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Chronique du crime et de l'innocence, tome 8/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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Les époux Houot, rentiers, étaient domiciliés à Vasancourt, département des Vosges; le mari était plus que septuagénaire. Ils avaient pour voisin le menuisier Camus, chez lequel avait travaillé quelque temps le nommé Hocquau, forçat libéré. Cet homme, âgé de trente-cinq ans, comptait déjà quinze années de travaux forcés; il était revenu à Moreville, depuis le 2 avril 1828. Hocquau, signalé depuis long-temps à cause de sa profonde perversité, au lieu de profiter du travail que Camus lui avait offert, quitta bientôt son atelier, et absorba en peu de jours les cinquante-quatre francs qui, produit de sa masse durant sa captivité, lui avaient été payés par le maire de Moreville.

Hocquau s'introduisit chez les époux Houot, sous le prétexte d'y changer une pièce de deux francs. On présuma depuis que, dans cette occasion, il avait pu remarquer que les sieur et dame Houot avaient dans leur armoire une somme d'argent plus ou moins considérable, et que cette remarque avait suffi pour lui donner l'idée de commettre un crime horrible.

Hocquau avait quitté la commune de Vasancourt depuis qu'il n'y travaillait plus. Il y revint dans la nuit du 4 au 5 avril, et s'introduisit, par une croisée laissée ouverte, dans la maison des époux Houot. Pour être plus à l'aise dans l'exécution de son projet criminel, il avait laissé, à quelque distance, une partie de ses vêtemens, et s'était rendu dans la maison de son ancien maître, le menuisier Camus; là, il s'était saisi d'une hache à main qui devait servir d'auxiliaire à sa scélératesse.

Revenu près de la maison des époux Houot, il s'y introduit, s'avance, au milieu de l'obscurité, vers un lit qu'il avait remarqué, et cherche à tâtons s'il ne rencontrera pas quelque victime à frapper. Les lits étaient vides; Hocquau passe à la cuisine, trouve dans le buffet un jambon qu'il déchire de trois ou quatre coups de dents et qu'il jette après l'avoir ainsi rongé; puis, il entre dans la pièce voisine qui était la chambre à coucher des époux Houot; il va droit au lit et assène un premier coup qui traverse la couverture et effleure la peau du vieillard. Houot se débattit entre les mains de son assassin; mais bientôt six autres coups, portés avec force, le privèrent de connaissance, et Hocquau le traîna au milieu de la chambre.

La dame Houot était beaucoup plus jeune que son mari. Mais que pouvait-elle faire seule, sans armes, contre un furieux qui d'un seul coup pouvait l'étendre à ses pieds? d'ailleurs, en ce moment elle était plongée dans un profond sommeil. Cette femme est elle-même atteinte d'un premier coup mal assuré; elle se réveille en sursaut et, croyant que son mari est agité par quelque rêve pénible, elle s'écrie: Mais que faites-vous, Houot? vous me frappez! Mais elle ne tarda pas à être détrompée; le bras qu'elle avait étendu pour retenir son mari fut atteint par un nouveau coup de hache qui en sépara presque entièrement le poignet, et dix autres coups, portés avec la même violence, l'eurent aussi bientôt privée de sentiment. Ainsi, en quelques instans, Hocquau avait déchargé dix-neuf coups de hache sur ses victimes.

Cependant, au milieu de cette scène tragique, et par un heureux hasard, le sieur Houot avait en ce moment chez lui son petit-fils, l'abbé Clause, clerc tonsuré du séminaire de Verdun. Ce jeune homme couchait dans une chambre voisine de celle des époux Houot, et dans laquelle il y avait une porte de communication. Il entend du bruit, des cris; il se lève, se précipite dans la chambre de ses parens, et voit un homme s'y livrer sur eux aux violences les plus horribles: alors, et sans hésiter, il s'élança sur l'assassin, et engagea avec lui une lutte inégale autant que dangereuse. Vainqueur et vaincu tour-à-tour, le jeune abbé ne perdit pas courage; quoique blessé légèrement de deux coups de hache, que lui avait portés son adversaire, il conservait toute sa force. Vainement l'assassin, contraint d'abandonner sa hache, avait saisi le jeune homme aux parties sexuelles; vainement il déchirait avec ses dents le bras du jeune Clause; celui-ci, loin de lâcher prise, parvint à traîner Hocquau près de la fenêtre, appelant à grands cris du secours. Enfin, il renversa et contint Hocquau sur le lit même où les époux reposaient avant qu'il les en arrachât.

Bientôt des voisins accoururent de toutes parts, et l'on vit le sieur Houot étendu sur le carreau, et ne donnant aucun signe de vie; sa femme horriblement mutilée, et également sans mouvement; la chambre dans le plus grand désordre, et toute inondée de sang. L'assassin, toujours contenu par l'intrépide jeune homme qui l'avait terrassé, écumait de colère et de rage.

A la vue de tant de témoins de sa criminelle tentative, Hocquau déclara qu'il se rendait; on le lia fortement au pied du lit même de ses victimes, et l'on courut avertir l'autorité, qui ne tarda pas à le remettre entre les mains de la justice.

L'instruction de cette affaire ne présentait aucunes ambages, aucune difficulté. Hocquau avait été pris en flagrant délit: il lui était impossible de recourir à un système de dénégation; aussi ne le fit-il pas; il prétendit seulement qu'il n'était entré dans la maison que pour y voler, et qu'il n'avait frappé que parce qu'il avait senti le bras du vieillard prêt à l'arrêter.

Les débats qui eurent lieu devant la Cour d'assises des Vosges, en septembre 1828, ne présentèrent aucune nouvelle circonstance; l'accusé persista dans sa première déclaration; on apprit seulement qu'il avait dit, lors de son arrestation, que s'il avait su que l'abbé Clause fût chez son aïeul, il eût commencé par lui, ou ne fût point entré dans la maison. Par suite de leurs graves et nombreuses blessures, les époux Houot ne purent comparaître devant la Cour. Leur petit-fils, appelé comme témoin, reçut des principaux magistrats de la Cour les éloges dus à son intrépidité; non-seulement le courage de ce jeune ecclésiastique avait servi à préserver ses parens d'une mort qui semblait inévitable, il avait encore garanti la justice de l'erreur funeste dans laquelle elle eût pu être entraînée, si le véritable coupable n'eût pas été arrêté, en trouvant sur le lieu du crime la hache du menuisier Camus.

Hocquau, demeuré impassible pendant toute la durée des débats, fut déclaré coupable par suite de la décision unanime du jury, et condamné en conséquence à la peine de mort. Sa sentence lui fit pourtant verser quelques larmes, larmes qui prenaient plutôt leur source dans le regret d'avoir manqué son crime que dans le repentir de l'avoir entrepris.


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