Chronique du crime et de l'innocence, tome 8/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
Le sieur Antoine Berger, concierge de l'hôtel Vaucanson, rue Charonne, no 47, jouissait d'environ 3,000 francs de revenu; et son extrême économie laissait supposer qu'il avait de l'argent chez lui. Antoine Berger avait un neveu nommé Chandelet, mauvais sujet, qui avait subi une condamnation d'un mois de prison et cinq ans de travaux forcés. Au mois de mars 1829, Chandelet passa huit jours auprès de son oncle, et eut toute la facilité de se mettre au fait des êtres des deux pavillons situés de chaque côté de la porte cochère, lesquels étaient habités l'un par Berger, l'autre par sa domestique.
Le 31 mars, la servante vit son maître remonter dans sa chambre vers huit heures du soir; il emportait sa montre et son argenterie. Les portes étaient fermées depuis sept heures; les grosses clefs avaient été déposées à leur place ordinaire. Vers une heure et demie du matin, la femme Domas entendit des gémissemens; elle en fit part à son mari qui pensa que ce pouvait être le résultat de quelque dispute de vidangeurs, et n'y porta aucune attention.
A trois heures du matin, un des nombreux ouvriers travaillant dans la maison, fut étonné de trouver la grande porte ouverte, ainsi que la porte de la loge. Il vit dans la cour une blouse et une bougie dite rat-de-cave, le tout couvert de taches de sang. Cet ouvrier fit part de son étonnement à plusieurs personnes: sans plus attendre, on pénétra dans la loge au rez-de-chaussée. On y remarqua peu de désordre; les clés de la porte cochère avaient disparu; elles furent retrouvées bientôt après dans la cour; des restes d'alimens prouvaient que pendant la nuit, on était venu y manger et y boire.
Au premier étage, la porte était ouverte; derrière elle, gisait le cadavre du malheureux Berger, baigné dans son sang et couvert d'un grand nombre de blessures; l'artère carotide du côté gauche était ouverte, ainsi que la veine jugulaire du même côté, et tous les muscles adjacens avaient été tellement meurtris, qu'il existait en cet endroit une cavité assez considérable pour y loger le poing.
Un gendarme, en relevant le cadavre, trouva un couteau cassé en deux et taché de sang, qui appartenait à la victime, et avait servi à commettre le crime. La chambre était dans le plus grand désordre; la paillasse du lit avait été retournée et fouillée; des traces de sang étaient empreintes sur du linge et des papiers laissés dans une armoire; l'argenterie, la montre et l'argent avaient été volés.
Plusieurs échelles qui, ordinairement, étaient attachées ensemble avec un cadenas, avaient été séparées, et l'une d'elles avait servi à escalader la fenêtre de la chambre où l'assassinat avait été commis. On présuma que l'un des auteurs du crime s'était introduit dans la maison avant la fermeture des portes, et que, pendant la nuit, il avait introduit ses complices.
Ces présomptions furent bientôt confirmées, quand on apprit que Chandelet était parent de Berger. Ce fut donc sur ce forçat libéré que les premiers soupçons tombèrent. On l'arrêta le 1er avril; il avait des habits tout neufs; on le fouilla; il avait sur lui plusieurs sommes d'or et d'argent; le poignet de sa chemise était déchiré, et l'on y remarquait, en plusieurs endroits, des taches qui semblaient provenir de sang; il était légèrement blessé à la lèvre supérieure et à l'avant-bras droit, et la première de ces plaies était tout-à-fait récente.
Chandelet, pressé par les indices qui s'élevaient contre lui, avoua son crime, et désigna comme ses complices, Guérin, forçat libéré, Bardou, qui avait été condamné à trois ans de prison, et la fille Lahouille, dite la mère des forçats, qui elle-même avait paru trois fois en justice. Cette dernière fut arrêtée, les deux autres prirent la fuite et se rendirent à Lyon, où ils furent saisis au moment où ils cherchaient à vendre l'argenterie de Berger. D'abord, ils nièrent tout; puis, à l'exemple de Chandelet, ils finirent par tout avouer. Ils varièrent seulement sur diverses circonstances. Ainsi Chandelet faisait le guet, tandis que les deux autres assassinaient Berger; Guérin et Bardou disaient au contraire que c'était Chandelet qui avait tué son oncle, mais cette dernière version était peu vraisemblable, car Berger était assez fort pour se défendre contre un seul homme. La fille Lahouille niait qu'elle eût participé au vol et à l'assassinat.
Les quatre prévenus furent amenés devant la Cour d'assises de la Seine, le 29 novembre. Là, Bardou et Guérin-Merville rétractèrent leurs premiers aveux, soutinrent qu'ils n'avaient participé qu'au vol, et que Chandelet seul avait commis l'assassinat. Une vive altercation s'éleva à ce sujet entre Guérin-Merville et Chandelet.
Après trois jours de débats, le jury déclara Chandelet, Guérin et Bardou coupables de complicité dans l'assassinat. En conséquence, ils furent condamnés à la peine de mort; la fille Lahouille, pour avoir donné asile aux malfaiteurs, fut condamnée à dix ans de travaux forcés. En entendant l'arrêt fatal, Chandelet fut accablé; un rire convulsif et effrayant contracta tous les muscles de son visage. Guérin essuyait son front couvert de sueur, et tenait ses yeux levés vers le ciel. Quant à Bardou, il demeura calme et impassible, comme dans le cours des débats.
Les trois condamnés à mort subirent leur peine le 27 janvier 1830. Chandelet montra jusqu'au dernier moment la plus audacieuse effronterie. Il adressait à ses compagnons et aux personnes qui l'entouraient, des plaisanteries assaisonnées d'argot. Quand il fut dans la fatale charrette, il se mit à entonner son chant de mort. Il chantait encore au pied de l'échafaud, en contemplant d'un œil éteint, d'un air égaré, le supplice de Guérin et de Bardou: ce dernier était presque sans connaissance quand on le mit sous le fer du bourreau.