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Chronique du crime et de l'innocence, tome 8/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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Les fastes de notre jurisprudence criminelle, ainsi que le disait le défenseur de l'accusée dans cette cause, offrent peu d'exemples du crime qui fait l'objet de cette accusation, et l'on peut dire avec certitude que l'amour et la jalousie ont toujours égaré ceux qui ont pu se rendre coupables d'un pareil forfait. Dans la déplorable circonstance dont nous allons rapporter les détails, ce furent la méchanceté, la barbarie, la perversité qui conduisirent des mains faites pour le crime.

Vers la fin d'octobre 1828, la clameur publique annonça au maire d'Hautefort (Dordogne), qu'un crime horrible avait été commis par Catherine Migot sur Aubin Javaneau, à peine âgé de trois ans, enfant d'un premier mariage de Jean Javaneau, son mari.

Cette Catherine Migot, dont la jeunesse avait été souillée par une honteuse dépravation de mœurs, était d'un naturel violent et cruel. Elle était capable de se livrer à toutes sortes d'excès; tout son voisinage la redoutait, son mari même tremblait de devenir sa victime. Toute la contrée savait que cette méchante créature abhorrait les enfans de son mari, qu'elle les maltraitait sans relâche et à tout propos, et que le plus jeune était particulièrement l'objet de sa haine et de ses cruautés. Pouvant à peine bégayer quelques mots, ce malheureux enfant était privé de la faculté de se plaindre des mauvais traitemens qu'on lui faisait endurer. Aussi sa marâtre crut-elle pouvoir, avec l'espérance de l'impunité, consommer sur lui le plus abominable des forfaits.

Le maire d'Hautefort, déterminé par toutes ces circonstances, se transporta, assisté des gens de l'art, au domicile de Jean Javaneau, et demanda à voir le plus jeune de ses enfans. Catherine Migot eut l'inconcevable audace de le conduire dans une petite cabane séparée de la maison. Là, on trouva le jeune Aubin, seul, couvert d'ordures, transi de froid et étendu presque sans vie sur quelques planches à peine recouvertes d'une paille infecte.

Les médecins visitèrent ce pauvre enfant, et acquirent bientôt la triste certitude du crime affreux dont Catherine Migot était accusée par la clameur publique. Une cicatrice de cinq lignes de longueur, très-large, paraissant être le résultat d'une plaie faite par un instrument tranchant qui coupait mal; des traces bien marquées de compression et de ligature attestaient avec quelle recherche de barbarie on avait mutilé le jeune Aubin Javaneau. Les médecins ne balancèrent pas à déclarer que l'état désespéré, où se trouvait cet enfant, pouvait provenir de l'opération cruelle qu'on lui avait fait subir. L'infortuné Aubin Javaneau expira quelques heures après.

Aussitôt une instruction judiciaire eut lieu. Des témoins nombreux accusèrent Catherine Migot, et racontèrent des circonstances épouvantables, qui annonçaient une cruauté froidement calculée, occupée incessamment à inventer de nouveaux tourmens pour le malheureux Aubin Javaneau.

Cette misérable refusait à ce pauvre enfant la nourriture nécessaire à ses besoins: pendant l'absence de son mari, elle le chassait de la maison, au moment des repas. Elle lui mettait des excrémens dans la bouche, et prétendait le forcer à les manger. Un jour, Marie Mortier, témoin de cette action infâme, voulut donner à l'enfant un morceau de pain qu'elle avait dans sa poche; la marâtre s'en empara, le présenta à Aubin, qui, pressé par la faim, allait le prendre, mais, au lieu de le lui laisser, elle lui appliqua sur la main un violent coup de houssine.

Tous les jours, elle le rouait de coups; dehors, elle le fouettait avec des orties, le jetait dans les ronces et contre les murs; dans sa maison, elle le frappait avec un bâton; et, quoiqu'elle demeurât à une assez grande distance du village, on entendait le bruit des coups qu'elle lui portait et les pleurs du jeune Javaneau. Habituellement, son corps était couvert de meurtrissures noires, bleuâtres ou jaunes.

Ce malheureux enfant couchait sur des planches qui reposaient sur quatre pieux. Si, la nuit, il était pressé par quelques besoins, ne pouvant se lever et n'ayant personne auprès de lui, il était souvent obligé de céder à la nature. Chaque fois que cela arrivait, Catherine Migot le prenait dans son lit, le traînait vers la mare la plus infecte et la plus bourbeuse du village, où elle le plongeait et replongeait, quelle que fût la rigueur de la saison. Puis elle laissait sur lui ses haillons tout mouillés, en lui disant qu'il serait bien frais toute la journée, et elle le conduisait à l'ombre d'un noyer où il demeurait abandonné, sans doute parce qu'elle pensait, d'après une tradition populaire, que l'ombre de cet arbre pouvait donner la mort.

Le père, un jour, ne put contenir son indignation et la frappa. Quelques jours après, une nouvelle rixe ayant eu lieu à la même occasion, Catherine Migot s'écria: «Tu m'as déjà battue à cause de ta famille; mais je te préviens que, si tu y reviens encore, je mettrai tes enfans sous mes pieds.» Elle dit à Anne Constantin, une de ses voisines, à laquelle elle se plaignit d'avoir été frappée par son mari: «S'il y revient, il s'en repentira, car si je ne pouvais pas en venir à bout autrement, je ferais bouillir de l'huile et la lui verserais dans la bouche, lorsqu'il serait endormi...»

La Cour d'assises de la Dordogne s'occupa de cette affaire dans ses audiences des 8 et 9 avril 1829. Catherine Migot persista dans le système de dénégation dans lequel elle s'était renfermée devant le juge d'instruction. Elle adressa de fréquentes et violentes interpellations à ceux qui déposaient contre elle, en leur lançant des regards furieux. Mais toutes ses dénégations furent démenties par les témoins qui venaient certifier les sévices exercées par Catherine Migot sur le jeune Aubin; les aveux mêmes qui étaient échappés à l'accusée dans les prisons, étaient là pour la confondre. Des prisonniers rapportaient qu'elle avait dit: «Ah! si je puis sortir d'ici, je me vengerai sur les deux autres, ou le diable me mangera. Si je ne puis m'y prendre autrement, je ferai bouillir de l'eau et je les plongerai dedans.» Elle avait dit en parlant de la mort d'Aubin: «Oui, je l'ai fait; et si je ne l'avais pas fait, je le ferais encore! Les chirurgiens et le maire ont mis une fausseté dans leurs procès-verbaux. Ils parlent de deux ligatures; il n'y en avait qu'une. Ils disent que l'opération a été faite avec des ciseaux; je ne me suis pas servie d'un pareil instrument; d'ailleurs, quand je l'ai fait, personne ne m'a vue.»

Après une demi-heure de délibération, les jurés répondirent affirmativement, seulement sur la question de tentative, manifestée par des actes extérieurs, suivie d'un commencement d'exécution, et n'ayant manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l'accusée.

Sur les conclusions du ministère public, la Cour condamna Catherine Migot aux travaux forcés à perpétuité.

La condamnée se rongeait les poings en écoutant son arrêt. Après le prononcé, elle jeta ses regards vers le ciel en protestant de son innocence; mais aucune émotion ne se peignait sur ses traits. Un moment, elle feignit de s'évanouir; mais, voyant que l'auditoire paraissait insensible, elle se leva et suivit les gendarmes, en se lamentant sur sa destinée, et vomissant des imprécations et des blasphèmes contre ceux qu'elle accusait d'avoir voulu la perdre.


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