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Les causeries du docteur

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XIII

Les sangsues cholériques.
Hauteur des vagues de la mer. — La commission d’ethnologie.
Un chien oviglotte. — Les hernies du grand monde.
Un homme qui n’a pas d’opinion.
L’acide sulfurique.

Enfin vous connaissez la cause, jusqu’ici introuvable, du choléra. Le fléau s’est démasqué devant Madame de Castelnau. Ce qu’il avait refusé avec obstination aux investigations de la science, il l’a accordé à une dame, on n’est pas plus galant. Vous savez donc maintenant que le choléra est constitué par une nuée de sangsues volantes, microscopiques, nées dans les marais fangeux de l’Inde, et qui de là se répandent urbi et orbi.

Madame de Castelnau, l’auteur de cette grande découverte, en élève dans un aquarium et en tient à la disposition des Académies des sciences et de médecine, car elle a pris soin d’expédier le résultat de son observation à ces deux sociétés savantes, afin que nul n’en ignore.

Je n’aurais rien dit de cette absurde communication, œuvre d’un mystificateur ou d’un cerveau fêlé, si quelques journaux qui font de la science comme M. Jourdain faisait de la prose, tout naturellement et sans l’avoir apprise, ne lui avaient accordé une certaine importance.

Il faut être aussi complétement étranger aux études micrographiques qu’à l’histoire naturelle pour admettre la possibilité des sangsues volantes ; l’organisation des annélides leur interdit absolument l’annexion d’un appareil destiné au vol ; et attribuer une paire d’ailes à un microsaire est un barbarisme beaucoup plus énorme que de les attacher sur les valves d’une huître. Il existe en histoire naturelle des lois générales dont l’auteur ne se doute nullement.

Il lui était, du reste, extrêmement facile de joindre à sa communication quelques échantillons de sangsues volantes. Leur transport n’eût pas été ruineux, car, d’après les dimensions qu’on leur attribue, il serait facile d’en expédier quelques milliers entre deux timbres-poste.

Je n’ai pas fouillé les archives de la noblesse, et j’ignore s’il existe beaucoup de comtes de Castelnau, mais j’en connais au moins un, qui était un des plus brillants écrivains de la presse scientifique avant de se retirer sous sa tente, et je suis bien certain que le nom qui est en bas de cette communication n’appartient pas à sa famille.

A propos de choléra, l’administration vient de publier le nombre des victimes de l’épidémie, la liste est définitivement close ; et les personnes qui sont dans l’intention de mourir sont invitées à choisir un autre genre de trépas. Les plus grandes recommandations seraient insuffisantes pour obtenir même une simple cholérine, le registre est fermé, on n’en fait plus.

Le chiffre total des décès s’est élevé, pour Paris, à 5,838 ; le 20e arrondissement, qui a été le plus épargné, en compte 77, et le 17e, le plus rigoureusement frappé, 423.


M. Coupevent-Desbois vient de présenter à l’Institut un travail sur la hauteur des vagues de la mer. Les navigateurs ne seront pas fâchés de savoir jusqu’où peut aller la colère de l’Océan quand il entre en furie. M. Coupevent-Desbois, qui a fait un peu plus que le tour du monde dans ses voyages d’exploration, a pu s’en rendre un compte exact. Il a donc pris la mesure des plus hautes vagues que les efforts de la tempête lancent vers les cieux. Ce qui est un peu plus difficile que de prendre la mesure d’un gilet ou d’un pantalon.

J’ai souvent entendu parler de lames hautes comme des montagnes, mais j’y croyais sur la foi d’autrui, n’en ayant jamais vu. Il est vrai que j’ai plus fréquenté les bords de la Seine que ceux de la grande mer. Au temps de l’Iliade, Neptune, encore jeune, avait peut-être assez de vigueur pour soulever les flots en montagnes liquides.

Mais il paraît en avoir considérablement rabattu, et, d’après le savant navigateur auquel j’emprunte mes documents, les vagues du calme n’auraient que soixante-dix centimètres de hauteur, et les plus hautes lames de la tempête un maximum de huit mètres soixante-dix, avec une longueur de cinq cents mètres. C’est encore une assez jolie dimension. Mais elle n’a rien d’humiliant pour les Pyrénées et même pour les buttes Montmartre.


M. le ministre d’État a nommé une commission chargée de faire un rapport sur ce qui concerne l’histoire anthropologique et ethnologique des races humaines présentes à l’Exposition. Cette commission est composée de MM. de Quatrefages, Pruner-Bey et Lartet. Voilà des savants chargés d’une lourde besogne, car l’Exposition va nous amener les représentants de tous les pays civilisés et de ceux qui désirent le devenir.

L’ethnologie, c’est-à-dire l’histoire des mœurs et des coutumes des diverses nations modernes, est assez bien connue, et sur cette question on possède des documents considérables, mais l’histoire anthropologique des races, c’est-à-dire leur origine, leurs migrations à travers les siècles, les mélanges qui ont altéré leurs types primitifs, voilà un écheveau terriblement difficile à débrouiller, même si on restreint cette étude à une seule nation.

En général, on sait mieux ce qui se passe dans sa propre maison que dans celle du voisin. Eh bien ! en ce qui concerne la France, on ignore complétement quels furent ses premiers habitants.

Si même on en limite la recherche aux temps historiques, aux époques où la tradition et l’histoire commencent à fournir leurs documents, on ne rencontre que le doute et l’incertitude. Les savants les plus compétents ont longuement discuté sur l’origine des Celtes, qui occupaient notre sol avant l’invasion romaine, et jusqu’ici, ils n’ont pu se mettre d’accord. Les Celtes, les Gaëls, les Kimris et les Gaulois forment une ronde infernale autour de la salle du conseil, et on n’a pas encore déterminé si ces quatre représentants du passé appartiennent à des races différentes, ou à un même peuple, si leur type avait les cheveux bruns, les yeux noirs et la taille petite, ou s’il avait, au contraire, la taille élevée, les cheveux blonds et les yeux bleus. Ce qui constitue en anthropologie des différences fondamentales.

Quant à la race pré-celtique, c’est-à-dire qui a occupé notre sol avant l’arrivée des Celtes, elle se perd dans des brouillards insondables.

Jugez maintenant de l’immensité de la tâche réservée à la commission, si elle doit étendre ses recherches à tous les peuples du globe, dont le passé est encore plus embrouillé que le nôtre.

Je dois dire cependant que, si la tâche est immense, MM. de Quatrefages, Pruner-Bey et Lartet sont assez robustes pour en tirer tout le parti possible. Je crois cependant qu’on aurait pu leur adjoindre très-utilement le docteur Lagneau fils, qui a publié sur l’ethnologie de la France des mémoires très-remarquables.

M. Lartet est un antiquaire dans la plus large acception du mot. Il ne s’amuse pas à collectionner des assiettes fêlées ou des bahuts mangés aux vers, dont l’extrait de naissance remonte à peine à deux ou trois siècles. L’objet de ses recherches a quelque vingt mille ans d’existence, et si son musée ne renferme ni meubles de Boulle, ni vieux Sèvres pâte tendre, il contient des haches et des couteaux en silex, qui sont les premiers vestiges de l’industrie humaine, et qui remontent à l’époque où l’usage du fer et des métaux était inconnu sur la terre.

J’ai dit vingt mille ans, ce n’est, comme vous pourriez le croire, qu’un lapsus de ma plume, cette date s’accorde assez mal, je le sais, avec l’âge du monde inscrit en tête de vos calendriers, qui ne prêtent que cinquante siècles d’existence à notre planète. Fouillez sa vieille enveloppe avec la pioche d’un érudit et vous comprendrez que des milliers de siècles se sont écoulés entre le moment où la terre est devenue habitable et la découverte de la vapeur.

Je ne sais pas d’étude plus attachante que celle des premiers vestiges de l’homme, des premiers rudiments de son industrie. Un jour que les nouvelles scientifiques feront grève, nous causerons des travaux admirables qui sont dus, sur ce point, à la science moderne. Vous verrez par quelles suites d’observations et d’inductions on est arrivé à établir l’antiquité de l’homme, à le retrouver à l’état fossile.


C’est un fait accompli ! Lorsque, désormais, il vous prendra fantaisie de vous faire transfuser, vous aurez le choix entre le sang des mammifères et le sang des oiseaux, car, décidément, les globules elliptiques des ovipares ne sont point pour les mammifères un violent poison, comme des physiologistes malintentionnés à l’endroit des volatiles en avaient fait courir le bruit : M. Brown-Séquard, le célèbre physiologiste, l’a démontré expérimentalement une fois de plus au Cercle des sciences.

Un chien a été rendu exsangue au moyen d’une section de la carotide, puis il a été rappelé à la vie par la transfusion du sang d’un coq, — d’un canard, — d’un perroquet — et d’un pigeon, mélangés ensemble pour les besoins de la cause.

Cette expérience tenait tous les esprits suspendus sous son charme ; chacun se communiquait ses impressions ; l’un parlait de se faire transfuser au sang de corbeau (qui a la réputation de vivre longtemps) ; un autre, professeur particulier, choisissait le sang du perroquet ; d’autres préféraient le merle blanc qui, vu sa rareté, devait être plus distingué et de meilleur ton ; enfin, chacun faisait ses réflexions. Le chien était pensif et semblait en faire de profondément désagréables.

Notre savant ami appelait l’attention du Cercle sur les idées physiologiques qui se rattachent à cette expérience, lorsque le chien sembla vouloir prendre la parole. Peut-être avait-il l’intention de rectifier quelque assertion de M. Brown-Séquard au sujet des sensations qu’il venait d’éprouver, peut-être se proposait-il, mettant de côté toute prétention scientifique, de remercier simplement l’assemblée de la bienveillante curiosité qu’on lui témoignait. Quoi qu’il en soit, il fait un signe, nous prêtons tous l’oreille, le chien hésite, on attribue son hésitation à l’émotion bien légitime d’un débutant qui fait son premier discours par devant une société savante. — Ce n’était pas ça. Tout à coup, sous l’influence de la transfusion, éclate un phénomène physiologique d’autant plus inouï, d’autant plus surprenant, qu’il ne s’était pas reproduit depuis la construction de la tour de Babel. Au lieu des émissions vocales qui forment le langage des chiens, l’animal scientifisé se mit à pousser des kokorico, kokorico ; — koûân, koûân, koûân ; — as-tu déjeuné, Jacot ; — kou kou roûûûe, kou kou roûûûe.

L’infortuné quadrupède avait oublié sa langue maternelle, il avait le langage ovipare, de sorte qu’il nous a été impossible de comprendre son speech.

Ces expériences sont du plus haut intérêt pour les gens qui se privent d’une basse-cour uniquement faute de place. Maintenant, avec un chien bien transfusé, on peut se faire un orchestre animal très-complet et très-portatif.

J’oserai émettre un vœu, s’il était possible d’employer pour la transfusion le sang des insectes parasites, j’en serais heureux, car enfin les puces ne se gênent point pour nous emprunter notre sang ; je ne vois pas pourquoi on se ferait scrupule de le leur reprendre ; de plus, un homme transfusible ou transfusable pourrait tenir à ses poules, mais je suis certain qu’il ne tiendrait nullement à ses puces et qu’il les sacrifierait sans remords pour sauver sa propre existence.

Il est possible que l’ingénieux physiologiste échoue dans la recherche que nous proposons de faire, mais il n’en sera pas moins pour cela un des hommes les plus distingués de notre époque scientifique, et l’Institut, en lui décernant un prix de physiologie ne lui a rendu qu’une justice un peu tardive.


J’ai parlé d’un bandagiste qui reproduisait un certificat écrit la veille par un médecin mort depuis huit ans. Le bandagiste a été fort mal satisfait de l’article qui lui a fait, dit-il, beaucoup de tort dans le grand monde, car c’est là qu’il y a le plus de hernieux. Je prie le grand monde de croire que cette expression saugrenue ne m’appartient nullement ; j’en laisse toute la responsabilité au bandagiste qui en est le père.

Espérant, bien entendu, que Figaro, furieux, lui ferait des réclames par éreintement, le brave homme en a été pour ses frais d’avocat et de procédure de première instance et d’appel.

Au risque d’un nouveau procès, je demanderai au bandagiste pourquoi il annonce que ses bandages ont des pelotes anatomiques. Anatomie vient de ανα, à travers et de τεμνω, je coupe. Voudrait-il dire par là que ses bandages coupent les malades en travers ? Dans ce cas, il est vraiment bien honnête de sa part d’en prévenir les gens. Veut-il faire comprendre que ses bandages doivent être expressément réservés pour l’usage des anatomistes ou même des anatomisés ?

J’ose affirmer que le bonhomme n’a rien voulu dire de tout cela : son bandage est fait comme celui de tout le monde, mais son voisin a imaginé un bandage à pelotes chirurgicales ; vite il a fait le bandage à pelotes anatomiques pour ne pas être dépassé par le progrès, et si on l’ennuie, il en fera un à pelote hygiénico-thérapeutico-chimico-botanico-pathologique. Le mot est peut-être un peu long, mais le public sera bien forcé de convenir que son auteur est un homme terriblement savant ; et cependant, si vous lui demandiez de vous expliquer ce que signifie : Ne sutor ultra crepidam, je suis sûr qu’il serait embarrassé.

Pelotes anatomiques ! voilà de ces tours que la science joue aux Béotiens qui se permettent de batifoler avec elle.


Il y a des gens qui ne peuvent se décider à assumer la responsabilité d’une opinion.

Je fus appelé, il y a quelques jours, près d’un malade âgé d’environ quarante ans, que j’interrogeais devant sa mère. La bonne dame m’aidait autant que possible de ses renseignements ; après plusieurs autres questions, je demandai au malade :

— Êtes-vous constipé ?

— Constipé ?… Répondez donc, ma mère ; monsieur demande si je suis constipé.


Lorsque les grands journaux se mettent à faire preuve d’ignorance, ils ne font pas les choses à demi. J’ai lu dans un journal politique l’histoire qui suit :

« Un incendie dû à une cause singulière s’est manifesté hier chez un parfumeur du faubourg Saint-Martin. »

Singulière ! vous pourriez bien dire une cause merveilleuse, et personne n’aurait trouvé le mot risqué.

« L’on avait emmagasiné dans une remise une certaine quantité de touries remplies d’acide sulfurique. »

Remarquez bien, d’ACIDE SULFURIQUE.

« L’une de ces touries ayant été rompue, son contenu se répandit jusque sur le pavé de la cour, où il se volatilisa promptement. »

Voilà un acide sulfurique d’une légèreté bien coupable ; mais écoutez le plus joli de l’histoire :

« En ce moment passait de ce côté un employé de la maison, tenant une cigarette allumée à la main ; LA VAPEUR du liquide SULFURIQUE ne fut pas plutôt en contact avec la cigarette, QU’ELLE FIT EXPLOSION, et au même instant une immense nappe de feu envahit le magasin et embrasa une partie des marchandises qui y étaient renfermées. Peu après, les autres touries, remplies également d’acide sulfurique et chauffées par les flammes, éclatèrent et fournirent un nouvel et dangereux aliment à l’incendie, qui devint, etc., etc. »

Voyez-vous l’acide sulfurique transformé en un gaz inflammable, qui va chercher une cigarette dans la main de ce brave employé pour mettre le feu à la maison !

Il faut véritablement qu’on lui ait fait des choses bien fâcheuses, pour qu’il se soit porté à des extrémités si éloignées de son caractère.

Il est à regretter qu’on ait éteint un pareil incendie, car, en raison de la cause, on aurait dû le conserver comme une des curiosités les plus merveilleuses qu’il soit possible de voir.

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