Poésies de Daniel Lesueur
SUPRÊME SAGESSE
Les pieds encor poudreux du chemin parcouru,
Sceptique, et détrompé par votre expérience,
Vous m'êtes apparu,
Je me suis dit, moi, faible et l'âme si meurtrie:
«Il connaît des secrets pleins d'âpre volupté,
Pouvant donner au cœur qui sanglote et qui prie
L'impassibilité.
«Il sait, lui qui fraya sa route inexplorée,
A travers des tombeaux, vers les siècles lointains,
La valeur véritable et l'essence ignorée
Des bonheurs incertains.
«Sans doute il guérira l'espoir qui reste encore,
Et qui fait tant souffrir, étant toujours déçu,
L'espoir, mal immortel, qui charme et qui dévore
Le sein qui l'a conçu.
«La résignation et l'ardeur de connaître,
Le spectacle évoqué des jours évanouis,
Ont calmé doucement dans le fond de son être
Les désirs inouïs.
«Il sonde le passé. Les vieilles pyramides
Ne sont plus à ses yeux que des témoins d'hier.
Il voit à ses débuts sauvages et stupides
L'homme aujourd'hui si fier.
«De nos illusions, de la folle espérance,
Il a vu commencer et finir le pouvoir:
Règne court, séparant de l'heureuse ignorance
Le tranquille savoir.
«Dès qu'elle eut la douleur de penser, l'âme humaine
Par un songe divin s'est voulu consoler,
Mais ce songe, en la route où son destin la mène,
Déjà va s'envoler.»
Ayant vu tout cela, ces choses que l'Histoire
Cache sous sa sévère et froide majesté,
Elle qui d'un état fragile et transitoire
Fait une éternité;
Ayant vu cet abîme et sondé ces problèmes,
Vous deviez rapporter, chercheur audacieux,
Le dernier mot voilé par tant d'obscurs emblèmes
Sur terre et dans les cieux.
Et moi qui vous admire, et moi qui vous envie,
J'ai levé sur vos yeux mes yeux mouillés de pleurs,
Pour apprendre de vous à dérober ma vie
Aux stériles douleurs.
Je vous ai demandé: «Par quoi faut-il sur terre,
Par quoi faut-il emplir nos cœurs, qui n'ont qu'un jour?»
Vous m'avez répondu, vous le savant austère:
«Emplissez-les d'amour.»
Quoi! l'immense univers n'a point comblé le vôtre?
Parmi tout ce qui naît et tout ce qui périt,
Quoi! nul bien ne valait un autre cœur, un autre
Qui pour vous seul s'ouvrît?
Vous m'avez révélé ce mystère suprême,
Vous m'avez dit: «Le monde et le ciel éclatant
Sont un gouffre effroyable et vide à moins qu'on n'aime,
N'aimât-on qu'un instant.
«De l'homme disparu chaque infime vestige
Dévoilerait vraiment trop d'atroce douleur,
Si l'amour n'entr'ouvrait sur sa cendre, ô prodige!
Son immortelle fleur.»
Partout il a germé, l'amour qui nous enivre,
Vous l'avez vu partout où votre esprit plongea,
Et vous venez me dire: «Il faut aimer pour vivre.»
Je le savais déjà.