Poésies de Daniel Lesueur
A LECONTE DE LISLE
Font, dans les soirs pensifs, monter des pleurs sacrés,
Sont fiers, purs et puissants comme ces dieux de pierre
Que d'un suprême orgueil la Grèce avait parés.
Incompris de la foule, à des lèvres vulgaires
Ils n'ont point appelé de faciles sanglots.
Les douleurs dont votre âme a pu saigner naguères
N'obscurcissent jamais leurs sublimes tableaux.
L'égoïsme d'un cœur qu'un âpre amour déchire
Y chercherait en vain des baumes fraternels,
Car ils ne daignent pas regretter ni maudire
Vos vers d'airain chantant sous les cieux éternels.
Sur la fuite des jours et le néant des choses
Ils construisent en paix leur songe de beauté,
Et l'esprit ignorant les invisibles causes
Ne connaîtra jamais le prix qu'ils ont coûté.
Mais l'âme qu'enchanta leur ivresse profonde
Voit, sous la majesté des impassibles vers,
Palpiter l'idéal invincible du monde
Et ruisseler les pleurs de ce vieil univers.
Août 1890.