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Poésies de Daniel Lesueur

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A MES VERS

Laissez-moi vous bénir, douces rimes fidèles,

Puisque vos sons, légers comme un battement d'ailes,

Quelquefois l'ont charmé.

Laissez-moi vous bénir, ô mes vers, frais calices,

Puisque mon bien-aimé respire avec délices

Votre souffle embaumé!

Vous l'avez consolé sur la rive lointaine.

Sans le quitter jamais dans sa route incertaine,

Vous chantiez sur son cœur.

Un peu de moi par vous vivait sur sa poitrine;

Il sentait naître en lui l'espérance divine

A votre accent vainqueur.

Le soir, il s'asseyait, lassé, pour vous relire;

La farouche forêt, vibrant comme une lyre,

Tout à coup se taisait.

Il n'entendait que vous dans l'immense nature,

Et le pesant souci de sa rude aventure

Un instant s'apaisait.

Vous portiez devant lui dans l'ombre et dans l'espace,

Afin de diriger ce voyageur qui passe,

L'amour, brillant fanal;

L'affreux péril en vain posait sur lui ses ongles,

Votre vive lueur éteignait dans les jungles

L'œil du tigre royal.

Il vous a répétés à l'écho des vieux temples,

Aux portiques déserts, montrant, mornes exemples,

Notre fragilité:

L'homme meurt, et ses dieux, que le temps brise et roule;

L'autel, étant de marbre, un peu plus tard s'écroule

Que la divinité.

Vous partagiez ainsi ses profondes pensées.

Vous lui devez la vie, ô strophes cadencées,

Il vous fit naître en moi.

Vous procédez de lui: moi qui suis votre mère,

Je ne vous ai donné que la grâce éphémère,

Lui, la force et la foi.

Partez pour l'enchanter, fruits d'un hymen sublime.

Votre naissance est haute, et pure, et légitime:

Qu'il soit donc fier de vous!

Vous êtes siens. Sans lui, vous dormiriez encore,

Germes obscurs marqués pour ne jamais éclore,

Dans le néant jaloux.

Souvent je sens en moi son esprit qui s'éveille;

Alors il faut écrire et prolonger la veille,

Et vous naissez, mes vers.

J'aime ce doux travail qui me tient accoudée:

Enfermer en tremblant l'essor de son idée

Dans mes rythmes divers.

Et s'il la reconnaît, pour peu qu'il lui sourie,

Si, puissante, elle vit sous la strophe fleurie,

Quel triomphe charmant!

Lorsque aussi pleinement deux êtres se possèdent,

Il n'est point sous le ciel de bonheurs qui ne cèdent

A leur enivrement.

Laissez-moi vous bénir, douces rimes fidèles,

Puisque vos sons, légers comme un battement d'ailes,

Quelquefois l'ont charmé.

Laissez-moi vous bénir, ô mes vers, frais calices,

Puisque mon bien-aimé respire avec délices

Votre souffle embaumé!

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