Poésies de Daniel Lesueur
POURQUOI JE L'AI AIMÉ
O mon cœur, réponds, toi! Pourquoi donc l'ai-je aimé?
Tu sortais cependant d'un bien affreux martyre;
Je te croyais fermé.
Ton sang avait coulé bien longtemps goutte à goutte;
Des pleurs, des pleurs cruels avaient terni mes yeux.
Ah! s'il avait souffert, je comprendrais sans doute,
Mais il semblait heureux.
Ce n'est pas la douleur qui joignit nos deux âmes,
On ne la lisait pas dans ses regards de feu;
Il était fier et fort, et les chagrins des femmes
L'irritaient quelque peu.
L'amour, pour lui, n'est pas le dieu qui nous tourmente:
C'est un enfant joyeux jouant sur son chemin;
Il se penche, et lui rit... C'est une fleur charmante
Qui se fane en sa main.
Une chose pourtant lui paraissait amère,
C'est que la fleur d'un jour, détruite sans pitié,
Portât si rarement sur sa tige éphémère
Le fruit de l'amitié.
Et j'ai cru deviner que dans la solitude
Le plus hardi marcheur à la fin devient las:
Ce n'était point l'amour, mais la sollicitude
Qui manquait à ses pas.
L'amour... il en savait l'ivresse ardente et brève,
Le secret égoïsme et les transports jaloux;
Peut-être, malgré lui, nourrissait-il un rêve
Plus profond et plus doux.
Lorsque je pressentis cette vague détresse
Dans un être si fort et si maître de soi,
J'eus l'éblouissement d'une immense tendresse
Montant soudain en moi.
Présenter à sa soif la coupe intarissable,
Être son ombre fraîche et son moment d'oubli,
Voir en cette âme haute avec ce grain de sable
L'équilibre établi;
Être mieux que sa sœur et mieux que sa maîtresse;
Être le souvenir qu'il berce en souriant
Quand luira sur son front l'éclatante tristesse
Du ciel de l'Orient: