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Poésies de Daniel Lesueur

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LA NATURE ET L'AMOUR

Ainsi donc, ô vallons! ô lacs purs! ô retraites

Où rayonne l'amour sur la bruyère en fleur!

Ils ne vous ont chantés, les orgueilleux poètes,

Qu'au sein de leur douleur.

Ils ne vous ont parlé, par leurs voix immortelles,

Que lorsque en vos abris ils sont revenus seuls,

Et qu'ils n'ont plus trouvé sous vos ombres si belles

Que d'horribles linceuls.

Leurs vers ont découlé de leur lèvre tremblante

Lorsqu'ils ont parcouru votre désert sacré,

Y suivant pas à pas la fuite grave et lente

D'un fantôme adoré.

Et ce n'était point vous alors que leur tristesse

Se plaisait à parer d'un charme déchirant:

C'était leur amour mort et c'était leur jeunesse

Qu'ils cherchaient en pleurant.

Ils vous ont accusés de rester impassibles

Lorsqu'ils marchaient pensifs en sanglotant tout bas,

Et que dans vos sentiers leurs rêves impossibles

S'envolaient sous leurs pas.

Bien peu leur importaient vos airs gais ou moroses

Quand leur bonheur semblait ne pas devoir finir,

Mais plus tard ils ont dit que l'éclat de vos roses

Blessait leur souvenir.

Ils se sont étonnés que vos grâces divines

Devant leur désespoir resplendissent toujours,

Et que vous n'eussiez point fait prendre à vos ravines

Le deuil de leurs amours.

Que n'ai-je, ô bois charmants, leur sublime génie,

Puisque je suis heureuse et que vous m'enchantez,

Puisque celui dont l'âme à mon âme est unie

S'avance à mes côtés!

Puisque je vois briller parmi vos frêles herbes

En paillettes de feu les traits d'or du soleil,

Et que sur les sommets de vos arbres superbes

Reluit le jour vermeil!

Puisque tout est chansons, que tout est rire et joie

Sous vos ombrages frais, dans les cieux, dans mon cœur!

Oh! pourquoi donc faut-il que l'écho ne renvoie

Que l'accent du malheur?

Pourquoi n'avons-nous pas des mots pleins de délire

Qui fixent à jamais nos bonheurs fugitifs,

Alors qu'un léger mal arrache à notre lyre

Des accords si plaintifs?

Pour élever vers vous une voix attendrie,

Beaux asiles profonds où mon cœur fut bercé,

Non, je n'attendrai point l'heure où la rêverie

S'en va vers le passé.

Non, je n'attendrai point de la trouver déserte

La place où mon ami se reposa souvent,

Et seule d'écouter dans la forêt inerte

Les longs soupirs du vent.

Voyez, nous sommes deux, nous savons vous comprendre,

Notre aveugle bonheur ne cache point vos cieux,

Votre sereine paix rend notre amour plus tendre

Et plus mystérieux.

Nous revenons à vous toujours, ô solitude!

Votre calme imposant plaît à notre fierté;

Les bois silencieux, dans leur noble attitude,

Ont tant de majesté!

Notre âme, qui remonte aux sources de la vie,

D'un monde étroit et vain fuyant les trahisons,

S'agrandit tout à coup et s'élance ravie

Vers vos purs horizons.

Nos pas en vos chemins errent à l'aventure,

Vos aspects imprévus nous font longtemps rêver,

Et tout autour de nous la tranquille Nature

Semble nous approuver.

Qu'il monte donc vers vous, l'encens de nos hommages,

Dans nos félicités il doit vous être offert;

Et puissions-nous encor vous bénir, ô bocages,

Quand nous aurons souffert!

Aujourd'hui, l'œil perdu dans vos riants abîmes,

Nous sentons les liens qui nous tiennent unis,

Se serrant doucement au souffle de vos cimes,

Devenir infinis;

Et, songeant que demain les heures envolées,

Blancs spectres, flotteront en ces muets séjours,

Émus, nous voyons naître en vos vertes allées

Les plus beaux de nos jours.

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