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Chronique du crime et de l'innocence, tome 8/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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Une jeune fille, nommée Rosalie Dusser, était au service des époux Baudy, propriétaires d'une métairie située sur le territoire de la commune de Nozières (Ardèche). Un cousin de cette jeune fille, Antoine Gouy, était domestique dans la même maison. Tous deux semblaient devoir vivre en bonne intelligence, à raison de l'étroite parenté qui les unissait; mais l'amour, ou plutôt une passion grossière et brutale, vint semer la division entre eux. Gouy fit de libertines propositions à sa cousine qui les repoussa; et, dès ce moment, celle-ci eut de graves sujets de se plaindre de son parent à ses maîtres. Les indécentes libertés qu'il prenait sur elle, les violences répréhensibles auxquelles il avait recours n'étaient pas de nature à le faire aimer de Rosalie. Il alla même plusieurs fois jusqu'à lui adresser des menaces. On l'entendit un jour dire à sa cousine d'une voix effrayante: Tu me fuis, mais tôt ou tard, tu me le paieras!

Par suite de l'effroi que lui causaient ces menaces réitérées, Rosalie se vit forcée d'informer ses maîtres de la conduite d'Antoine, et déclara que s'ils le gardaient chez eux, elle se verrait dans la nécessité de quitter leur service. Les époux Baudy, qui n'avaient qu'à se louer de la manière d'être et du travail de Rosalie, n'hésitèrent pas à congédier Gouy dont ils étaient d'ailleurs fort mécontens, et ne lui laissèrent pas ignorer la cause de cette mesure de rigueur. Antoine Gouy chercha à se placer dans différentes maisons; mais sa mauvaise réputation l'empêcha de réussir dans ses démarches pour cet objet. Il revint auprès des époux Baudy, les conjurant de le reprendre. Ceux-ci n'y consentirent qu'après beaucoup de difficultés et par pure compassion; mais ils lui firent promettre formellement qu'il ne persécuterait plus sa cousine comme par le passé.

Dès ce moment, Gouy n'eut plus pour Rosalie que des regards de haine et de ressentiment. Déjà, sans doute, il méditait des projets de vengeance, comme il est permis de le croire par les faits dont nous allons parler.

Quelques jours avant le 27 juillet 1828, Antoine Gouy chercha à se procurer de la poudre et du plomb pour charger son fusil. Il s'adressa à un voisin, nommé Romain Betton, et le pria de lui donner deux coups de plomb, en échange d'une petite quantité de poudre, qu'il lui offrit. Betton y consentit. Quelques jours après, Gouy alla de nouveau trouver Betton et lui demanda deux onces de poudre, en lui disant qu'il avait l'intention d'aller à la chasse, qu'il avait sept travers de doigt de charge. Pendant la journée du dimanche 27 juillet, il entra dans le grenier à foin de Betton; celui-ci, qui s'y trouvait, lui demanda s'il avait été à la chasse, et s'il avait tué quelque chose. Gouy lui répondit qu'il n'avait pas tiré, n'ayant vu que de petits oiseaux qui ne valaient pas le coup. Cependant, ce même dimanche, Rosalie Dusser était partie pour aller garder les bestiaux dans le bois de Chambasse; elle les ramenait habituellement à la ferme à huit heures du soir. Mais cette heure était déjà passée qu'elle n'avait pas reparu. Ses maîtres l'attendirent quelque temps, sans concevoir d'abord la moindre inquiétude sur ce retard inaccoutumé. Enfin, ne la voyant pas revenir, ils se dirigèrent vers le bois de Chambasse; ils ne tardèrent pas à concevoir de tristes pressentimens. Les vaches, cédant à leur instinct et à leur habitude journalière, avaient senti qu'il était l'heure de la retraite, et reprenaient seules le chemin de l'étable; plus loin, gisait sur l'herbe le cadavre de l'infortunée Rosalie; ses membres conservaient encore un reste de chaleur; les époux Baudy espérèrent un moment qu'ils pourraient la rappeler à la vie; mais tous leurs efforts furent inutiles; la mort avait irrévocablement marqué sa victime.

Les époux Baudy instruisirent aussitôt de cet horrible événement toutes les personnes qu'ils rencontrèrent sur leur passage. Romain Betton l'apprit un des premiers; et, se rappelant avoir entendu sur les huit heures ou huit heures et demie du soir, tirer deux coups de fusil dans la direction qu'on lui indiquait, il courut au bois de Chambasse, et reconnut, à quelques pas du cadavre de Rosalie Dusser, le fusil de Gouy, brisé et séparé en plusieurs morceaux. Déjà, sans que l'on connût cette dernière circonstance, des soupçons planaient sur Antoine Gouy, et les époux Baudy le regardaient comme l'auteur du crime.

Les magistrats et les médecins, appelés sur les lieux, constatèrent que Rosalie Dusser avait été tuée de deux coups de feu, dont l'un avait pénétré dans une épaule et fracturé l'omoplate, et l'autre brisé l'épine dorsale, en pénétrant par le dos. De fortes contusions, que l'on remarqua sur la tête et sur plusieurs parties du corps de la victime, attestaient que l'assassin lui avait porté plusieurs coups avec la crosse de son fusil, dont on retrouva les fragmens à dix pas du cadavre, et sur laquelle on vit des cheveux et du sang.

Gouy fut arrêté, et avoua immédiatement toute l'horrible vérité. Il convint qu'il avait passé toute la soirée du dimanche dans le bois de Chambasse, et même qu'il s'y était rendu avec de très-mauvais desseins. Il déclara «qu'il en voulait depuis long-temps à Rosalie, soit parce qu'elle refusait d'écouter ses propositions, soit parce qu'elle lui reprochait d'avoir l'intention de la mettre dans l'embarras, comme il l'avait sans doute fait à l'égard de bien d'autres.» Il ajouta «qu'il l'avait rencontrée au bois, qu'il avait voulu mettre à exécution le projet qu'il avait formé depuis plusieurs jours, de la blesser d'un coup de fusil pour lui faire peur; qu'il lui dit, en la rencontrant, de faire le signe de la croix, et que, Rosalie s'étant mise à pleurer, il lui tira, à quelques pas de distance, un premier coup de fusil qui ne la renversa pas; qu'alors elle se mit à courir en lui disant qu'on lui ferait faire la même fin qu'il lui faisait faire à elle-même; que, réfléchissant aux conséquences que pourrait avoir pour lui la déclaration de cette fille, il se décida à lui tirer un second coup qui la renversa; qu'il lui porta encore un coup de la crosse de son arme sur la tête, jeta ensuite cette même arme sur le corps de Rosalie qui ne faisait alors aucun mouvement, et s'enfuit.»

Gouy persista dans ses aveux pendant tout le cours de l'instruction. Devant la Cour d'assises de l'Ardèche, où il fut traduit en janvier 1829, il montra d'abord beaucoup d'hésitation et de frayeur; il promenait des yeux égarés et stupides sur tout l'auditoire. Cependant, il répondit bientôt avec plus d'assurance; il reconnut pour vrai tout ce qui avait été rapporté par les témoins, et confirma, par de nouveaux détails, tout ce que relatait l'acte d'accusation.

La défense ne pouvait rien tenter en faveur d'un semblable prévenu. Aussi l'avocat crut-il devoir s'en rapporter pleinement à la sagesse des jurés. Déclaré coupable, après une courte délibération, Gouy fut condamné à la peine de mort, et la Cour ordonna que l'exécution aurait lieu sur la scène même du crime.

Antoine Gouy ne manifesta aucune émotion, en entendant la fatale condamnation. L'arrêt de mort fut exécuté peu de jours après, car le condamné avait refusé de se pourvoir en cassation.


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