16px
100%

XXV

Élise, en réalité, n'avait qu'un désir, c'était de s'enfermer dans son appartement trop meublé, mal meublé, avec les verreries inutiles et les grandes boîtes dérisoires qui contenaient les jetons du jeu de dames, les pions du jeu d'échecs, les cornets et les dés du jacquet et des dominos, « petits cercueils », disait-elle, d'une illusion qu'elle appelait « la dernière ». Pourquoi s'était-elle arrachée à sa solitude? Dans l'unique dessein de conserver près d'elle son amant. Ah! qu'elle fût donc volontiers retournée à la solitude, aujourd'hui, afin de jouir au moins sans mélange du peu qu'il plairait à son amant de lui donner!

Hélas! le plaisir de Jean-Marie consistait désormais à savoir qu'Élise « sortait ».

Il la voyait plus rarement qu'autrefois, et, lorsqu'il la voyait, c'était pour lui parler des « sorties » dont elle avait, à son sens, grand tort de s'abstenir.

Elle crut d'abord que ce souci de la voir « sortir » répondait à une conception de la vie qu'il avait sans qu'il s'en ouvrît ; il s'ouvrait de si peu de choses! A quoi elle eût pu présenter des objections et opposer sa conception personnelle. Mais elle démêla peu à peu que c'était chez lui simple préférence. A un sentiment, point d'objection possible. Elle se soumit donc. Elle n'avait plus qu'une phrase, toujours prête :

— Du moment, mon chéri, qu'il s'agit de te faire plaisir!…

Dépourvue qu'elle était, et de grande imagination et malignité et de la connaissance de l'esprit des hommes, dépourvue surtout de jugement en tout ce qui concernait l'homme adoré d'elle, elle n'allait pas jusqu'à concevoir que Jean-Marie, dans la famille des égoïstes, figurait l'égoïste inachevé, le pire : celui qui ne saurait se satisfaire s'il s'apparaît à lui-même peu généreux. Jean-Marie goûtait beaucoup mieux sa liberté lorsqu'il savait qu'Élise n'était pas seule chez elle à déplorer qu'il ne fût pas là.

Fourberie de l'honnêteté! Élise hors de chez elle, Élise en quelque maison que ce fût, les soirées de Jean-Marie à la taverne étaient beaucoup plus douces…

Et Élise sortit.

Car elle en était venue à appréhender d'avoir à dire : « Je ne suis pas sortie. »

D'abord frappée par les contrastes entre la vie de gens libérés des entraves bourgeoises et celle du monde qu'elle croyait avoir été jadis son bourreau, ce qu'elle remarquait aujourd'hui, c'étaient bien plutôt entre un monde et l'autre les analogies.

Ce qu'elle remarquait moins, c'était l'invincible penchant qu'elle avait à tout confronter avec le monde d'où elle s'était évadée. Elle eût éprouvé grand plaisir à rendre compte de ses visites et de ses soirées si Jean-Marie eût connu lui aussi ce penchant ; mais il ne l'avait à aucun degré.

Quant à lui, il ne parlait presque plus de ce qui se passait à la brasserie, et plus du tout de Clara.

— Mais, est-ce à ta brasserie que tu vas, au moins? lui demandait Élise.

Il jurait qu'il n'était pas homme à rompre ses habitudes. Et cela était bien vraisemblable.

— Il ne faut pas te croire obligé à ne plus me parler de Clara sous le prétexte qu'elle et moi ne nous voyons plus!…

— Que veux-tu que je te dise d'elle? faisait Jean-Marie.

Une inquiétude, encore confuse, planait sur la question de la brasserie et de Clara.

Chargement de la publicité...