← Retour

Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire

16px
100%

CHAPITRE X.

I.
ÉMEUTE DE LA PLACE DE GRÈVE.—DÉLIVRANCE D'UN CONDAMNÉ.

Sur cette même place de Grève, deux jours après l'exécution des neuf émigrés, le Tribunal du 17 août envoyait un jeune gendarme de vingt-huit ans, condamné à dix années de fers et à quatre heures de carcan. Dotel avait été convaincu de meurtre sur un soldat caserné à la Courtille, mais Dotel avait été provoqué, injurié; la fureur seule arma son bras, et il fut homicide sans être assassin. Une foule nombreuse assistait à son exposition; c'était pour la plupart les habitués de la salle d'audience, en qui s'était éveillée quelque compassion. On trouvait généralement l'arrêt du Tribunal trop rigoureux; on s'empressait autour de Dotel et on le plaignait d'autant plus que sa figure contractée exprimait une vive douleur. Au bout de trois heures, il appela un gendarme et lui demanda à être détaché pour quelques besoins (texte du Moniteur). Le gendarme fit la sourde oreille, ce qui excita les murmures de plusieurs hommes du peuple. Dotel insista.

—Bah! lui répondit le gendarme, vous n'avez pas plus de trois quarts d'heures à rester exposé.

Cependant le motif de ses supplications se répandait parmi les assistants, qui s'apitoyaient sur ce pauvre diable et s'irritaient de la dureté des gendarmes. Il était évident que Dotel se trouvait en proie aux plus atroces souffrances.

—Détachez-le! détachez-le! disait-on de toutes parts.

Les gardes ne bougèrent pas.

Alors, il se fit un mouvement dans la foule. Un gros d'hommes, les uns en bourgeois et les autres en uniforme, se dirigea vers l'échafaud, en criant:

—Sa liberté! sa liberté! Nous l'aurons de force!

Au milieu du tumulte, un gendarme lança son cheval au galop pour aller requérir du renfort au corps-de-garde de la réserve. Pendant ce temps-là, on était monté sur l'échafaud.

—Des couteaux pour couper les cordes! nous n'avons pas le temps de les dénouer, disait un dragon d'environ cinq pieds six pouces, couvert de son casque et vêtu d'un habit vert à boutons à la hussarde.

Un autre militaire, qui est resté inconnu, s'exprimait chaleureusement en ces termes:

—Si Dotel était un voleur, je ne m'opposerais pas à son châtiment; mais c'est un brave garçon, je le connais, et il faut qu'il soit délivré!

La présence de ces soldats a fait croire à un coup de main prémédité. C'est possible; toutefois on n'en a jamais eu d'autres preuves.

On ne résiste pas à la foule. Après avoir reçu quelques horions, les gendarmes comprirent que ce qu'ils avaient de mieux à faire, c'était de se retirer au secrétariat de la Maison Commune et d'y dresser leur déclaration. Immédiatement après leur départ, la potence fut ébranlée, le tabouret jeté à bas, l'écriteau déchiré, et Dotel emmené par le peuple au bruit des cris accoutumés de: Vive la nation!

Cette audacieuse infraction aux lois fit quelque sensation dans Paris. Le corps municipal chargea le procureur de la commune de poursuivre devant les tribunaux la réparation de ce délit, et arrêta que la Convention nationale serait tenue au courant des démarches opérées à ce sujet.

Je ne sache pas cependant que Dotel soit jamais retombé sous les serres de la justice; il est supposable qu'il aura réussi à gagner la frontière. On n'a jamais pareillement entendu reparler de ses prétendus complices.

Chargement de la publicité...