Poésies de Daniel Lesueur
LE VOYAGE
Bien que l'exil fût court, volontaire et joyeux,
J'ai surpris un reflet de rapide souffrance
Qui passait dans vos yeux.
C'est lorsque le rivage, avec ses contours vagues,
S'est perdu lentement dans une brume d'or.
Rose, au loin la falaise, à l'horizon des vagues,
Étincelait encor.
Vous m'avez avoué qu'une étreinte secrète
Toujours vous oppressait le cœur, lorsque au départ
Nos bords si familiers, noyant leur fine crête,
Échappaient au regard.
Mais pouvais-je éprouver un sentiment d'angoisse,
Moi... moi qui m'enfuyais loin du monde avec vous,
De ce monde cruel, dont un seul coup d'œil froisse
L'amour furtif et doux?
Ah! goûter un instant sur la terre étrangère
Ces bonheurs par le sort à jamais déniés!
Ah! croire pour un jour—ivresse mensongère—
Que vous m'apparteniez!
Marcher à votre bras sans plus d'inquiétude,
Parmi tant d'inconnus, qu'au fond des grand bois noirs
Qui nous ont si souvent prêté leur solitude
Dans la paix des beaux soirs;
Et ne pas me troubler devant tant de prunelles
Pénétrant à loisir mon secret précieux,
Plus que sous les yeux d'or aux lueurs éternelles
Qui nous guettent des cieux;
Porter haut votre amour ainsi qu'une auréole,
Le sentir rayonnant sur mon front, et passer
Sans trembler de surprendre une injuste parole
Prompte à le rabaisser;
Vous posséder sans cesse: en ouvrant ma paupière
A l'aube, et jusqu'au soir où nous rentrerions las;
Vous suivre tout le jour, et la nuit tout entière
Dormir entre vos bras:
Voilà l'illusion qu'un rapide voyage
Pour un moment changeait en douce vérité,
Et qui m'apparaissait quand j'ai vu le rivage
S'enfuir dans la clarté.