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Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire

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VI.
SUPPRESSION DU TRIBUNAL CRIMINEL DU 17 AOUT.

Une fois la perte du Tribunal résolue, on lança un décret qui déclara ses jugements sujets à cassation. De plus, le ministre de la justice demanda que ledit Tribunal fût tenu de laisser dans le libre exercice de ses fonctions le Tribunal de police correctionnelle, des pouvoirs duquel il s'était momentanément emparé. Les juges firent la sourde oreille et continuèrent à instruire des procès de toute espèce.

Un de leurs derniers jugements condamna à douze ans de fer et à six heures d'exposition un ex-commissaire de la butte des Moulins, Stévenot, convaincu d'avoir procédé à d'illégales visites domiciliaires dans le but de s'approprier des valeurs d'argent. Cet adroit fripon, arguant d'ordres prétendus, requérait la force armée pour commettre des arrestations arbitraires.

Il importe peu de signaler les autres arrêts qui n'atteignirent que des voleurs ordinaires ou des individus coupables d'avoir tenu d'incendiaires propos. De vrais criminels politiques, il n'en est aucune trace; et je me demande ce que sont devenus, après la dissolution de ce Tribunal, les détenus sérieux, tels que ce brigand dont le journal de Gorsas fait mention à la date du 9 novembre: «P. Laroche, natif de Saint-Flour, détenu avant le 10 août, vient d'être arrêté comme prévenu de s'être transporté il y a deux jours à la Force. Là, après avoir mis en évidence un gros bâton qui lui avait servi, dit-il, les 2, 3, 4, et 5 septembre, il ajouta qu'il lui servirait encore, car il fallait recommencer de plus belle. Il prévint ensuite un guichetier, nommé P. Sciffron, de se méfier, qu'on devait assassiner sous peu tous les concierges des prisons et les prisonniers; mais qu'il pouvait être tranquille, et qu'il se chargeait de lui et même de l'installer concierge. Le directeur du jury d'accusation est chargé, d'après les pièces, de poursuivre cette affaire.»

C'eût été embarrasser singulièrement Lullier que de le forcer à charger un semblable bandit, son collègue dans les nuits de massacre. Et le Tribunal du 17 août s'occupait des délits de police correctionnelle afin de n'avoir pas à s'occuper des assassinats de septembre. Là-dedans aussi faut-il peut-être chercher une autre cause à sa suppression.

Toutefois est-il que, malgré le vœu presque unanime des députés, son agonie se prolongea encore une semaine; en voici le bulletin:

Le 23, décret qui ajourne la proposition de supprimer le Tribunal criminel;

Le 24, décret qui ajourne au lendemain le rapport sur le Tribunal criminel;

Enfin, rapport par Garan de Coulon, suivi d'un décret à la date du 29, portant suppression du Tribunal pour le lendemain 1er décembre.

Immédiatement, c'est-à-dire le 29, vers onze heures du matin, le ministre envoya au Tribunal une expédition de ce décret. On essaya bien de demander une prorogation, sous le prétexte d'une cause intéressante dont les débats devaient commencer le 30 et qui était susceptible de durer peut-être quarante-huit ou cinquante heures. A cet effet, Desvieux, accompagné de plusieurs gendarmes, «jaloux, dit le Bulletin de Clément, de témoigner leur gratitude et leur civisme,» fut député vers la Convention. Mais la Convention, impatientée, passa à l'ordre du jour. Desvieux revint au Palais-de-Justice avec ses gendarmes consternés. Il était huit heures du soir. Sur-le-champ, le Tribunal criminel du 17 août déclara que ses fonctions étaient finies. Toutefois, il ne voulut pas se séparer sans protester un peu amèrement contre le décret de suppression; et Lullier, demandant la parole, prononça le discours suivant:

«Citoyens, nommé par le peuple, ce Tribunal en a eu la force et l'énergie.

»Toutes les autorités ont paru devant nous, sans aucune acception particulière, parce que nous n'avons connu que l'égalité. Mais un caractère de justice aussi prononcé, en nous faisant redouter de cette classe d'hommes farouches qui tendent sans cesse à la suprématie et qui n'usent de la puissance du peuple que pour l'asservir; ce caractère, dis-je, devait faire de tous ces hommes des ennemis cruels pour le Tribunal. En effet, vous avez vu la calomnie verser sur nous ses poisons subtils et dangereux; mais vous étiez là; vous avez applaudi à nos travaux, et, fiers de vos suffrages, nous avons méprisé la calomnie.

»Aujourd'hui, citoyens, le Tribunal est supprimé; mais, toujours dignes de vous, toujours dignes de nous-mêmes, nous dédaignons de regarder en arrière la main qui nous a frappés. La loi a parlé, nous suspendons nos fonctions; c'est à vous de juger de quelle manière nous les avons remplies[13]

[13] Voici un portrait de Lullier, qui fut publié au moment de sa candidature à la mairie: «Lullier a été cordonnier, établi rue du Petit-Lion. Sa qualité ne serait pas à considérer, mais elle indique l'habitude du travail des mains et l'éloignement de celui de l'esprit; il est sans éducation, il n'a fait aucune étude; il est ignorant, vindicatif, violent, emporté à l'excès. Après des égarements de jeunesse, il s'est fait homme de loi en 1789. Dans les mois de juillet et d'août, il s'est donné de grands mouvements dans la section du Bon-Conseil, et il a été nommé accusateur public d'une section du Tribunal du 17 août; il suffit de l'entendre parler pour juger de son ignorance. Il paraît s'abandonner au vin… Voilà le maire proposé par Robespierre aux Jacobins; ce sera Robespierre qui sera maire pour Lullier.»

(Patriote français.)


Ainsi tomba, après un exercice de trois mois, ce Tribunal érigé par Robespierre et par la Commune; il servit à préparer le véritable Tribunal révolutionnaire, le Tribunal du 10 mars; il servit à essayer les hommes sur lesquels pouvaient compter les terroristes; et ses actes, encore masqués d'un semblant de justice, furent le prélude du grand système de représailles révolutionnaires qui devait, quatre mois plus tard, commencer à embrasser la France tout entière.

FIN.

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