Élise
IX
Cette dernière expression était bien de la fille de M. de La Hotte-Saint-Pair, le généalogiste. La sœur aînée insultée par sa cadette, cela constituait une anomalie qui signifiait que l'ordre du monde était bouleversé, et qu'étaient enchevêtrées ou tordues par la tempête les branches de l'arbre. Et la sœur aînée mêlait le dépit d'une telle constatation au regret de n'avoir pas mené à meilleure fin une entrevue diplomatique à elle confiée par ses parents « en raison, lui avait dit M. de La Hotte, de ta qualité d'aînée, de ton rang et du nom que tu portes… ».
Aussi revint-elle, à la fois humiliée, altière et courroucée, retrouver les malheureux parents, tout de frais débarqués de Granville, après un voyage accompli au reçu d'un télégramme de M. Destroyer, et installés à l'étroit dans l'appartement des Vamiraud, rue de Sèvres. Marie leur représenta « sa cadette » comme le monstre de la rébellion et de l'impudeur. M. de La Hotte-Saint-Pair, qui avait eu, depuis son mariage, une douzaine de maîtresses au vu et au su de tout le pays et de sa femme, fut sincèrement indigné et non moins ingénument stupéfait. Madame de La Hotte affirma qu'elle avait de tout temps prédit que le fonds d'indépendance dont était affligée sa fille Élise devait conduire l'infortunée aux abîmes. Elle rappela tous les soins accordés par elle à Élise lors de ses maladies de jeunesse : elle insista sur la surveillance attentive dont elle l'avait entourée, sur l'angoisse éprouvée lors du premier penchant de la jeune fille, celui qui avait failli la jeter dans les bras du lieutenant Piédoie, enfin sur la prestance de M. Destroyer, qui, par ailleurs, était un homme sérieux et faisant d'excellentes affaires. « Quand elle a procuré à sa fille un mari de la figure de celui-là, ajouta-t-elle, une mère devrait avoir le droit de dormir sur les deux oreilles… »
Madame de Vamiraud avait été chargée de fixer à Élise une entrevue avec ses parents, ceux-ci se refusant, comme de juste, à aller la joindre dans son logis de fortune ; mais, la fin malencontreuse de l'entretien lui ayant fait oublier la commission, il fallut écrire à la dévoyée.
Il se trouva qu'on lui donna rendez-vous précisément à l'heure où Élise allait d'ordinaire rue Guénégaud. L'amoureuse considéra cette désobligeante coïncidence comme une catastrophe. Elle annonça à son amant qu'elle était convoquée par sa famille le lendemain.
— Eh bien? dit Jean-Marie.
— Comment! « eh bien? » Mais c'est demain dans l'après-midi : alors, je ne te verrai pas.
— C'est vrai.
— … A moins que…
Elle avait les larmes aux yeux. Elle espérait que Jean-Marie lui proposerait de la voir à une autre heure.
M. Le Coûtre, pour la consoler, essaya de lui faire entendre qu'il ne résulterait probablement de cette entrevue avec la famille rien de plus grave que ce qui était déjà. Elle le regardait, sans le comprendre, et ses yeux restaient tout humides.
— Mais,… demain? insista-t-elle, demain!…
— Allons, il ne faut pas dire des bêtises. Vous verrez vos parents demain et nous nous verrons après-demain.
Alors Élise fut secouée par les sanglots.
Elle attendait qu'il lui proposât pour demain une autre heure, le soir par exemple, l'heure du dîner, peut-être!… ou après… ou le matin… ou la nuit!… Ah! que savait-elle! toute heure eût été bonne. Elle se fût bien privée de manger et de dormir pour ne pas manquer de voir Jean-Marie demain!
Elle n'osa pas insister, parce qu'il ne comprenait pas.
Elle le quitta, désolée, comme pour une longue séparation.
Elle baissa sa voilette ; elle sentait qu'elle allait pleurer dans la rue. Lui, il avait souri en l'embrassant dans l'antichambre ; il dodelinait de la tête et il pensait : « Quelle Mimi-Pinson! »