ; vous y trouverez votre âge, le lieu de votre naissance, la manière de vous conduire en société, les héritages, pertes, malheurs, procès qui vous arriveront jusqu’à votre mort, et même encore après. Je les vends dix centimes, et je donne en prime aux amateurs : un passe-lacet, une pelote de ficelle et un exemplaire de l’almanach prophétique dont je suis l’auteur. »
Par bonheur, je reçus d’un voisin un coup de pied qui m’éveilla au moment où j’allais acheter un horoscope.
En vérité, je vous le dis, monsieur Babinet, vos erreurs météorologiques vous rendent digne de collaborer à l’Annuaire du Bureau des longitudes. Si vous désirez mourir en paix avec vos semblables, ne pronostiquez plus. Si vous voulez qu’à votre lit de mort je vous pardonne mon voyage à Dieppe,
Il existe de par le monde un monsieur de science, — (je ne dis pas un homme, cela sent la plèbe et il appartient à l’aristocratie de la chose), — que la destinée a favorisé d’environ deux millions de fortune. M’est avis qu’il pourrait, sans compromettre l’avenir de ses héritiers, dépenser un peu plus de dix-huit cents francs par an pour le vivre, le couvert, etc., etc., et ne pas se condamner à perpétuité à la tasse de lait et au pain d’un sou, lorsqu’il ne mange pas en ville. Mais, après tout, c’est son affaire ; il a droit de penser le contraire et de placer la ladrerie au nombre des vertus qui doivent orner le cœur de l’homme. Or, il advint qu’un jour, une société savante lui décerna un prix de dix mille francs — un joli denier.
Cette couronne aurait pu tout aussi bien tomber sur un autre front, sans que dame Justice s’en montrât trop scandalisée. Mais la sagesse des nations l’a dit : L’eau va toujours à la rivière et les écus vers les grands sacs. Je suis pourtant très-disposé à reconnaître que notre deuto-millionnaire n’est pas sans mérite, il a fait jadis des travaux très-estimés, et si ses découvertes n’ont pas été plus nombreuses, cela tient uniquement à ce que le charbon est coûteux et qu’il n’est pas homme à se ruiner en combustible pour faire des expériences qui, peut-être, ne lui auraient rapporté aucun profit.
Le grand jour de la distribution des prix arriva. Mais le ciel qui parfois proteste à sa manière contre les sottises humaines, le ciel se voila d’épais nuages, ouvrit ses cataractes sur le dos du lauréat et le transperça jusqu’à la peau. Situation cruelle, car la route était longue et le pauvre deuto-millionnaire n’a jamais connu, à ses frais, les douceurs du véhicule ; il a même supprimé depuis longtemps de son budget le chapitre relatif aux parapluies, comme constituant une dépense folle, ruineuse et inutile.
C’est donc trempé jusqu’aux os, et crotté jusqu’au collet de son habit (historique), qu’à l’appel de son nom, il se précipita dans les bras de papa Soleil, le président, pour recevoir l’accolade sacramentelle qui forme l’accompagnement inéluctable de la médaille. Le président mouillé fut immédiatement pris d’un rhume de cerveau.
Papa Soleil a un autre nom qu’il daigne apposer au bas des travaux de ses aides, mais je le tairai pour ne pas lui rappeler le faible point de contact qui le rattache à l’humanité ; il est Soleil du haut en bas, jamais cheval de corbillard de première classe n’a porté si haut sa tête empanachée, jamais Jupiter olympien n’a abaissé un regard plus superbe sur les humbles mortels ; jamais paon faisant la roue n’a eu pour sa rayonnante personne une plus légitime admiration. Lorsqu’il daigne se mêler à la foule, son air, sa voix, son geste, toute sa personne semble dire : Inclinez-vous, faibles humains, c’est moi le papa Soleil, non cet astre vulgaire qui fait pousser les choux et les carottes, mais le grand soleil resplendissant qui vivifie la science et fait pousser les savants.
Notre deuto-millionnaire éprouva une vive satisfaction à sécher un peu son habit sur le cœur de papa Soleil ; mais cette satisfaction était mêlée d’impatience, il avait hâte d’accomplir la deuxième partie du programme et de passer à la caisse pour toucher les dix mille francs.
Le caissier le prit non pour un lauréat, mais bien pour un sauveteur qui vient de repêcher un noyé dans le macadam. Notre héros finit par établir son identité, et on lui compta neuf mille cinq cents francs.
— Vous faites erreur, monsieur le caissier, mon prix est de dix mille francs.
— Il est vrai, monsieur ; mais on vous a remis une médaille d’or de cinq cents francs qui forme l’appoint.
— (Tirant la médaille de sa poche et la tournant en tous sens.) Alors elle vaut cinq cents francs ?
— Oui, monsieur.
— Diable ! diable ! cela me contrarie beaucoup ; j’avais compté sur dix mille ! Vous comprenez, c’est fort désagréable. Diable ! diable !… Mais au fait, puisqu’elle vaut cinq cents francs, ne pourriez-vous pas me la reprendre et m’en donner la valeur ? (Rigoureusement historique.)
Le caissier, en rougissant beaucoup — pas pour son compte, — remit quatre cent cinquante francs au deuto-millionnaire.
— Ah ! permettez, cette fois vous vous trompez ! Vous avez dit cinq cents, il manque cinquante francs.
— C’est le prix de la gravure et de la façon, votre nom est sur la médaille, on ne peut pas la donner à un autre.
— (Le lauréat sort furieux.) Cinquante francs ! cinquante francs de gravure ! c’est horrible ! moi qui comptais sur dix mille francs.
Vers la même époque, une pauvre femme avait reçu de l’Académie la médaille d’un prix Montyon. Un jour, la maladie, le malheur s’abattirent de compagnie sur son humble toit ; le ménage fut vendu pièce à pièce ; la pauvre femme supporta la misère en silence ; elle eût rougi de tendre la main à la société, de lui demander un secours, juste et faible rémunération d’une longue existence pouvant se résumer en deux mots : vertu et dévouement.
Cependant cette misère silencieuse fut devinée par d’honorables protecteurs, qui organisèrent une souscription afin de lui venir en aide. Un ami lui en porta le montant et la trouva assise sur son lit, unique meuble échappé au naufrage.
— Ah ! pauvre dame, j’arrive bien tard ; que vous avez dû souffrir !
— Vous le voyez, monsieur, tout y a passé (tirant la médaille de son sein), excepté cela, pourtant ; on meurt de faim, mais on ne vend pas cela, c’est de l’honneur.