← Retour

Chronique du crime et de l'innocence, tome 8/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

16px
100%

Le dimanche 2 juillet 1827, vers quatre heures du matin, le sieur Drouot, fermier à Jubercy (Marne), envoya Jules Devauversin, âgé de quatorze ans, son domestique, conduire ses trois chevaux en pâturage dans la réserve de la commune d'Oger. Une demi-heure après, il s'y rendit lui-même, accompagné de son chien, et se coucha au pied d'un chêne. Devauversin demanda à son maître et obtint de lui la permission de s'éloigner un peu, pour aller cueillir des fraises. Drouot, resté seul, commença à sommeiller. Au bout de quelque temps, les aboiemens du chien déterminèrent Devauversin à revenir pour surveiller les chevaux. Il marchait lentement à cause des ronces: parvenu à cinq ou six pas du chêne au pied duquel son maître s'était endormi, il remarqua un individu qui, paraissant venir de cet endroit, semblait agité par quelque dessein. Cet individu, nommé Martin Coutier, le remarqua également, et craignant sans doute qu'il n'eût vu ce qui venait de se passer, il se retourna sans s'arrêter et lui dit, en lui montrant le poing: Si tu as le malheur de dire quelque chose, je t'en ferai autant. Coutier continua à s'éloigner rapidement, tandis que le petit domestique approchait de son maître. Il le trouva couché sur le ventre, le visage appuyé sur ses deux mains qui étaient enveloppées de son mouchoir et son sarrau relevé. En vain le jeune homme appela-t-il son maître à plusieurs reprises; le malheureux Drouot avait cessé d'exister: il venait d'être frappé d'un coup mortel à la tête.

Arrivée près du cadavre de son mari, la femme Drouot s'écrie en gémissant: «Mon pauvre homme est mort, il a été assassiné; les gueux qui voulaient le faire mourir avaient promis cent écus pour le tuer; et ces gueux-là, je sais bien...» Vers deux heures et demie de l'après-midi, Remi Chiquet, gendre de Drouot, arriva aussi: «C'est bien malheureux! dit-il en haussant les épaules: Qui est-ce qui a pu commettre un crime comme celui-là? On va penser sur nous, et ce n'est pas nous qui l'avons fait; nous allons nous trouver dans la peine.—Mon pauvre Chiquet, lui répondit une des personnes présentes, je ne voudrais pas être dans ta peau; tu as menacé ton beau-père.—Je ne crains rien, répliqua Remi Chiquet, je ne suis pas sorti de la matinée.» Mais, malheureusement pour lui, sa belle-mère ajouta: «Si seulement vous n'aviez pas fait la proposition à Martin Coutier!» Elle n'acheva pas, voyant qu'on faisait attention à ses paroles; mais un sieur Boulé, garde-forestier, avait entendu auparavant la femme Drouot s'écrier: «Mon mari m'a dit hier au soir en se couchant, qu'on avait promis cent écus pour le tuer; sûrement que les malheureux ont versé les cent écus! voilà mon mari tué!»

L'adjoint du maire d'Oger adressa à Remi Chiquet diverses interpellations en présence du cadavre de son beau-père. Chiquet répondit: C'est un coquin de moins, mais je ne l'ai pas assassiné.

Remi Chiquet avait épousé le 10 avril 1826, Emilie-Arsène, fille unique de Drouot, alors âgée de seize ans et quelques mois. Tous deux devaient partager les travaux de la ferme et y être logés et nourris; mais bientôt l'intérêt vint diviser la famille. Chiquet éprouvait un vif désir de succéder à son beau-père qui, de son côté, ne paraissait pas disposé à se retirer. Dès ce moment, le mécontentement éclata, et ne tarda pas à être accompagné d'outrages et de menaces. Chiquet annonça hautement l'intention de donner la mort à son beau-père, et fit plusieurs tentatives dans cet abominable but.

Un jour que Drouot, étant couché, lui reprochait ses menaces, le gendre se saisit d'une hache pour l'en frapper: «Malheureux, lui cria Drouot, si tu me tues, le petit domestique qui est là à côté sera ton juge; car il connaîtra l'assassin.—Eh bien! répliqua Chiquet, je commencerai par lui.» Il courut aussitôt, armé d'un couteau, à l'écurie pour égorger Devauversin; mais ce jeune homme, qui avait tout entendu, s'était dérobé à sa rage en prenant la fuite.

La haine profonde de Chiquet à l'égard de Drouot était partagée par sa femme qui, malgré son jeune âge, ne parlait de son père qu'en proférant contre lui de grossières injures. Elle allait jusqu'à exprimer publiquement le vœu impie que quelqu'un le tuât.

Vers la fin de juillet 1827, Chiquet et sa femme avaient quitté la ferme de Jubercy, après avoir forcé l'armoire de Drouot, et y avoir pris une somme de 270 francs et des effets d'habillement à l'usage de la femme Drouot. Drouot, quelques jours après, ayant rencontré sa fille revêtue des effets qui avaient été volés à sa femme, lui adressa des reproches; une dispute s'éleva; la femme Chiquet, mettant le poing sous le nez de son père, lui dit: Va, grand gueux, tu auras de mes nouvelles avant dimanche. Le lendemain, à la suite d'une autre altercation, elle finit par lui dire: Va, tu te souviendras de cela, dans trois jours tu auras sauté le pas. Et trois jours après le parricide était consommé.

Des poursuites furent dirigées d'abord contre la femme de Remi Chiquet; mais l'ordonnance qui la mettait en prévention fut annulée. Martin Coutier, Remi Chiquet et Magloire Chiquet, son frère, furent traduits devant la Cour d'assises de la Marne, le 6 août 1827. Le premier, comme prévenu d'avoir commis, volontairement et avec préméditation, un homicide sur la personne de Drouot; les deux autres, comme s'étant rendus complices de ce crime, en excitant par promesses Martin Coutier à le commettre, et en lui donnant des instructions à cet effet.

Remi Chiquet avait déjà comparu en Cour d'assises comme accusé d'un vol qualifié; mais il avait été acquitté, faute de preuves suffisantes. Quant à Martin Coutier, il était connu pour un maraudeur, ne vivant que de rapines, et capable de tout pour se procurer de l'argent.

Coutier avoua la proposition que lui avait faite Remi Chiquet: mais il soutint qu'il l'avait rejetée. Chiquet, de son côté, prétendit n'avoir fait aucune proposition. Coutier, en outre, invoquait un alibi qu'il ne put justifier.

L'accusation fut soutenue avec force contre Coutier et Remi Chiquet; mais le ministère public l'abandonna contre l'autre Chiquet. Après trois jours de débats, sur la réponse affirmative du jury, les deux principaux accusés furent déclarés coupables et condamnés à la peine capitale.

Pendant le prononcé de l'arrêt, Coutier jeta plusieurs fois les yeux sur son complice, qui cachait sa figure sous son mouchoir. En se retirant, Coutier, s'écria: Ah! Seigneur! et Chiquet laissa échapper cette atroce naïveté: Peut-on donner une punition comme çà!


Chargement de la publicité...