Chronique du crime et de l'innocence, tome 8/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
Joséphine Martin, née à Dansery (Marne), âgée de vingt-huit ans, couturière, avait été condamnée pour vol domestique à cinq années de réclusion, par la Cour d'assises de la Seine, le 18 février 1825. Le roi avait commué cette peine en celle de trois années d'emprisonnement; mais Joséphine Martin, restée sous la surveillance de la haute-police, avait reçu l'injonction de fixer sa résidence à Epernay.
Joséphine Martin avait une fille naturelle, âgée de six ans et demi, nommée Réoline. La mère et la fille occupaient dans la maison d'un tonnelier d'Epernay un cabinet garni, au second étage, dans le grenier et sous une mansarde. Ce cabinet n'avait que six pieds de large, autant de hauteur, et dix ou douze de longueur. Le nommé Michaudet, ouvrier bonnetier, logeait dans un cabinet voisin et prenait ses repas chez Joséphine, dont la conduite paraissait régulière.
Depuis trois ou quatre mois, cette dernière avait exactement payé son loyer qui était de sept francs par mois. Ce loyer devait échoir le 5 janvier 1829. Dès le 4, cette malheureuse femme fut harcelée durement par son propriétaire, qui la menaça de la congédier, si elle ne le payait pas le lendemain. Joséphine n'avait point d'argent, et il lui était impossible de se procurer la somme qui lui était nécessaire. Que devenir? Une mauvaise pensée, une pensée de désespoir vint s'emparer de son esprit. Déjà elle connaissait, par expérience, les effets de la vapeur du charbon. Elle avait failli être asphyxiée, peu de temps auparavant, en faisant sa petite cuisine dans son cabinet; la vapeur délétère du charbon l'avait saisie; elle était tombée sans connaissance sur le plancher, et sans de prompts secours, elle eût perdu la vie.
Le 5 janvier, Joséphine, apprenant que son cabinet vient d'être loué, et se voyant dénuée de ressources et sans asile, se fortifie de plus en plus dans la fatale résolution qu'elle a prise la veille. Elle envoie chercher du charbon par Réoline, et le soir arrivé, tandis que le propriétaire est allé tirer les rois avec sa famille, elle fait les sinistres préparatifs de l'exécution de son dessein. D'abord, elle n'avait songé qu'à se débarrasser seule du fardeau de l'existence. Mais quel serait le sort de sa fille, si celle-ci lui survivait? Cette considération avait fixé son hésitation.
Comme il n'y avait point de cheminée dans son cabinet, l'air n'y pouvait pénétrer que par la fenêtre qui était fermée bien hermétiquement, et par la porte qui était vitrée. Derrière les carreaux était un rideau de mousseline par-dessus lequel Joséphine mit un tablier. Vers onze heures, Michaudet, qui rentrait chez lui, sent une forte odeur de charbon; il entend des gémissemens qui paraissaient venir de la chambre de la fille Martin. Il frappe à la porte, il appelle; des gémissemens seuls lui répondent. Il casse un carreau de la porte vitrée, passe sa main, ouvre la porte qui ne fermait intérieurement que par un crochet, s'avance dans la chambre. Quel spectacle!.... Joséphine et sa fille, couchées dans le même lit, pâles, sans mouvement semblent ne plus respirer. Michaudet les croit mortes: la frayeur s'empare de lui; son flambeau lui tombe des mains; il sort tout effaré en criant au secours. Une seconde fois, Joséphine et sa fille sont sauvées, mais il était évident que cette mère infortunée avait voulu mettre fin à son existence et à celle de son enfant. Dans le premier moment, elle déclara que c'était la misère qui l'avait poussée à cet acte de désespoir. On avait remarqué qu'elle avait, contre son usage, placé sa fille sur le devant du lit. On lui en demanda la raison; elle répondit qu'elle avait voulu s'assurer que son enfant périrait avant elle; sans doute, elle ne prévoyait pas les conséquences de son action, sous le rapport de la vindicte publique.
Lors de son interrogatoire par le procureur du roi, elle ne nia pas sa coupable intention; mais quelques jours après, lorsqu'elle comparut devant le juge d'instruction, elle rétracta ses aveux, les attribuant à son trouble. Elle allégua qu'elle avait allumé du feu pour faire cuire son souper; que, surprise, lorsqu'elle était couchée, par la vapeur du charbon, elle s'était levée pour l'éteindre, mais qu'elle n'avait pas trouvé une goutte d'eau; qu'elle avait senti que le froid dissipait son mal; qu'elle n'avait pas voulu répondre à Michaudet.
Cependant à ses aveux vainement rétractés se joignaient les circonstances du fait et quelques antécédens qui achevaient de démontrer un dessein criminel. On rappela qu'un jour qu'il était question en sa présence du suicide d'un homme d'Épernay qui s'était pendu, Joséphine avait fait la réflexion qu'il avait mal choisi le moyen de se détruire, et qu'il aurait mieux fait d'employer la vapeur du charbon.
Joséphine Martin fut donc accusée d'avoir volontairement et avec préméditation, tenté de donner la mort à sa fille, tentative qui, manifestée par des actes extérieurs, et suivie d'un commencement d'exécution, avait manqué son effet, seulement par des circonstances indépendantes de sa volonté. Dans la situation particulière où elle se trouvait, Joséphine encourait la peine capitale. Elle fut traduite devant la Cour d'assises de la Marne, le 14 février 1829. Répondant aux questions du président, elle dit: «Je n'avais pas le crime dans le cœur; c'est la misère qui m'a fait agir. Mon loyer était échu; j'étais sans pain, sans feu, sans argent. L'idée de me voir sur le pavé avec mon enfant m'a portée à cet acte de désespoir: je n'avais plus la tête à moi. J'ai beaucoup de regret de ce que j'ai fait; j'ai eu des remords avant que d'être secourue.» Après avoir prononcé ces mots, Joséphine, cachant sa figure dans ses mains, versa des larmes en abondance. Cette scène produisit une vive émotion dans l'auditoire.
On ne pouvait se défendre d'un vif intérêt pour cette malheureuse mère, sur la tête de laquelle pesait une accusation d'infanticide d'un genre aussi extraordinaire. En effet, son crime n'était l'effet ni d'un vil calcul ni d'une horrible méchanceté; il prenait sa source, comme le disait le procureur du roi, dans le sentiment le plus doux, le plus tendre de la nature, l'amour maternel. «C'est le cœur d'une mère, disait ce magistrat, qui, dans la vue du propre intérêt de son enfant, a conçu le funeste projet de lui ôter la vie, ne pouvant plus elle-même la supporter. Tel est le contraste que présente le crime dénoncé à la justice avec le motif qui l'aurait fait commettre.»
Comme on le voit, le ministère public, chargé de l'accusation, concourait aussi à la défense de l'accusée. Aussi le jury déclara-t-il que Joséphine Martin n'était pas coupable, et par une collecte faite en faveur de cette femme, voulut lui assurer quelques moyens d'existence en lui rendant la liberté.