Poésies de Daniel Lesueur
LE RETOUR
Où mon cœur vous suivait bien loin sous d'autres cieux.
Vous êtes près de moi; mon regard qui se lève
Va rencontrer vos yeux.
Vos yeux... devant lesquels ont passé des merveilles,
Et qui, las de sonder pourtant et de savoir,
Après les jours brûlants, durant les sombres veilles,
Se fermaient pour me voir.
Vos yeux changeants... où j'aime à surprendre votre âme
Tantôt douce, et croyante, et tendre, et se livrant,
Tantôt sceptique au point que leur cruelle flamme
Me brûle en m'effleurant.
Votre amour me ravit, comme aussi votre doute:
En vain vous proclamez un fatalisme obscur,
Je saurai malgré vous placer sur votre route
Un bonheur calme et sûr.
Je connais le secret de la détresse affreuse
Dont le plus fort se sent tôt ou tard accablé;
Tout au fond de notre être un abîme se creuse
Qui jamais n'est comblé.
Et plus le cœur est grand, plus le vide est immense.
Sur votre cœur, ami, je me penche en tremblant...
L'espoir de le remplir me saisit,—ô démence!—
Enchanteur et troublant.
Je ne puis qu'apaiser l'âpre mal qui le blesse,
Tromper, jour après jour, son éternel désir,
Puisque le bien suprême est, pour notre faiblesse,
Impossible à saisir.
Mais j'ai rêvé du moins d'accomplir cette tâche.
Je vous consolerai de l'immortel ennui.
Mon amour à vos yeux voilera sans relâche
Le néant, même en lui.
Vous ne me direz plus qu'il est court et fragile,
Que la satiété mène aux mornes adieux.
Par lui vous garderez sous votre front d'argile
L'esprit serein des dieux.
Au bout de ce chemin rude et plein de vertige
Que vous suivez, marchant vers un but inouï,
Beau lis, il fleurira, mystique, sur sa tige
Toujours épanoui.
Vous n'éprouverez plus l'angoisse des abîmes
Où, tout en frémissant, plonge votre raison,
Quand vous le reverrez, plus riant, sur les cimes,
Après chaque saison.
Vous oublierez l'horreur de notre destin sombre,
—Naître pour vivre seuls et mourir tout entiers,—
Parce que l'humble fleur dessinera son ombre,
Le soir, sur vos sentiers.
Et comme elle a conçu de folles jalousies,
Son calice profond, dans l'air des hauts sommets,
Changera ses parfums suivant vos fantaisies,
Sans s'épuiser jamais.
Afin que vous goûtiez toute joie auprès d'elle:
Car son âme de fleur a conçu le dessein
De vous offrir ainsi, pour vous garder fidèle,
Mille amours dans son sein.