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Chronique du crime et de l'innocence, tome 8/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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Marie Lombard, jeune fille aussi sage que belle, habitait la commune de Chefhaute, dans les Vosges. Elle était l'unique soutien de sa mère, et sa conduite lui avait mérité l'estime de tous ses voisins. Le nommé Mathieu lui faisait une cour assidue, et quoique la mère de la jeune fille ne fût pas très-satisfaite de cette alliance projetée, elle avait néanmoins accordé son consentement. Les bans étaient publiés, le mariage allait être célébré; une irrégularité dans l'acte de naissance de la future retarda la cérémonie. La mère profita de ce retard pour éloigner sa fille d'une union qu'elle voyait avec chagrin. Marie Lombard, ébranlée par les raisons de sa mère, et réfléchissant d'ailleurs au caractère violent de Mathieu et à ses mauvaises habitudes, renonça tout-à-coup à ce mariage. Cette nouvelle inattendue alluma la rage dans le cœur de Mathieu. Dès ce moment, il ne respira plus que la vengeance, et ses menaces comprirent également la fille et la mère. Son ressentiment s'exhalait dans tous ses propos. Des témoins rapportèrent les atroces paroles qu'il avait prononcées en plusieurs circonstances: Marie Lombard, disait-il, passera par mes mains; elle ne mourra que par moi, je la tuerai avec un kolbau (espèce de hoyau).

Malheureusement Mathieu ne s'en tint pas à de vaines et coupables menaces. Le 6 juin 1828, ayant aperçu, sur les onze heures du matin, Marie Lombard se dirigeant vers le champ de sa mère, au moment où il revenait lui-même chez son maître pour y dîner; il mangea à la hâte, refusa d'achever son repas, et, malgré une pluie abondante, s'obstina à retourner aux champs; mais au lieu de se rendre à son travail, il suivit la route qu'avait tenue Marie Lombard, et la rejoignit bientôt, au moment où cette infortunée s'occupait à sarcler. Là, il renouvela à la jeune fille ses propositions de mariage; mais voyant qu'elle persistait dans son refus, il changea alors tout-à-coup de langage et de conduite, et appela la violence à son secours. Marie Lombard voulut fuir, mais elle tomba atteinte par un premier coup porté entre les deux épaules; elle se releva; trois autres coups, assénés sur la tête, l'abattirent de nouveau, et son amant, devenu son assassin, l'acheva malgré ses larmes et ses prières.

Après cet horrible meurtre, Mathieu alla froidement laver son couteau dans un ruisseau voisin, puis il erra dans la campagne. Toutefois sa rage n'était pas encore satisfaite; sa passion et sa haine survivaient encore dans toute leur force; elles le ramenèrent auprès de sa victime. Près de deux heures s'étaient écoulées; il ne retrouva plus qu'un cadavre presque froid. Une stupide fureur s'empare de ses sens; il traîne le cadavre à vingt pas de là; il arrache les vêtemens qui le couvrent; il repaît ses yeux de ce spectacle; puis, aidé de son couteau et de son kolbau, il éventre entièrement et du bas en haut, sa victime; il lui déchire le sein; il semble vouloir lui arracher les entrailles, et, par une blessure profonde et circulaire à la cuisse, il indique le projet de découper le cadavre par morceaux. Gorgé de sang, il va laver encore dans le ruisseau, et ses mains, et les instrumens qui lui ont servi à commettre son épouvantable forfait; puis il erre de nouveau dans la campagne.

La vieille mère de Marie Lombard ne voyant pas rentrer sa fille, conçut de vives inquiétudes. Elle apprit, non sans effroi, que Mathieu s'était dirigé vers le champ où travaillait sa fille; un funeste pressentiment s'empara de son imagination; elle n'hésita pas à crier: Ma pauvre fille est perdue! Cette présomption, suggérée par la crainte, n'était que trop bien fondée. Le lendemain, dès le point du jour, le cadavre de Marie Lombard fut trouvé sur le lieu du crime.

Quant à Mathieu, il avait déjà été arrêté; les propos et les menaces qu'il avait sans cesse à la bouche, avaient éveillé l'attention de l'autorité locale; et, à la première nouvelle de la disparition de Marie Lombard, on n'avait pas hésité à faire planer des soupçons sur Mathieu. On l'arrêta donc provisoirement au moment où, après avoir passé la nuit dans son lit, il demandait son compte à son maître pour rejoindre à Nancy un postillon de ses amis, qui l'eût conduit à Paris, où il espérait se soustraire aux poursuites de la justice.

Mathieu rapporta lui-même tous les détails que vient de lire le lecteur, relativement à la consommation du crime. Il montra le mouchoir qu'il avait arraché à sa victime, et que, tout ensanglanté encore, il avait ceint autour de ses reins sous sa chemise. Il n'avait été vu de personne dans l'accomplissement de son attentat; seulement on l'avait aperçu s'approchant de la fille Lombard: puis quelque temps après, on l'avait vu parler à un jeune homme avec lequel il s'était arrêté. Il disait à ce jeune homme qu'il avait rencontré sa maîtresse, et l'invitait à venir voir comment il l'avait arrangée. L'instruction ne put parvenir à expliquer cette démarche: Mathieu voulait-il se faire passer pour fou, ou était-il véritablement en démence, ou bien avait-il résolu de détruire, par un nouveau crime, un homme dont il pouvait redouter le témoignage? Mais, par un heureux hasard, le jeune homme n'avait pas cédé à l'invitation de Mathieu.

Le coupable comparut devant la Cour d'assises des Vosges, le 5 septembre 1828. Là, il répéta ses aveux. «J'aurais voulu pouvoir, disait ce furieux, couper Marie Lombard par morceaux pour assouvir ma vengeance. Au surplus, si je l'ai frappée, c'est qu'elle voulait résister à mes désirs, et m'a porté un premier coup pour se défendre.»

Sur la réponse affirmative du jury, Mathieu fut condamné à la peine capitale. Ce féroce assassin entendit le fatal arrêt sans que la moindre émotion eût paru sur ses traits.


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