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Chronique du crime et de l'innocence, tome 8/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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Françoise Trenque, après avoir volé quelques chiffons dans un couvent où elle était domestique, rentra dans la maison paternelle, où elle conçut l'infernal projet de se défaire de tous ses parens par le poison.

Sa première tentative d'empoisonnement remonte au 20 juin de l'année 1828. Ce jour-là, Trenque le père, charpentier de son état, était allé, avec son fils aîné et l'un de ses ouvriers, exécuter quelques travaux dans la maison du maire de la commune d'Arrouède (Gers). Pendant les trois jours que ces individus passèrent en cet endroit, ils ne cessèrent d'éprouver les souffrances les plus aiguës au ventre et à l'estomac. Au mois d'octobre suivant, Trenque étant retourné à ce chantier avec ses deux fils et un garçon charpentier, ils y tombèrent tous malades dès le premier jour: altération des traits, douleurs d'estomac et d'entrailles, vomissemens, soif inextinguible, ardeur brûlante au gosier: tels furent les symptômes qui se manifestèrent dans ces étranges indispositions.

C'était Françoise Trenque qui apportait les subsistances à Arrouède. Le même jour, la femme Trenque et Mariette, sa plus jeune fille, éprouvèrent aussi des douleurs d'entrailles, suivies de vomissemens; Françoise Trenque fut la seule personne de la famille qui fut préservée de ces accidens, à l'exception toutefois de sa sœur aînée qui travaillait au dehors.

Cependant Trenque le père, ses deux fils et le garçon charpentier, malgré leurs souffrances, continuaient à travailler. Mais le huitième jour, leurs douleurs devinrent tellement intolérables, que ces pauvres gens furent forcés de quitter pour la seconde fois ces travaux. Bernarde Trenque, sœur aînée de Françoise, étant nourrie dans les maisons où elle allait en journée, avait été jusque-là à l'abri du sort commun. Mais, étant venue au secours de ses parens dont l'état fâcheux réclamait ses soins, elle eut aussi le malheur de boire à la coupe empoisonnée et se vit obligée de prendre le lit. Les médecins ayant prescrit des frictions d'huile, ce fut avec de l'eau forte que Françoise exécuta cette ordonnance: aussi les souffrances de Bernarde devinrent-elles encore plus violentes.

Le 21 février 1829, les accidens se renouvelèrent d'une manière plus effrayante sur toute la famille Trenque; le 28, ils reparurent avec un caractère de gravité qu'ils n'avaient pas encore eu jusque-là. Il paraît, qu'à dater de ce jour, le poison fut administré à hautes doses. D'ailleurs les remèdes étaient préparés et servis par Françoise, qui mêlait le poison au bouillon et à la tisane. Le 12 mars, les deux frères Trenque, Joseph et François, expirèrent dans d'affreuses convulsions. Sous prétexte de procurer à ce dernier du soulagement, elle lui avait mis dans la bouche une prune sèche: «Suce-la, mon ami, lui avait-elle dit; ne la mange pas, il n'en faut prendre que le jus...» Cette prune était saupoudrée d'arsénic.

Pendant la nuit du 12 au 13 mars, Trenque le père, à l'agonie, en présence des cadavres de ses deux fils, fit son testament en faveur de Bernarde, sa fille aînée, et à son défaut, il institua Françoise son héritière. Dans les tortures les plus atroces, cet infortuné s'écriait: «Je suis dans l'enfer! Je brûle! donnez-moi quelque chose à boire!» Françoise s'empressa de lui présenter de la tisane empoisonnée. Quelques instans après, ce malheureux père rendit le dernier soupir; la mère expira le 14 mars.

Des morts aussi extraordinaires, aussi promptes, aussi identiques par leurs symptômes, devaient nécessairement éveiller des soupçons d'empoisonnement. L'autopsie des cadavres produisit, à cet égard, des preuves irréfragables. L'arsénic et l'acide nitrique communément appelé eau forte, avaient été employés pour commettre tous ces crimes. La justice fit des perquisitions. On trouva du poison dans l'armoire de Françoise Trenque et dans les alimens préparés par elle. Elle fut arrêtée; l'instruction qui eut lieu fit peser sur elle la terrible culpabilité d'avoir empoisonné son père, sa mère, ses deux frères, et d'avoir attenté à la vie de plusieurs autres personnes par le poison.

Françoise Trenque fut conduite à Auch, et comparut devant la Cour d'assises du Gers le 9 juillet 1829. Cette nouvelle Brinvilliers était âgée de vingt-quatre ans; c'était une fille d'un teint frais, d'un maintien modeste, d'une taille ordinaire, d'une mise simple mais élégante pour sa condition; elle portait des habits de deuil. Chacun fut étonné de la douceur de sa voix, du naturel de son attitude, du sourire gracieux et froid dont elle accompagnait ses paroles. Elle écouta l'acte d'accusation, sans que la moindre altération se manifestât sur ses traits.

Les débats durèrent trois jours; cinquante témoins furent entendus. Françoise lutta avec une habileté très-remarquable contre tous les témoignages qui l'accablaient. Pour toute défense, elle se borna à dire qu'à la vérité, des propositions lui avaient été faites par une voisine, mais qu'elle les avait rejetées; que c'était cette voisine qui avait mis les poisons dans son armoire, et qui avait empoisonné ses parens; que quant à elle, son innocence était certaine.

Des dénégations de ce genre ne pouvaient triompher de la conviction des juges et des jurés, conviction qui ne pouvait qu'être encore fortifiée par le calme et la présence d'esprit de l'accusée: car, il est à remarquer qu'elle seule peut-être se montra insensible au récit des horreurs contenues dans l'accusation.

Le jury, à l'unanimité, déclara Françoise Trenque coupable de vol, d'empoisonnement et de parricide. La coupable entendit, sans être émue, sa condamnation et les détails de l'épouvantable supplice des parricides.

Malgré les preuves accablantes qui s'élevaient contre Françoise Trenque, son apparente candeur, ses mœurs exemplaires et sa dévotion étaient si généralement connues dans la contrée qu'elle habitait, qu'elles laissaient dans une foule d'esprits des présomptions favorables à son innocence. Ses propres aveux vinrent dissiper tous les nuages.

Françoise Trenque s'était pourvue en cassation; son pourvoi fut rejeté; et le 16 septembre, son confesseur vint lui annoncer qu'il ne lui restait plus d'espérance. «J'aurais dû m'en douter ce matin, dit-elle, à la mine allongée de mon défenseur. Le pauvre homme n'a pas osé me le dire; qu'on le prie de venir; je veux lui faire mes reproches.» Me Allen Rousseau, son avocat, se rendit aussitôt auprès d'elle. «C'est bien joli de votre part, dit la fille Trenque, de m'avoir caché mon sort; vous saviez certainement ce matin ce que vient de me conter monsieur l'abbé! Au reste, vous êtes bien bon: vous avez cru que cela me ferait du mal; vous vous êtes trompé. J'ai repassé mon chapelet vingt fois, pour demander à Dieu le maintien de mon jugement, me voilà contente; d'ailleurs, vous le savez, il est juste que je meure. Quand on me couperait en morceaux, je ne souffrirais jamais assez pour la justice; je n'éprouverais pas les souffrances que j'ai fait endurer à mes pauvres parens; que Dieu ait pitié de leur ame! ils ont bien mérité d'aller au ciel, car ce sont des martyrs. Je suis seule auteur de ce crime, ajouta-t-elle, et ce que j'ai voulu vous faire croire à vous-même, sur les conseils et la complicité d'une voisine, était autant de faussetés que j'ai imaginées pour sauver ma tête.»

Dans le courant de la conversation, Françoise Trenque avoua que c'était une misérable cupidité qui l'avait poussée à cette série de crimes; quelques arpens de terre et une chétive maison avaient armé sa main dénaturée contre toute sa famille.

Elle répéta ses aveux devant tout le monde, et disculpa la personne qu'elle avait si calomnieusement accusée. Comme on l'exhortait à prendre du courage: «Ne craignez rien, dit-elle, je saurai porter sur l'échafaud les forces qui m'ont servi à commettre de si grands crimes.» En effet, elle voulut faire elle-même sa toilette, se revêtit de la chemise des parricides, et couverte d'un voile noir, marcha à l'échafaud avec un horrible sang-froid.


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