Chronique du crime et de l'innocence, tome 8/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
Cécile Leboucher, de la commune d'Hébécrivon, arrondissement de Saint-Lô, avait épousé, à l'âge de dix-sept ans, le sieur Charles Lebaron; elle avait, dit-on, été contrainte à ce mariage par sa mère: quoi qu'il en soit, cette union ne fut pas heureuse.
Cécile Leboucher haïssait son mari, et ne le dissimulait en aucune circonstance. L'ayant fait citer en police correctionnelle, à l'occasion d'une querelle qu'ils avaient eue ensemble, elle s'était égratigné elle-même la figure pour le faire condamner comme auteur de ces blessures. Par suite de cette affaire, une demande en séparation avait été formée, mais la famille était parvenue à les réunir.
Toutefois cette réconciliation ne fut que de peu de durée, et bientôt les scènes les plus violentes éclatèrent de nouveau. Voyageant un jour avec une voisine, Cécile lui dit que son mari lui avait donné sa tâche et l'avait disputée le matin; elle ajouta: Ah! si nous en étions défaits! Puis, sur les représentations de cette femme, elle dit: «Ne dites rien; car s'il lui arrivait quelque chose!..... il est toujours en charriage; il n'aurait, étant ivre, qu'à se trouver pris sous une voiture...» Une autre fois, s'entretenant avec un journalier, nommé Vaultier, des torts de son mari à son égard: Si j'en avais un comme celui-là, lui dit Vaultier, je l'étoufferais.—Le feriez-vous bien? repartit vivement la femme Lebaron. Enfin, dans une autre circonstance, elle proposa au nommé Clément Leroy, alors son domestique, de l'aider à empoisonner son mari, l'assurant qu'il ne lui en arriverait rien, et qu'ensuite il l'épouserait.
Cécile Leboucher s'était adonnée à l'ivrognerie et à la débauche. On citait plusieurs individus avec lesquels elle entretenait des liaisons coupables, notamment Vaultier qui travaillait habituellement chez elle. Cet homme était marié, et père de quatre enfans.
Le 16 décembre 1828, le procureur du roi de Saint-Lô fut informé que Lebaron avait été, le matin même, trouvé mort dans son écurie, derrière ses chevaux.
On put juger d'abord, par la position du cadavre, que cet homme n'avait pu être tué par ses chevaux; et bientôt un examen plus attentif ne laissa plus de doute sur son genre de mort. On eut lieu de penser que Lebaron avait été victime d'un assassinat, et que cet assassinat avait été commis dans un moment où il était nu ou en chemise. En effet, il n'y avait aucun désordre dans ses vêtemens; on ne découvrit aucune trace de sang. Les genoux et les cuisses étaient couverts de boue, et le pantalon n'était ni percé ni gâté aux endroits correspondans; le bas de la chemise, introduit dans le pantalon, était marqué d'une empreinte de doigts ensanglantés.
On ne fit d'abord que d'infructueuses recherches pour découvrir l'auteur de ce crime; mais diverses circonstances firent soupçonner Vaultier, qui fut aussitôt arrêté.
Dans un premier interrogatoire, cet homme ne put résister à la véhémence des présomptions qui déposaient contre lui, et dans un second, il finit par s'avouer l'auteur de l'assassinat. Il donna ensuite des détails sur les circonstances du forfait. Il résultait de ses aveux qu'il n'était que le complice de Cécile Leboucher, femme de Lebaron. «Depuis long-temps, dit-il, elle me sollicitait de la débarrasser de son mari; elle m'avait même dit qu'elle me l'enverrait pendant la nuit m'apporter du glu, afin que je pusse m'en défaire plus facilement; Lebaron vint en effet chez moi le samedi qui précéda sa mort, mais je ne voulus pas commettre le crime. Le lundi, jour de l'assassinat, Cécile Leboucher vint à plusieurs reprises me trouver chez Leboucher, où je travaillais, et renouvela ses instances, en promettant que je ne manquerais pas d'argent. «L'occasion est favorable, me dit-elle; mon mari est à faire du froment chez un voisin. Il reviendra fatigué et s'endormira promptement; je me coucherai avec lui et ma petite fille, ayant soin de laisser la porte ouverte; au moment où vous entrerez, je me lèverai, je porterai mon enfant dans le cabinet voisin, et reviendrai ensuite vous aider. «Ce qui fut exécuté ponctuellement.
«Étant sorti de chez Leboucher, où j'avais passé la soirée, j'attendis dans la cour que tout le monde fut couché; j'entrai ensuite chez Lebaron, que je trouvai endormi à la rive, c'est-à-dire du côté de la porte. Je lui donnai sur la tête un violent coup d'un gros morceau de bois dont j'étais armé; il tomba sur la chaise qui était au-devant du lit, et contre le jambage de la cheminée; je lui portai plusieurs autres coups et le saisis à la gorge. Pendant ce temps, Cécile sortit du cabinet où elle était allée porter sa fille, et donna plusieurs coups de sabot à son mari.
«Lorsqu'il fut sans vie, nous l'habillâmes; la femme Lebaron lui passa elle-même son pantalon; nous lui entourâmes la tête de deux mouchoirs pour empêcher qu'on ne suivît la trace du sang, et le portâmes dans l'écurie, afin que l'on crût qu'il avait été tué par ses chevaux. Rentrés dans la maison, nous avons semé beaucoup de cendre sur le plancher, au lieu où le sang avait été répandu. La femme gratta cet endroit avec les ongles et jeta la terre derrière le foyer. Nous portâmes ensuite à la chambre la chaise sur laquelle Lebaron était tombé, parce qu'elle était teinte de sang, et cachâmes sous la paillasse d'un lit dans cette même chambre, les mouchoirs qui avaient entouré la tête de ce malheureux.»
A tous ces horribles détails, Vaultier ajouta qu'ils burent, pour se remettre les esprits, de l'eau-de-vie, qu'il avait achetée le samedi précédent avec de l'argent que la femme Lebaron lui avait remis à cet effet, et que, dans la conversation qui eut lieu entre eux, cette femme lui dit: «Ce qui me gêne le plus, c'est la crainte de ne pouvoir pleurer demain. Au reste, je me lèverai de grand matin, j'irai chez Leboucher chercher du feu, et lui dirai que je suis bien inquiète, parce que Lebaron est parti hier soir, et n'est pas encore de retour.»
La femme Lebaron, interrogée à son tour, prétendit que son mari, après être revenu de son travail, était parti sur sa jument pour aller parler à sa mère qui l'avait demandé la veille; qu'elle s'était couchée comme à son ordinaire, et que, ne le voyant pas revenir, elle était allée sur les cinq heures du matin chez le sieur Pierre Leboucher, lui faire part de son inquiétude, et s'en était revenue faire de la soupe, qu'elle mangeait avec sa fille lorsqu'on était venu lui apprendre que son mari avait été trouvé mort dans l'écurie. Elle nia formellement toutes les circonstances contenues dans le récit de Vaultier.
Ce dernier, confronté avec la femme Lebaron, persista avec assurance dans sa première déclaration. Les mouchoirs, désignés par Vaultier, furent retrouvés dans les poches de la femme Lebaron, qui les avait fait reprendre sous la paillasse de la chambre. On remarqua que le jambage de la cheminée, contre lequel portait la tête du lit de Lebaron était couvert de petites taches de sang très-nombreuses: la femme Lebaron prétendit que ces taches provenaient d'un saignement de nez qu'avait eu son mari. On remarqua en outre plusieurs mares de sang, tant sous la grande porte de la cour, que dans le chemin qui conduit de cette porte à l'écurie.
Les indices de culpabilité ne manquaient pas; Vaultier et la femme Lebaron furent arrêtés et conduits dans les prisons de Saint-Lô. Dès le lendemain, Cécile Leboucher démentit tout ce qu'elle avait dit précédemment, et convint que son mari était couché dans son lit, lorsqu'il avait été assassiné; qu'elle y était également couchée avec sa petite fille. Elle désigna Vaultier comme l'assassin, et raconta cette scène de manière à éviter la peine de complicité. Selon elle, Vaultier la poursuivait, et l'excitait depuis long-temps à tuer son mari, en lui disant qu'il la battait et la laissait sans les provisions les plus nécessaires; qu'après sa mort, elle jouirait de son bien; qu'il viendrait domestique chez elle, et ne la laisserait manquer de rien; que le soir de l'assassinat, Vaultier s'était posté sur le lit, en lui disant: Si tu ne le tues pas, je te tue, toi et ta fille; qu'elle s'était enfuie dans un cabinet derrière la cuisine, et qu'aussitôt Vaultier avait assené sur la tête de son mari un violent coup d'un morceau de bois qu'il tenait; qu'elle avait voulu sortir pour lui porter secours, mais que l'assassin l'avait repoussée dans le cabinet, d'où il l'avait fait sortir ensuite pour la contraindre à l'aider à porter le cadavre dans l'écurie.
Vaultier, dans tous ses interrogatoires postérieurs, ne varia pas sur les détails de la scène sanglante du 16 décembre; il ajouta seulement plusieurs autres circonstances qui tendaient plus ou moins à établir la vérité.
La justice entendit aussi plusieurs dépositions importantes. Un individu déclara avoir vu et reconnu Vaultier et la femme Lebaron, la nuit de l'assassinat, sous la grande porte de la ferme, portant un fardeau chacun par un bout; la femme ayant laissé tomber le bout qu'elle portait, avait été gourmandée à ce sujet par Vaultier, qui lui avait dit qu'ils allaient être pris, qu'il y avait du monde. La peur les fit rentrer d'abord dans la ferme d'où ils se rendirent ensuite dans l'écurie. Ils regardaient avec inquiétude autour d'eux pour voir s'ils ne pouvaient être découverts.
Les deux coaccusés comparurent devant la Cour d'assises de la Manche, dans la seconde session de mars 1829. La femme Lebaron était alors âgée de vingt-deux ans. Sa tête était petite, sa physionomie commune. Elle se tint constamment la tête baissée et les yeux fixés sur ses genoux. Pendant la lecture de l'acte d'accusation, quand le greffier rapporta les horribles circonstances de l'assassinat, Vaultier sembla un moment agité, et Cécile Leboucher fut saisie d'un tremblement qui dura assez long-temps, sans que sa figure, toutefois, annonçât autant d'agitation que les mouvemens de son corps. Quand le président de la Cour demanda à Vaultier si c'était lui qui avait donné la mort, Vaultier, en regardant la femme Lebaron, répondit: C'étaient nous deux! La femme Lebaron, de son côté, persista à vouloir assumer sur la tête de Vaultier tout l'horrible du meurtre de son mari.
Les médecins qui avaient été chargés de l'examen du cadavre révélèrent une foule de particularités qui annonçaient un assassinat exécuté avec une affreuse barbarie. Ils avaient trouvé, dirent-ils, les os du crâne en bouillie, la gorge portant encore l'empreinte des doigts qui l'avaient serrée, la figure ensanglantée et meurtrie de coups; ils ajoutèrent d'autres détails que nous tairons par pudeur, et qui firent frémir l'auditoire.
Sur la déclaration du jury, les deux accusés furent déclarés coupables et condamnés à la peine de mort.
Cette terrible décision fut accueillie dans l'auditoire avec des applaudissemens, et des cris de joie; de fréquentes rumeurs avaient déjà plusieurs fois interrompu les plaidoieries. Le président de la Cour réprima avec une sorte d'indignation ces démonstrations révoltantes. Les condamnés entendirent leur arrêt avec une apparence de sang-froid. Au sortir de l'audience, comme la foule se ruait sur leur passage, on les reconduisit à la prison par un chemin autre que celui que l'on prend ordinairement, afin de les soustraire à l'avide curiosité et aux clameurs furieuses qui les avaient poursuivis le matin jusqu'à leur arrivée au tribunal.