Poésies de Daniel Lesueur
L'HEURE ENCHANTÉE
Qui jadis habitiez d'inaccessibles cimes,
Mes beaux oiseaux sacrés!
Vous êtes descendus vivants parmi les hommes,
Dans la réalité triste et sombre où nous sommes,
Purs vous êtes entrés.
Je vous croyais trop beaux pour ce monde où tout pleure,
Et voici que soudain au toit de ma demeure
Se suspend votre vol.
Quand l'aube luit j'entends frémir vos douces ailes,
Et le soir vos chansons me font oublier celles
Du divin rossignol.
Mes yeux vous ont suivis, pleins de larmes amères,
Lorsque vous sembliez, visions éphémères,
Fuir au sein de l'azur.
Mon cœur de votre adieu se brisait en silence...
Et voici qu'aujourd'hui votre nid se balance
A l'angle de mon mur.
Que vous êtes charmants, fiers et joyeux, mes hôtes!
Je vous ai vus planer dans des sphères très hautes,
Parmi des rayons d'or;
Tremblante, j'admirais votre splendeur farouche;
Mais vous apparaissez, sous ma main qui vous touche,
Plus radieux encor.
L'un de vous est l'Amour, sûr, profond et fidèle,
L'Amour au vaste essor, dont le large coup d'aile
Vibre dans l'infini;
L'autre est l'Intimité qui fait une deux âmes;
L'autre est la Poésie à l'aigrette de flammes,
Chantant son chant béni.
Tous vous êtes venus, chers captifs de ma vie.
Un seul eût pu me rendre heureuse à faire envie;
Pourtant j'aurais souffert,
Car mes vœux insensés vous appelaient ensemble.
Mais le sort en un jour à mon seuil vous rassemble,
Et mon ciel s'est ouvert.
Amour!... Culte du beau!... Communion suprême!...
Oh! sentir qu'on s'élève au-dessus de soi-même,
Que le cœur s'agrandit,
Que l'on voit de plus loin la foule et ses mensonges,
Parce qu'un œil aimé plein de merveilleux songes
Doucement resplendit!
Oh! dans un clair esprit lire comme en un livre,
Surprendre sa pensée et la faire revivre
En des rythmes légers!
D'un être grave et fort vaincre l'orgueil austère,
L'entendre murmurer que rien ne vaut sur terre
Nos aveux échangés!
Découvrir à la fois dans la main que l'on presse
La virile énergie et l'exquise tendresse,
Un ferme et cher soutien!
Être deux, se livrer sans jamais se connaître,
Et se trouver nouveaux et plus charmants peut-être
Après chaque entretien!
Aimer tous deux les champs où frissonnent les roses,
Les flots bleus, les parfums, les puériles choses,
Les bois mystérieux!
Accueillir la gaîté qui rit et qui s'éveille,
Et fixer sur la vie, étonnante merveille,
Un regard sérieux!
Tout voir, tout admirer, tout chercher, tout comprendre
Au fond d'un cœur, miroir qui prend tout pour tout rendre,
Cœur à notre âme uni;
Savoir que rien n'est beau ni grand qu'il ne reflète,
Et, comme en s'y peignant l'univers s'y complète,
Y trouver l'infini!
O rêves, rêves d'or que formait ma jeunesse!
Vous êtes devenus, riants et pleins d'ivresse,
Une réalité.
Je ne demande rien que prolonger cette heure:
Dieu même n'en ferait pour moi point de meilleure
Dans son éternité.