Poésies de Daniel Lesueur
L'OUBLI
Dont le flux lourd et lent monte jour après jour,
Avait pu dans mon cœur effacer jusqu'à l'ombre
De mon divin amour.
La vie est-elle donc, ami, si magnifique
Que j'ose me jouer de son meilleur trésor,
Et compter que demain sa bonté pacifique
Me le rendrait encor?
Hélas! n'est-elle pas si durement amère
Que nous restons tremblants du bonheur effleuré:
Il ne nous apparaît, dans une heure éphémère,
Que pour être pleuré.
Quand nous l'avons touché de nos mains qui frémissent,
Pour qu'il demeure, en vain nous prierions les dieux sourds
Nos cœurs l'ont reconnu, nos cœurs s'épanouissent...
Puis saignent pour toujours.
Et moi qui l'ai saisi, ce bonheur que l'on rêve,
Et moi qui l'ai pressé sur mon sein palpitant,
Je précipiterais sa course déjà brève
Au néant qui l'attend!
Moi qui crains tant pour lui, le sachant périssable,
Sur lui j'appellerais le souffle de l'oubli,
Semblable au vent de mer qui recouvre de sable
Un nom enseveli!
J'oublierais!... Mais quel bien me resterait sur terre,
Puisque vous êtes loin, puisque tout doit finir,
Puisque aujourd'hui déjà mon âme solitaire
N'a plus qu'un souvenir.
J'en réveille l'ivresse et frémis, car je songe
Que ce cher souvenir, seul, n'est point incertain;
Gardé par le Passé, dans lequel mon œil plonge,
Il échappe au destin.
Mais l'espoir, qui vous suit sur votre longue route,
Qui vous ramène à moi tel qu'au soir des adieux,
Dépend de l'Avenir, dont j'épie avec doute
Le mot mystérieux.
C'est pourquoi j'éternise une heure passagère,
Où mon cœur doucement a cru vous deviner;
J'y vivrai jusqu'au jour où votre voix si chère
Viendra m'en détourner.