Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire
CHAPITRE II.
I.
NUIT DU 17 AU 18.—ON NOMME LES MEMBRES
DU TRIBUNAL.—ROBESPIERRE REFUSE LA
PRÉSIDENCE.
Il nous a paru nécessaire de débrouiller, un peu minutieusement peut-être, l'origine de ce tribunal, de bien faire connaître ses fondateurs, de porter la lumière dans les causes secrètes qui ont amené sa création, de n'omettre aucune des instances barbares qui l'ont déterminée. Les Suisses n'étaient qu'un prétexte, l'attentat du 10 août n'était qu'un moyen.—Livrez-nous l'échafaud, donnez-nous la clef des prisons! voilà ce que demandait la Commune en demandant l'établissement d'un tribunal populaire. Les députés le savaient bien; aussi firent-ils la sourde oreille autant que cela leur fut possible; puis à bout de résistance, ils se lavèrent les mains, à la manière politique de Ponce Pilate.
A dater de ce jour vont commencer ces fatales proscriptions, ces aveugles représailles, ces assouvissements populaires dont le récit attend toujours et attendra longtemps un Tacite. De ce pouvoir tombé dans la rue et cassé en miettes, les ignorants, les criminels, les ambitieux, les sages et les fous, tout le monde enfin va se partager les morceaux. Une moitié de Paris va dénoncer l'autre, enfermer l'autre, tuer l'autre!
La Commune ne perdit pas une seconde. A peine le décret de l'Assemblée eut-il été rendu, que les quarante-huit sections désignèrent des électeurs pour procéder au choix des membres du nouveau tribunal. Dans la nuit du 17 au 18, ces électeurs se rassemblèrent à l'Hôtel-de-Ville et nommèrent les juges et les quatre-vingt-seize jurés (deux par section.)
Le premier nom qui sortit fut celui de Robespierre.
C'était justice!
Voici les autres noms, dont le Moniteur publia le lendemain la liste incomplète et mal orthographiée:
JUGES.—MM. Robespierre, Osselin, Mathieu, Pepin-Dégrouhette, Laveaux, d'Aubigni, Coffinhal-Dubail. (Il manque un juge.)
ACCUSATEURS PUBLICS.—Lullier, Réal.
MEMBRES DU JURY D'ACCUSATION.—Leroi, Blandin, Bottot (et non Bolleaux), Lohier, Loyseau, Caillère de l'Etang, Perdrix.
SUPPLÉANTS.—Desvieux, Boucher-René, Jaillant, Maire, Dumouchel, Jurie, Mulot (et non Multot), Andrieux.
GREFFIERS.—Bruslé, Hardy (et non Gardy), Bourdon, Mollard.
C'étaient tous des membres de la Commune, ou des gens dévoués corps et âme au parti anarchiste. La plupart, tels que Lullier, Desvieux, Pépin, Bourdon, etc., avaient même fait partie des députations envoyées à l'Assemblée. On pouvait donc compter sur eux, à bon droit.
Cette liste fut accueillie avec faveur par les sections, presque entièrement jacobinisées.
Ensuite le conseil-général de la Commune qui, depuis le 10 août, s'était lui aussi déclaré en permanence, déclara que, la place du Carrousel étant le lieu où le crime avait été commis, la place du Carrousel serait le théâtre de l'expiation.
Sur la proposition de la section de Montreuil, une garde composée de citoyens et de gendarmes fut affectée au nouveau tribunal[2].
[2] Voir les Procès-Verbaux de la Commune de Paris.
On prit encore d'autres dispositions, et l'on se sépara, après avoir décidé que l'installation aurait lieu le lendemain, 18 août, au Palais-de-Justice.
Dans cet intervalle, Robespierre se sentit atteint de scrupules singuliers; il refusa l'honneur de la présidence auquel l'appelait cet article du décret: «Les deux juges qui auront été élus les premiers présideront chacun une des sections.» Ce rôle lui parut sans doute trop subalterne; celui d'instigateur lui convenait mieux, quant à présent. Il n'en voulait pas d'autre.
Ce refus ayant été diversement interprété, il se vit obligé de publier une lettre explicative. Nous la reproduisons:
«Certaines personnes ont voulu jeter des nuages sur le refus que j'ai fait de la place de président du tribunal destiné à juger les conspirateurs. Je dois compte au public de mes motifs.
»J'ai combattu, depuis l'origine de la Révolution, la plus grande partie de ces criminels de lèse-nation; j'ai dénoncé la plupart d'entre eux; j'ai prédit tous leurs attentats, lorsqu'on croyait encore à leur civisme; je ne pouvais être le juge de ceux dont j'ai été l'adversaire, et j'ai dû me souvenir que s'ils étaient les ennemis de la patrie, ils s'étaient aussi déclarés les miens. Cette maxime, bonne dans toutes les circonstances, est surtout applicable à celle-ci. La justice du peuple doit porter un caractère digne de lui; il faut qu'elle soit imposante autant que PROMPTE et TERRIBLE.»
«L'exercice de ces nouvelles fonctions était incompatible avec celui de représentant de la Commune, qui m'avait été confié; il fallait opter: je suis resté au poste où j'étais, convaincu que c'était là où je devais actuellement servir ma patrie.
»Signé ROBESPIERRE.»
La liste du Moniteur se trouva dès lors modifiée. Cette liste, envoyée à la hâte et où les noms sont presque tous estropiés (nous leur avons restitué leur orthographe), est d'ailleurs, comme nous l'avons dit, très-incomplète; entre autres, un nom des plus importants y est omis, celui du directeur du jury d'accusation:—Fouquier-Tinville.