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Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire

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IV.
MATHIEU.—PEPIN-DÉGROUHETTE.—LAVEAUX.—D'AUBIGNI.—COFFINHAL-DUBAIL.

Ce Mathieu ne fit que passer à travers le Tribunal du 17 août, comme Osselin. Au bout de quelques séances, on ne retrouve plus son nom.

«Pierre-Athanase Pepin-Dégrouhette, espèce de cul-de-jatte, avait été renfermé à Bicêtre pendant quatorze ans, puis valet à l'Hôtel-Dieu, puis postulant aux justices subalternes de Montmartre et de La Villette. La fille d'un portier l'avait recueilli; il l'avait épousée et associée à sa misère.» Ces quelques lignes de biographie, dues à la plume bien informée d'un contemporain (l'avocat Maton de La Varenne, qui refusa d'être le défenseur de Fouquier-Tinville, après avoir été celui de tous les voleurs du royaume), ne contiennent rien de chargé. Pepin-Dégrouhette était un homme méprisable de tous points; il joignait la corruption de l'âme à la bassesse du visage. Son immoralité n'était un problème pour personne, selon l'expression d'un témoin dans le procès des prisons. Après la cassation du Tribunal, où il avait remplacé Osselin à la présidence de la première section, il fut arrêté comme prévenu de s'être enrichi dans ses fonctions par des voies illicites; et il n'échappa aux charges terribles qui pesaient sur lui qu'en remplissant à Saint-Lazare le rôle odieux de mouton ou délateur,—ainsi que nous le verrons plus tard.

A côté de cet être abject, nous sommes heureux de pouvoir reposer notre vue sur un homme intelligent, le plus instruit du parti jacobin, un des collaborateurs de Mirabeau dans son travail de la Monarchie prussienne, le célèbre lexicographe Laveaux. Celui-là au moins n'a pas de taches avilissantes sur son passé; c'est un révolutionnaire ardent, mais agissant par conviction, rarement par intrigue. Ami de Frédéric-le-Grand, qui lui avait donné une chaire de littérature française à Berlin, Laveaux avait écrit une trentaine de volumes de toute sorte, lorsque la Révolution française fit explosion. Il crut qu'il devait ses lumières à son pays et il revint en France, où jusqu'au mois de mai 1792 il rédigea le Courrier de Strasbourg, pour lequel il essuya quelques persécutions. Il était à Paris lors de la journée du 10 août; lié avec les principaux chefs de la démocratie, il ne fut pas oublié par eux lors de la formation du nouveau Tribunal criminel. Il fut nommé président de la deuxième section, et la sagesse de sa conduite répondit à ce qu'on était en droit d'attendre de son savoir et de son expérience. Laveaux avait quarante-trois ans; il avait pris, à Bâle, les ordres dans l'église réformée. C'est l'auteur du grand dictionnaire qui porte son nom.

Nous retombons maintenant dans l'ignorance et dans la fange. D'Aubigni, fils d'un ancien notaire de Blérancourt, dans le département de l'Aisne, est un portrait qui répugne au pinceau autant que le portrait de Pepin-Dégrouhette.

Il n'appert pas, en effet, que Jean-Louis-Marie Vilain d'Aubigni fut un homme d'une probité exacte, d'une réputation immaculée. Sa mémoire nous arrive toute noircie à travers les nuages de la Révolution. Ancien procureur au parlement de Paris, puis agent d'affaires, on le voit poindre après la prise de la Bastille et aux événements des 5 et 6 octobre, où il figure comme simple garde national. Un an plus tard, il se fait recevoir membre de la société des Amis de la Constitution, séant aux Jacobins de la rue Saint-Honoré. A partir de cette époque il joue un rôle, selon une expression d'alors, et il apparaît comme un des plus fougueux champions de la démocratie.

La journée du 10 août le vit se multiplier aux alentours du château et dans le château même. Il sentait l'or et le convoitait. Peltier veut qu'il ait été un des instigateurs de la mort du journaliste Suleau, ce jeune homme que sa belle mine, l'éclat de ses armes et la fraîcheur de son uniforme avaient fait arrêter à huit heures et demie du matin sur la terrasse des Feuillants. «Un factieux, nommé d'Aubigni, chassé depuis de la municipalité nouvelle pour ses vols, accabla Suleau de reproches et d'invectives; il le fit dépouiller de son bonnet de grenadier, de son sabre et de sa giberne. Suleau protesta contre cette violence de la manière la plus énergique. Sur ces entrefaites arrive Théroigne de Méricourt; elle lui saute au collet et aide à l'entraîner; il se débat comme un lion contre vingt furieux, mais vainement! Mis hors d'état de défense, on le saisit, on le taille en pièces[5]

[5] Dernier tableau de Paris ou Récit de la révolution du 10 août, par J. Peltier.

Dans un mémoire justificatif qu'il répandit lors de sa déportation, Vilain d'Aubigni a prétendu avoir sauvé la vie à une foule de personnes dans la journée du 10 août, notamment à la compagnie colonnelle des Suisses tout entière, ainsi qu'à l'état-major de ce régiment. Cette assertion, qui ne repose sur aucune espèce de témoignage, me paraît combattue par un passage d'un autre de ses mémoires, publié, celui-là, en l'an II, et dans lequel Vilain d'Aubigni s'exprime d'une manière bien différente: «Roland et ses complices, dit-il, ne peuvent me pardonner d'avoir, dans la nuit et la matinée de l'immortelle journée du 10 août, détruit leur espoir, en livrant à une MORT PROMPTE ET TERRIBLE les principaux chefs qu'ils avaient chargés de l'exécution de leur conjuration.»

Quoiqu'il en soit, ce fut d'Aubigni qui, en sa qualité de commissaire de la section des Tuileries, inventoria, après l'invasion du château, les objets précieux qui s'y trouvaient. Cet inventaire fut long. Il fit main-basse sur quelques sacs;—on a prétendu, on a même imprimé que sa femme, craignant les perquisitions, avait, à son insu, rapporté à la Commune cent mille livres dont il s'était emparé. D'Aubigni eut à subir divers interrogatoires à cet égard, il se défendit mal; mais comme il était l'ami de Danton et que Danton était tout-puissant à cette époque, on ferma les yeux. Sur ces entrefaites, il fut appelé par les électeurs à faire partie du Tribunal du 17 août.—Quel juge!

Le dernier qui se présente sous notre plume, ce n'est pas un voleur, c'est un bourreau, c'est Coffinhal. Une haute stature, des yeux noirs, d'épais sourcils, un teint jaune, la voix d'un butor, tel est le portrait de cet Auvergnat, d'abord médecin, ensuite procureur au Chatelet, puis révolutionnaire par tempérament. Il avait ajouté à son nom celui de Dubail, pour se distinguer de ses deux frères, Coffinhal et Coffinhal Dunoyer. Il avait trente-huit ans. Il figure assez sur les premiers plans de cette histoire pour que nous soyons dispensé d'en parler davantage en ce moment.

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