Poésies de Daniel Lesueur
TOUJOURS
Que l'austère sagesse interdit à l'amour,
Que tout fragile cœur pourtant au cœur qu'il aime
Veut redire à son tour.
«Toujours!...» Nous avons dit: «toujours!» nous dont les âmes
Acceptent fièrement l'universel destin
Et roulent, fleuves purs, se perdre dans les lames
D'un océan lointain.
Nous l'entendons mugir quand nous prêtons l'oreille,
Cet abîme profond aux antres ténébreux,
Et nous avons pu dire une chose pareille,
Et nous sentir heureux!
Oui, car nous méprisons l'âpre mélancolie
Qui fait pâlir les fronts quand luit la vérité.
Notre «toujours» à nous s'efface et s'humilie
Devant l'éternité.
Mais il n'en est pas moins joyeux lorsqu'il palpite,
Sublime et vain serment, sur nos lèvres de chair.
Nous savons où le Temps entraîne et précipite
Tout ce qui nous est cher.
Si nous la murmurons, la trompeuse parole,
A ceux de qui demain viendra nous séparer,
C'est que l'amour poursuit cette illusion folle
Et veut s'en enivrer.
Car, bien qu'il soit trop vrai que tout meurt et s'oublie,
L'amour déjà n'est plus s'il croit qu'il peut finir.
Nous aurions blasphémé, si l'aveu qui nous lie
N'engageait l'avenir.
Et vous ignoreriez la véritable ivresse
Si, bravant la raison sur son trône usurpé,
De votre cœur le cri d'éternelle tendresse
Ne s'était échappé.
Mais vous m'avez donné cette joie infinie.
Qu'importe que je meure et que les temps soient courts!
A votre lèvre enfin, qui raille, doute et nie,
J'ai fait dire: «Toujours!»