Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire
II.
ARNAUD DE LAPORTE.—UNE FEMME
ASSOMMÉE.
Il y avait un brave homme dans le royaume, un homme que les pauvres bénissaient et que les Jacobins eux-mêmes étaient forcés d'estimer; sa vie privée offrait l'exemple de toutes les vertus; sa vie publique était à l'abri de tout reproche; il était probe, franc, serviable, digne. C'était M. de Laporte. Il n'avait qu'un tort,—tort irrémissible aux yeux du Tribunal,—il était intendant de la Liste-civile. On trouva que cela était assez pour l'envoyer à la mort.
Le 22, entre neuf et dix heures du matin, il fut amené devant les juges. Interrogé par le président, il déclara se nommer Arnaud de Laporte et demeurer au pavillon de l'Infante, dans le château des Tuileries.
Il entendit ensuite la lecture de l'acte d'accusation, par lequel il était convaincu «d'avoir abusé des sommes immenses qui lui étaient confiées en les employant pour fomenter un germe de guerre civile, et amener par là le retour du despotisme.»
Ces sommes immenses se résumèrent, dans l'instruction, à quelques centaines de francs pour frais d'affiches; à la subvention des Folies du mois, journal à deux liards, qui paraissait depuis six mois seulement, et à l'impression de quelques pamphlets royalistes. Pas davantage.
M. de Laporte embarrassa beaucoup le Tribunal par la netteté et la justesse de ses réponses. Son procès dura près de quarante heures. N'était l'échafaud qu'on n'osait faire chômer, on l'eût renvoyé certainement des fins de l'accusation. Il s'attacha surtout à détruire la force des preuves contenues dans différentes lettres surprises chez lui, en faisant observer qu'elles étaient adressées à son secrétaire, et qu'il ne pouvait pas répondre des faits particuliers. «Cependant, les mémoires d'impressions de différents libelles et la reconnaissance de l'imprimeur Valade, pour les sommes qui lui ont été délivrées, ne laissant aucun doute sur l'existence des CRIMES dont M. Laporte est accusé, le jury de jugement déclare qu'il croit à l'existence d'une conjuration.»
Son défenseur officieux, M. Julienne, tenta vainement d'intéresser l'auditoire en faveur d'une existence toute de vertus et de bienfaits. L'auditoire resta inflexible, comme il l'était resté pour Collenot d'Angremont.
M. de Laporte parut très-ému en entendant prononcer l'arrêt qui le condamnait à avoir la tête tranchée. Il avait espéré jusque là dans l'équité de ces hommes. Lorsqu'il fut revenu un peu à lui, il se tourna vers le peuple, et prononça, d'un accent pénétré, les paroles suivantes:
—Citoyens, puisse ma mort ramener le calme dans ma patrie et mettre un terme aux dissensions intestines! Puisse l'arrêt qui m'ôte la vie être le dernier jugement de ce tribunal!
Un murmure unanime et désapprobateur couvrit cette dernière phrase.
—Monsieur Laporte, dit Osselin, le tribunal pardonne à votre situation; il respecte le malheur; mais il croit devoir vous observer que votre jugement est prononcé par des hommes justes, qui auraient voulu vous absoudre.
Des hommes justes, Pepin-Dégrouhette, d'Aubigni et Coffinhal!…
De l'aveu de tous les journaux, M. de Laporte montra ensuite beaucoup de fermeté jusqu'au moment de son supplice, qui eut lieu le 24, dans la soirée. Il eut la douleur de voir assommer une femme qui, comblée de ses bienfaits, suivait la charrette en s'écriant:—Voilà le plus honnête homme du monde! Il ne put contenir ses larmes. Ameuté contre lui, le peuple criait, en le menaçant:—Toutes tes créatures périront de même!
Arrivé au pied de la guillotine, où il avait été accompagné par le curé de Saint-Eustache, il recueillit ses forces et monta, sans être soutenu, le fatal escalier. Ses derniers regards se dirigèrent vers les Tuileries.
La nouvelle de cette mort affecta vivement Louis XVI et la Reine, qui s'étaient habitués à considérer Laporte plutôt comme un ami que comme un serviteur. Condorcet eut, dans son journal, quelques paroles de pitié pour cette tête vénérable, et il essaya à cette occasion de tourner les esprits vers la clémence.—Stériles efforts!