Poésies de Daniel Lesueur
SOUFFLES D'AUTOMNE
Le premier vent d'automne a tristement soufflé.
Nos bois se sont emplis d'un tumulte sauvage,
Dont mon trop faible cœur est jusqu'au fond troublé.
Car sous le sombre ciel meurt la saison bénie,
La rapide saison de nos bonheurs furtifs,
Et c'est un souffle plein d'amertume infinie
Qui tord et fait gémir les grands chênes plaintifs.
Reverrons-nous jamais la douce solitude
Où les bruits importuns du monde s'éteignaient?
Reviendrons-nous errer encor, sans lassitude,
Dans ces sentiers étroits où nos mains se joignaient?
Chérirons-nous longtemps d'une égale tendresse
Nos anciens nids d'amour perdus dans le bois frais?
Y viendrons-nous puiser toujours la même ivresse,
Sans jamais voir pâlir leurs immortels attraits?
La modeste demeure aux lourds meubles rustiques
Semblera-t-elle encor si touchante à nos yeux,
Parmi l'ombrage épais de ces forêts antiques
Où, dans l'austère écho, sonnaient nos pas joyeux?
Sur la haute colline en notre course atteinte,
Devant l'immense espace embrassé tant de fois,
Resterons-nous encor, lorsque l'Angelus tinte,
L'un sur l'autre appuyés, recueillis et sans voix?
Qui changera d'abord, la Nature ou nos âmes?
Hélas! et qui de nous se lassera d'aimer?
Suffiront-ils toujours à nos cœurs pleins de flammes,
Ces bonheurs d'aujourd'hui qui les ont pu charmer?
Oh! qu'il est triste à dire à la chère retraite
Le déchirant adieu qui nous sépare au seuil!
Voilà pourquoi naissait mon angoisse secrète
Devant le sombre aspect de la campagne en deuil.
Pleurez, ô grands bois noirs! Sifflez, ô vents funèbres!
Feuilles mortes, tombez sur le chemin durci!
Nuages, étendez vos voiles de ténèbres...
Mon cœur, qui vous comprend, se glace et tremble aussi.
Et pourtant je devrais bénir votre détresse:
Sans l'horreur de l'hiver, que vaudraient les beaux jours?
Sans le cruel adieu, la passagère ivresse
Mènerait aux sommeils insensibles et lourds.
Car en ce monde obscur dont la Mort est la reine
Tout s'efface et périt de ce qu'on veut saisir,
Mais qu'un bien seul échappe à la loi souveraine,
C'est assez pour qu'en nous en meure le désir.
Ami, plus l'avenir nous réserve de larmes,
Plus sembleront pesants nos jours chargés d'ennuis,
Et plus rayonneront les indicibles charmes
De nos discrets bonheurs, si promptement enfuis.
Puis, lorsqu'un doux printemps fera verdir les branches,
Peut-être, revenus en notre ancien séjour,
Parmi les frais lilas et les épines blanches,
Nous verrons refleurir notre immortel amour.