Chronique du crime et de l'innocence, tome 8/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
Étienne Psaume, avocat et homme de lettres, était né à Commercy. Cet écrivain modeste et consciencieux s'était beaucoup occupé de bibliographie. Il a laissé sur cette science des livres un dictionnaire, que l'on consulte souvent avec fruit, même après ceux de Barbier, de Brunet, de Fournier et autres experts en cette matière.
Psaume était généralement cité pour sa probité, sa franchise et son obligeance. Il avait épousé en premières noces Jeanne Picquot, dont il avait eu trois filles: Stéphanie-Cornélie, décédée femme de Pierre-Charles Simon, Catherine-Sophie, femme de Paul-Gabriel Ranxin, pharmacien à Versailles, et Victoire, mariée à Pierre François, propriétaire à Boucq.
Psaume eut le malheur d'épouser en secondes noces Jeanne Lemoussu, dont il eut Élisabeth-Stéphanie, qui fut mariée avec Étienne-Adolphe Cabouat. Jeanne Lemoussu troubla le bonheur domestique de son mari; elle le quitta, et alla demeurer chez Jean-Claude Cabouat, débitant de tabac à Pierrefitte, beau-père de sa fille. Deux ans après cette séparation, elle eut un fils, que Psaume considéra comme n'étant pas de lui; aussi son intention était-elle d'arranger ses affaires de manière à ce que cet enfant n'eût rien dans sa succession. L'inconduite de Jeanne Lemoussu avait, disait-on, causé déjà plus d'un malheur; on assurait que, lors de sa dernière grossesse, son père et sa mère s'étaient tous deux noyés de désespoir. Psaume, de son côté, témoigna toujours pour cette femme de l'aversion et du mépris. Les chagrins toujours croissans qu'il éprouvait dans sa famille, le déterminèrent à quitter le séjour de Commercy, et il vint fixer son domicile à Nancy, dans les premiers jours de l'année 1828. Il possédait à Boucq un vendangeoir, dont le produit se partageait entre lui et Pierre-Charles Simon, son gendre; et il se rendit de Nancy à Boucq, dans le mois d'octobre 1828, pour ses vendanges qui s'ouvrirent le 20 du même mois. Il logea chez Charles-Joseph Merdier, aubergiste et buraliste en cette commune. Psaume, ayant terminé ses vendanges, se disposa à retourner à Boucq, le lundi 27 octobre, avec François Fert, son fermier, qui devait lui conduire un tonneau de vin, un tonneau vide et sa malle. Effectivement, le 27, François Fert vint chez Merdier, à six heures du matin, demander si Psaume était prêt. La servante lui dit de partir toujours, et qu'elle allait avertir Psaume qui n'était pas encore levé, et qui ne tarderait pas à le rejoindre. Psaume, s'étant levé aussitôt, témoigna le plus grand empressement de rejoindre son fermier, et ne finit par accepter une tasse de café que sur les instances de Merdier qui lui fit observer que d'ailleurs, en prenant la petite côte, il aurait bientôt atteint la voiture, qui devait suivre le grand chemin.
Enfin Psaume quitta Merdier vers six heures et demie; il monta la petite côte qui rejoint la route de Commercy, tandis que le voiturier avait suivi ce dernier chemin. Merdier et sa servante remarquèrent que Psaume avait une montre. François Fert, parvenu vers le milieu de la côte qui s'élève à la sortie de Boucq, éprouva un retard; sa voiture s'était arrêtée dans une ornière, de sorte qu'il fut obligé de se faire aider par des passans pour pouvoir continuer à marcher. Ce fut dans ce moment qu'il aperçut Psaume à cent quinze mètres environ devant lui. Mais quand sa voiture fut tout-à-fait dégagée, au bout d'environ une demi-heure, il ne le vit plus, et en fit l'observation à l'une des personnes qui venaient de l'aider.
Pendant cette matinée, une femme, qui se trouvait dans ce canton, aperçut à quatre-vingt-dix-sept mètres de distance, un homme marchant d'un bon pas, qu'elle crut être Psaume, et qu'elle suivit des yeux malgré le brouillard qui régnait alors. Plus d'un quart d'heure après, cette femme vit un voiturier arriver au haut de la côte, s'arrêter quelques instans, puis s'avancer dans la même direction que Psaume; et alors elle entendit sonner sept heures. Ainsi Psaume se trouvait en avance de plus d'un quart d'heure.
Suivant la déposition d'un vieillard, Psaume l'avait atteint au haut de la côte et l'avait devancé, après lui avoir souhaité le bonjour en passant. Ce vieillard ajoutait qu'il n'avait pas tardé à le perdre de vue, à cause de l'épaisseur du brouillard; mais que Psaume devait être parvenu dans le bois du Hazois, qui est traversé par le chemin de Boucq à Sorcy et à Commercy, lorsque le témoin, frappé de cris soudains, s'arrêta et entendit, à plusieurs reprises, demander pardon, et répondre: Pas de pardon! Alors il entra dans le taillis, pénétra dans un fond, en marchant sur ses mains et sur ses genoux jusqu'à une tranchée, d'où il revint à Boucq, craignant qu'on ne le tuât, parce que, selon ses expressions, on touchait comme sur un bœuf. Il indiqua sur le terrain les différens points où la scène s'était passée; il vérifia et constata qu'une émission de voix ordinaire s'entendait très-distinctement d'un lieu à l'autre.
Le même jour, une autre personne passant vers dix heures du matin dans le bois du Hazois, et étant parvenue au tournant du chemin de Commercy, remarqua, malgré le brouillard, des traces de sang qu'elle prit pour celui d'un lièvre tué en cet endroit.
Quant au voiturier François Fert, il ne vit plus Psaume. Il s'informa de lui sur la route, mais ses questions n'obtinrent point de réponses satisfaisantes; enfin il arriva, vers onze heures du matin, à Commercy, sans avoir retrouvé Psaume. D'après certaines circonstances qui l'avaient frappé, cette disparition éveilla à l'instant même dans son esprit des soupçons qu'il manifesta, et qui ne tardèrent pas à appeler l'attention de la justice sur ses deux gendres.
Plusieurs recherches furent d'abord infructueuses. Mais enfin, le 15 novembre, une battue générale ayant eu lieu, le cadavre de Psaume fut trouvé dans le bois du Hazois, territoire de Boucq, à 2,434 mètres de la maison de Merdier, ce qui faisait environ une demi-lieue. Le cadavre était à dix-sept mètres du chemin de Boucq à Commercy, derrière des haies épaisses de charmes. Il était couché sur le dos; sa capote et le gilet refoulés sous la partie supérieure du corps, et le bas du pantalon retroussé aux deux genoux, et au-dessus, on remarquait au pantalon plusieurs taches de boue. Le pied gauche était seul chaussé d'un soulier. La montre n'était plus dans le gousset; mais, du reste, le cadavre n'avait pas été dépouillé, car on retrouva dans ses poches entre autres objets, soixante centimes en monnaie de billon, des besicles avec leur étui, un souvenir, une bourse, un bonnet, un mouchoir, un livre, deux clefs, le passavant délivré à Boucq et une lettre de la femme Ranxin à l'adresse de Psaume. Près du cadavre étaient le second soulier, un chapeau rond, une canne et un parapluie.
Puis le 23 novembre, Jean-Christophe Delacroix, se trouvant dans le même endroit avec Louis Thomas, rencontra avec son pied, à peu de distance du lieu où l'on avait trouvé le cadavre, et sur le sentier qui conduit directement à Sorcy, un autre gros bâton de charme, caché sous des feuilles, et au gros bout duquel tenait encore un cheveu qu'on dit être noir, et plusieurs cheveux gris ou blancs. Ces deux bâtons furent saisis comme pièces de conviction. Il est nécessaire de remarquer ici que Pierre-Charles Simon exploitait, avec d'autres adjudicataires, une coupe dans le quart en réserve de la commune de Sorcy, faisant partie du bois du Hazois, et il paraît que cette coupe était la seule dans les environs où l'on façonnât alors du bois de charbon.
Le cadavre fut soumis, le 15 et le 16 novembre, à trois visites de cinq docteurs en médecine ou officiers de santé. L'autopsie du cadavre fut faite par trois d'entre eux, en présence d'un quatrième, et trois procès-verbaux séparés furent dressés à cet effet. Il résulta de cet examen que la peau et la chair du bout du nez étaient excoriées, en sorte que l'on n'en apercevait que les cartilages, et que le ventre était légèrement météorisé et d'une couleur verdâtre, indice d'un commencement de putréfaction, concordant parfaitement avec l'espace de temps écoulé depuis la disparition de Psaume. La tête, fracassée d'une manière horrible, présentait de nombreuses lésions; une hémorrhagie des deux oreilles avait rempli les cheveux de sang coagulé.
Le corps du délit se trouvant une fois constaté, les recherches de la justice devinrent plus actives et moins incertaines.
Comme on l'a déjà vu, Psaume éprouvait de cuisans chagrins dans l'intérieur de sa famille, et son cœur, trop sensible, en était profondément ulcéré: «Je suis né pour être le plus malheureux des hommes, écrivait-il, le 8 janvier 1828, à la femme Ranxin, sa fille. Ce n'est pas assez que des étrangers m'aient accablé des plus horribles préventions, il faut encore que des enfans se joignent impitoyablement à eux pour empoisonner mon existence par les chagrins les plus cuisans.»
Ces plaintes sur sa malheureuse destinée se reproduisaient à chaque page de sa longue correspondance. Plusieurs fois, il dit à un de ses amis: «C'est un malheur d'avoir donné mes filles à des gendres tels que ceux que j'ai. Ils ne leur convenaient pas, ni à moi non plus; ils n'ont ni talens ni éducation.» Et un jour, il dit d'un ton de mécontentement et même de désespoir: «J'ai quatre gendres que j'ai eus malgré moi.»
Le mariage de sa fille Victoire avec Pierre François causa à Psaume des peines plus poignantes encore. Cette union se fit malgré lui, après un acte respectueux, et les mauvais procédés de Victoire et de son mari irritèrent au dernier degré ce malheureux père; on trouve dans sa correspondance des traces amères et énergiques de son mécontentement.
Mais les deux gendres dont Psaume avait le plus à se plaindre, étaient Simon et Cabouat. Simon avait séduit Stéphanie-Cornélie Psaume, pour parvenir à l'épouser. Cette jeune femme réunissait les plus rares qualités; son père l'aimait jusqu'à l'idolâtrie. Elle ne trouva pas le bonheur auprès de son mari, et mourut le 28 mai 1824, laissant trois enfans en bas âge. Psaume attribua sa mort à la conduite et aux mauvais traitemens de son mari. Stéphanie-Cornélie, seize jours avant sa mort, avait fait un testament olographe, par lequel elle donnait et léguait à son père l'usufruit de tout son bien mobilier et immobilier pour en jouir sa vie durant, et lui recommandait en même temps, de la manière la plus touchante, ses chers enfans.
Simon, au lieu de respecter les dernières intentions de sa femme et l'affliction de son beau-père, n'écouta qu'un sordide intérêt, et ne se montra sensible qu'aux pertes que le testament lui imposait. Il abreuva donc son beau-père d'outrages et de chagrins. Il refusa de lui laisser la tutelle, exigea ses enfans qui étaient restés chez leur grand-père, dont ils étaient la seule consolation, et accusa calomnieusement Psaume de les laisser dans un dénuement absolu. Ces prétentions donnèrent lieu, en 1825, à plusieurs procès. La mésintelligence ne fit que s'accroître. Des scènes affligeantes eurent lieu entre le beau-père et le gendre. Psaume ayant des vendanges en commun avec Simon, par suite des dispositions testamentaires de Stéphanie-Cornélie, il s'élevait, chaque année, entr'eux, à ce sujet, de vives contestations et de fortes querelles. Cette animosité se manifesta particulièrement pendant les vendanges de l'année 1828 auxquelles Simon s'était aussi rendu. Simon appela son beau-père polisson, canaille, voleur de testament, et lui dit: «Tu mériterais d'être enfoncé à cent pieds sous terre; il y a long-temps que tu me mènes, et tu ne me mèneras plus.» De son côté, Psaume répondit à son gendre: «Si ta femme a fait un testament, elle avait des motifs pour cela; c'est pour qu'il fût donné de l'éducation à ses enfans. Tu es un scélérat! tu l'as fait mourir de chagrin, tu l'as souffletée au lit de la mort. Tais-toi! tu es un Simon, c'est assez t'en dire que de te nommer: tous les Simons sont connus pour de la canaille et des gueux. Si j'avais voulu, je vous aurais fait condamner aux galères.»
Des démêlés aussi déplorables avaient eu également lieu entre Psaume et Cabouat, mari d'Élisabeth-Stéphanie, sa fille du second lit. Ce mariage s'était fait contre le gré de Psaume; il avait été le résultat d'une intrigue ourdie par Jeanne Lemoussu et par la famille de Cabouat. On avait abusé de l'extrême jeunesse d'Élisa; on l'avait presque entraînée à l'autel, en l'absence de son père. Une union contractée sous de pareils auspices, ne promettait pas d'heureux jours. Élisa détestait son mari; elle le quitta, et se retira chez son père. Des différends d'intérêt vinrent encore aggraver cette fâcheuse circonstance; il en résulta des menaces, des scènes de violence, une haine envenimée. Cabouat fils écrivit le 23 septembre à son beau-père: «Je suis bien surpris que vous vous permettiez de tenir des propos comme vous faites sur mon compte, et que je ne souffrirai pas long-temps.»
On voit, par tous ces faits, que Simon et Cabouat étaient également portés par leur haine violente et par leur intérêt, à se défaire de leur beau-père. Déjà même Cabouat, secondé par sa famille, avait fait une tentative dans ce but. Entre la fenaison et la moisson de 1828, un témoin ayant été acheter du tabac chez Cabouat père, Etienne-Adolphe Cabouat, qui le pesa, lui dit en le lui remettant: «Il y a deux cents francs, voulez-vous les gagner? M. Psaume va à Boucq chercher des levées de vigne, il ne suit jamais son voiturier; il passe par un sentier, et c'est-là qu'on peut faire le coup.» Et alors, il indiqua par un geste un coup à la poitrine; puis continuant, il ajouta: «D'ailleurs il a la vue basse, il ne voit pas clair, et il ne revient jamais que la nuit; il faut lui f..... de bons coups... (faisant entendre qu'il fallait le tuer). Au reste, quelqu'un vous en parlera.» Cabouat père aurait dit aussi: «Tu ne risques rien; il ne voit pas clair.» Il fut encore dit que Psaume devait venir à Pierrefitte, mais que le coup serait plus aisé à faire sur le chemin de Boucq. Enfin la femme Cabouat la mère, qui était dans la cuisine, s'écria: «Taisez-vous! on vous entend!» Le témoin indigné sortit sans répondre.
Ce qu'il importe de remarquer, c'est qu'avant l'assassinat de Psaume, le témoin fit part à une autre personne de la proposition qui lui avait été faite; cette personne en parla à d'autres, de sorte que, passant de bouche en bouche, il n'était pas étonnant que le récit eût subi quelques modifications.
Psaume connaissait les dispositions de ses gendres à son égard; plusieurs fois il avait exprimé ses appréhensions et ses sinistres pressentimens. Lors des vendanges de 1828, il avait dit à son fermier: «Papa Lionville, je crois qu'on attente à ma vie.» Et le 26 octobre, veille de sa mort, il dit à un autre témoin: «On dit qu'ils ont la maison des capucins à vendre; en ce cas-là, mes jours ne seront pas longs.»
Après avoir donné tous ces détails, l'acte d'accusation analysait les déclarations des témoins qui avaient déposé sur la réunion des deux accusés avant le crime; sur l'identité de Cabouat, qui s'était rendu à Boucq sous un faux nom; sur un alibi tenté par cet accusé, et sur les précautions prises pour le préparer; sur les démarches des deux accusés avant le jour de l'assassinat, et sur leur conduite postérieurement au crime, pour détourner d'eux les recherches et les soupçons.
Immédiatement après la découverte du cadavre, Simon et Cabouat, d'après les indices violens qui déposaient contre eux, avaient été placés sous la main de la justice; c'est-à-dire Simon, le même jour 15 novembre, vers midi, dans sa demeure appelée Moskou à Sorcy-Saint-Martin, et Cabouat le lendemain 16, à quatre heures du matin, chez son père, à Pierrefitte.
D'abord, Simon prétendit que l'on n'avait eu intention que de donner une bonne correction à son beau-père, mais qu'il ne s'en était pas mêlé; qu'il s'était tenu à une distance de vingt-cinq pas de Psaume, dans le bois, et que Cabouat avait tout fait.
Pierre-Charles Simon et Étienne-Adolphe Cabouat furent traduits tous deux devant la Cour d'assises de la Meuse, séant à Saint-Mihiel, accusés d'avoir assassiné leur beau-père, avec préméditation et guet-à-pens. Les débats de cette intéressante, mais déplorable affaire s'ouvrirent le 8 juillet 1829. Cent quatre-vingts témoins dont soixante à décharge, avaient été assignés, tant à la requête du ministère public qu'à celle des accusés. Pierre-Charles Simon était âgé de trente-cinq ans, Adolphe Cabouat, de vingt-trois ans. Les deux accusés montraient d'abord dans leur attitude et sur leur physionomie une parfaite tranquillité. Pendant la lecture de l'acte d'accusation, Simon se leva tout-à-coup, en s'écriant: «J'ai une révélation à faire. Écoutez, messieurs et mesdames! J'ai une révélation à vous faire. Depuis quinze jours, j'ai le cœur navré de douleur: vous allez entendre une révélation terrible..... Le jeudi qui précéda l'affaire, Cabouat, que je ne connaissais pas, se présenta à moi sous le nom de Marchal; il me dit à voix basse: «Je suis Cabouat, je suis votre beau-frère: je ne veux pas me faire connaître; taisez mon nom, je suis Cabouat. J'ai quelque chose à vous communiquer.» On nous dérangea, il ne me dit rien. Le dimanche, Cabouat vint à Boucq; il me dit: «Il faut donner une roulée à notre beau-père. «Je ne le ferai pas, lui répondis-je; ce n'est pas dans mon caractère.» Je résistai toujours...
«Le lendemain, nous nous sommes levés à six heures; Cabouat alla chez Merdier, voir si M. Psaume était parti; nous prîmes chacun un sentier. Je suivis le chemin de Commercy, Cabouat prit l'autre. Une réflexion me vint... Le malheureux! que va-t-il faire? Je me dirige vers lui... J'arrive... Le malheureux arrive sur moi: C'est fini, me dit-il d'une voix terrible, il n'est plus du monde... il est f... (Mouvement d'horreur dans l'auditoire. Cabouat impassible ne fait pas un geste.)
«Malheureux! qu'as-tu fait? Nous sommes perdus! lui dis-je. Tu devais lui donner une simple roulée, et tu l'as tué! (Simon sanglote.) Il me semblait avoir du plomb dans les veines. Je voyais mon pauvre beau-père expirant à mes yeux!... J'ai traîné le cadavre avec Cabouat dans une haie. Là, il m'a dit sur le cadavre: Jure que tu n'en diras rien; si tu le dis, je dirai que tu as frappé avec moi!... Je l'ai promis, je l'ai juré, qu'il me démente!... Quand on a procédé à l'autopsie du cadavre de mon beau-père, je voulais tout révéler; mais j'avais fait une promesse à Cabouat, à ce malheureux (il regarde Cabouat) mon beau frère... Mais l'état dans lequel je me suis trouvé, m'a empêché...»
A cette accusation formelle, Cabouat répondit: «Mon beau-frère m'accuse à faux; je dois être aussi cru que lui; il ment.» Cabouat soutient qu'il n'est jamais allé à Boucq. Simon ajoute, avec larmes et sanglots: «Je dois le déclarer ici, il fallait cacher les traces du crime, il fallait donner le change; j'ai eu la faiblesse de m'y prêter; j'ai été prendre la montre d'or et l'ai jetée dans l'eau.»
On procéda ensuite à l'audition des témoins, dont les dépositions confirmèrent une grande partie des faits déjà connus. Celle du témoin Remy Bresseaux, bûcheron à Saint-Hilaire, produisit une vive sensation. C'était lui à qui les Cabouat, suivant lui du moins, avaient offert 200 francs pour assassiner M. Psaume.
Mais Cabouat opposait à toutes ces charges un système complet de dénégation, et se retranchait toujours dans son alibi. Simon, depuis sa révélation, paraissait soulagé d'un grand poids. La famille Tabutiaux, qui rétracta ses premières déclarations pour déposer dans le sens de la révélation de Simon, en augmentant l'incertitude des juges, vint ajouter encore à l'intérêt dramatique qui dominait toute cette affaire. A chaque instant, on tremblait de rencontrer des coupables ailleurs que sur le banc des accusés.
Le ministère public soutint l'accusation avec force. Il fit remarquer toutes les précautions prises par Simon pour cacher le crime dont il prétendait n'être pas coupable, et donna très-clairement à entendre qu'il existait des complices de ce crime, qui avaient conservé leur liberté.
Enfin, le 11 juillet, après trois jours de débats, le jury rendit sa déclaration portant que Cabouat était l'auteur de l'assassinat de son beau-père, et que Simon en était le complice. On ramena alors les deux accusés devant la Cour. Cabouat était pâle et tremblant; Simon, plus maître de lui, plus rempli d'espérance peut-être, paraissait plus ferme. Le greffier donna lecture aux accusés de la déclaration du jury. Le jeune Cabouat était comme anéanti en entendant requérir contre lui et contre son complice la peine capitale. Il ne répondit que par des pleurs. Simon ne prononça que ces paroles: Je suis pourtant innocent! Cabouat dit: Je ne veux pas me pourvoir.
Simon et Cabouat ne laissèrent pas de se pourvoir en cassation; mais, peu confians sans doute dans ce pourvoi, ils manifestèrent l'intention de recourir à la clémence royale, sollicitant, pour toute grâce, la commutation de la peine de mort en celle des travaux forcés à perpétuité.
Le mercredi 15 juillet, ils firent prier le président des assises de venir les trouver en prison. Ce magistrat s'y rendit. A peine l'aperçurent-ils que tous deux, gémissant et fondant en larmes, se précipitèrent à ses pieds et implorèrent son intervention en faveur de la demande en grâce qu'ils se proposaient de former; en même temps, ils annoncèrent qu'ils étaient disposés à faire des révélations qui devaient incriminer et Cabouat père et la femme Psaume. Dans une déclaration faite une heure plus tard, Simon dit qu'il avait été, depuis cinq ans, excité au crime par la femme Psaume; il se reconnut coupable, ajoutant toutefois qu'il n'avait pas porté de coups, et qu'il n'avait fait qu'aider Cabouat à traîner le cadavre dans la forêt. Il prétendait en outre que les coups avaient été portés par Cabouat, avec une pierre et non pas avec un bâton. Simon était épileptique. Il avait eu plusieurs attaques de cette terrible maladie pendant le cours de son procès: après avoir fait cette dernière révélation, il tomba aux genoux du président, terrassé par un nouvel accès.
Cabouat, interrogé à son tour, eut une violente attaque de nerfs qui l'empêcha long-temps de proférer une seule parole. Enfin, quand il eut repris ses sens, il se reconnut coupable d'avoir porté les premiers coups à son beau-père; il ajouta que Simon survint après les premiers coups donnés, et que, porteur de l'un des bâtons trouvés sur le lieu du crime, il en frappa l'infortuné Psaume qui respirait encore.
Tous deux, au surplus, s'accordèrent à déclarer que, depuis long-temps, la femme Psaume n'avait cessé de les exciter à commettre le crime, et de leur donner des instructions pour y parvenir. Simon, de son côté, accusait aussi Cabouat, et le désignait comme une des causes de son malheur. L'arrêt de la Cour de cassation qui rejetait le pourvoi de Simon, et de Cabouat, parvint à Saint-Mihiel le dimanche 13 septembre, et l'exécution des deux coupables eut lieu le lendemain. Avant d'être conduits à l'échafaud, ils rétractèrent les révélations par suite desquelles, le sieur Cabouat, père de l'un des accusés, et la dame Élisa Psaume, épouse en secondes noces de la victime, avaient été mis en arrestation. Cabouat protesta de l'innocence de ces deux personnes, et déclara qu'il n'y avait eu dans cette affaire d'autre instigateur que Simon.
Ces deux malheureux reçurent la mort avec une extrême faiblesse. Simon fut porté sur l'échafaud à demi mort. Quant à Cabouat, il ne cessait de pousser des cris déchirans. Il fallut le porter aussi sur la planche fatale, et on lui entendit prononcer ces mots: «Pauvres jeunes gens! plaignez mon sort! prenez exemple sur moi!» Au moment où sa tête était placée sous le fer, on l'entendit s'écrier: «Oh! ma pauvre.....» mais le fatal couteau l'empêcha de prononcer le nom de sa malheureuse mère.