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Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire

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VII.
FOUQUIER-TINVILLE.

Mais alors Fouquier-Tinville n'en était qu'à ses premières armes. Il débutait au Tribunal du 17 août. Que dis-je? C'était un nouvel époux; il venait tout récemment de convoler en secondes noces avec une jeune fille NOBLE, de petite taille, mais de très-jolie figure,—car l'accusateur public était sensible aux charmes de la physionomie. Il aimait aussi la bonne chère et il avait le mot pour rire à l'occasion. «Il avait surtout, dit Desessarts, un goût de prédilection pour les danseuses de spectacles, auxquelles il sacrifia sans réserve sa fortune.»—C'était du temps de sa première femme que ce goût de prédilection lui était venu; cette femme se plaignait quelquefois de lui voir dissiper ainsi son patrimoine. Cela donna du mécontentement à Fouquier-Tinville. Mais, par bonheur, cette femme mourut bientôt, lui laissant sa liberté et trois enfants.

Ce fut alors que Fouquier-Tinville s'éprit de la petite aristocrate en question. J'ignore si elle lui apporta de la fortune; il en avait besoin; car, après avoir vendu sa charge, il ne lui était resté que des dettes.—C'était la mode, chez quelques sans-culottes, d'épouser des filles de famille noble; on ne sait pas pourquoi. Le plus fétide d'entre tous, le capucin Chabot, ne se maria-t-il pas, en plein 93, avec une Autrichienne riche de 700,000 livres? Déclamez donc contre les titres et contre l'argent!

Toutes les réhabilitations ont été tentées,—même celle de Fouquier-Tinville. Empressons-nous toutefois de déclarer que ce n'est pas parmi ses contemporains qu'il s'est trouvé un écrivain pour une pareille tâche. Quelques-uns ont pu lui accorder l'habileté, la connaissance profonde des affaires, le courage même,—mais aucun, aucun entendez-vous, ne lui a accordé le cœur d'un homme. Ses complices se reculaient souvent d'auprès de lui et le regardaient avec une admiration effrayée. Le dépopulateur! ainsi l'appelait-on au Comité de salut public; et Collot-d'Herbois,—Collot-d'Herbois que le sang ne devait pas épouvanter, cependant!—l'a flétri par une monstrueuse et éloquente parole, en disant de lui: IL A DÉMORALISÉ LE SUPPLICE!

Le masque de Fouquier-Tinville est suffisamment connu par les gravures qui en ont été faites, et mieux encore par le portrait écrit de Mercier, dans le Nouveau Paris de l'an VI. Lorsqu'il fut nommé directeur du jury d'accusation, Fouquier était âgé de quarante-cinq ans à peu près. Il avait la tête ronde, les cheveux très-noirs et unis, le front étroit, le visage plein et grêlé, quelque chose de dur et d'effronté dans l'expression. Son regard, quand il le rendait fixe, faisait baisser tous les yeux; au moment de parler, il plissait le front et fronçait les sourcils,—qu'il avait néanmoins plus ouverts que ne le veulent les mélodrames;—sa voix était haute, impérieuse. Simplement retors et bourru au commencement de ses terribles fonctions, il devint dans la suite expéditif et insolent. L'odeur du sang le grisa, comme grise l'odeur de la poudre. Mais son ivresse était farouche, sans pitié; il avait l'air de poursuivre une vengeance personnelle. Ainsi devait être Tristan, le sinistre compère de Louis XI.

Fouquier-Tinville était grand et robuste.

J'ai vu souvent son écriture;—elle est ferme, assurée, lisible, droite, ni trop grasse ni trop maigre,—une écriture de procureur.

Appartenant, ainsi que Coffinhal, à une famille nombreuse, il prit le nom de Tinville, pour se distinguer aussi, lui, de ses frères, dont l'un était fermier et l'autre avocat. Il était né à Hérouel, près de Saint-Quentin. Un des parents de Fouquier-Tinville, M. Fouquier-d'Hérouel, a fait partie dans ces derniers temps de l'Assemblée législative.—Ajoutons, pour en terminer avec ces renseignements de famille, que l'accusateur public était un peu parent de Camille Desmoulins.

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