Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire
CHAPITRE IV.
I.
PREMIÈRE AUDIENCE.—PREMIÈRE CONDAMNATION
A MORT.—PREMIÈRE EXÉCUTION.
L'affaire Collenot fut portée le 20 août au jury de jugement. L'assemblée était nombreuse et impatiente. Osselin présidait; de ses cheveux arrangés avec art, de son linge aristocratique, de toute sa personne enfin s'exhalaient des parfums que les sans-culottes ne sentaient pas d'un bon nez.
L'entrée de Collenot d'Angremont fut signalée par les murmures de l'auditoire. On s'attendait à ce qu'il serait condamné, quoiqu'on ne sût pas bien au juste quel était son crime; on voulait sa mort quoiqu'on ignorât ce qu'il avait fait pour la mériter. Mais il fallait au peuple une victime, n'importe laquelle,—et il aurait fait beau voir que d'Angremont n'eût pas été coupable!
En résumé, voici ce dont on l'accusait: il avait obéi aux ordres et aux instructions du ministre Terrier-Monciel, en levant une sorte d'escouade de police, destinée à surveiller les réunions politiques et à prévenir les mouvements révolutionnaires. Cette bande d'espions avait des marques distinctives: tous portaient une cocarde à flocons de rubans pâles, qu'ils avaient une manière convenue de placer sur leur chapeau ou à leur bras; ils étaient armés d'un bâton de forme particulière, appelé entre eux constitution.
L'imbécile rédacteur des Révolutions de Paris, Prudhomme, dans ce style emphatique et atroce qu'on lui connaît, s'exprime de la manière suivante sur d'Angremont et sur ses affidés: «Collenot, dit d'Angremont, était petit-fils d'un geôlier de Dijon; il devint l'ami, le confident de Médicis (Médicis, c'est le surnom que Prudhomme a inventé pour Marie-Antoinette); son ministère consistait à enrôler des scélérats exercés au métier de brigands, D'ASSASSINS, D'INCENDIAIRES. On en a trouvé une liste énorme dans ses papiers; ce fait a été constaté par le jury d'accusation: cette bande de sicaires était distribuée en brigades, et disséminée dans tous les quartiers de la capitale. Le jour, leur consigne était d'assister, soit aux séances de l'Assemblée nationale, soit à celles des Jacobins, soit à ces séances populaires qui se trouvaient au milieu des places publiques, et qu'on qualifiait du nom de groupes. Ils y prêchaient le royalisme et l'idolâtrie, ils y déclamaient contre les patriotes; et lorsque quelqu'un émettait librement son opinion, l'ordre était de lui susciter une querelle, d'appeler la force publique, de le faire conduire au corps-de-garde, d'où il était transféré au bureau central des juges de paix: là, les soldats de d'Angremont se faisaient reconnaître à certains signaux; le juge-de-paix les relâchait et le patriote était précipité dans les cachots…—La nuit, ces mêmes scélérats avaient la permission de voler et d'assassiner en détail; la plupart des vols et des meurtres qui ont été commis pendant l'hiver ne proviennent que d'eux; et s'ils n'ont pas été punis, c'est que les juges de paix étaient payés pour les soustraire à la loi.»
Ces exagérations, bien qu'elles portent en elles-mêmes leur ridicule, furent cependant produites au Tribunal;—mais de ces vols, de ces meurtres, on ne fournit aucune preuve.
D'Angremont ne chercha pas d'ailleurs à atténuer ce que sa situation avait de fâcheux et de contre-révolutionnaire. Il convint qu'il était un excellent et fidèle royaliste, et qu'il avait de bons motifs de l'être, ayant toujours reçu des bienfaits de la cour. Il avait été maître de langues de Marie-Antoinette lorsqu'elle n'était que dauphine[6]. Plus tard, il fut employé dans les bureaux de l'Hôtel-de-Ville par Joly, ex-ministre de la justice, alors administrateur; et ce fut sur ces entrefaites que Terrier-Monciel le chargea d'organiser l'escouade en question.
[6] Il avait aussi composé une Grammaire française, dont l'Assemblée constituante avait agréé l'hommage.
J'avoue que je cherche en vain là-dedans matière à culpabilité. Si toutefois la reconnaissance et le dévouement sont des crimes, certes, Collenot d'Angremont était criminel, bien criminel!
Les papiers trouvés chez lui prouvèrent qu'il se faisait rendre compte tous les soirs, par ses agents, des événements de la journée, et qu'il en rédigeait ensuite trois notes: une pour Louis XVI, une pour Terrier-Monciel et la dernière pour M. de Lieutaud, lieutenant de la garde du roi. Collenot d'Angremont était, sinon le chef, du moins l'instituteur et le payeur de cette bande, divisée en dix brigades;—les brigadiers recevaient 10 livres par jour; les sous-brigadiers, 5 livres; chaque homme, 2 livres 10 sols.
Un grand nombre de témoins furent entendus: ils déposèrent de faits insignifiants. En somme, c'était une affaire de police particulière, à laquelle on donnait l'importance d'un complot.
La mauvaise foi de Prudhomme est insigne dans son exposé que nous avons transcrit. Il attribue à la bande de d'Angremont «la plupart des vols et des assassinats qui ont eu lieu pendant l'hiver.» Or, la bande de d'Angremont n'existait pas pendant l'hiver, non, plus que pendant le printemps; elle comptait à peine UNE SEMAINE D'EXISTENCE au 10 août. Voici les termes précis de l'acte d'accusation: «Louis-David Collenot, dit d'Angremont, ci-devant secrétaire de l'administration de la garde nationale, à la maison commune, convaincu d'embauchage et d'avoir fait une levée d'hommes soldés et formés par brigades, depuis le premier août jusqu'au huit, sans ordre d'aucune autorité constituée; et d'avoir eu l'intention de former un complot tendant à troubler l'Etat dans une guerre civile, en armant les citoyens les uns contre les autres.»
Il est difficile, on en conviendra, de croire à une grande quantité de vols et de meurtres de la part de ces brigades, surtout dans le court espace du premier au huit août.
Mais le Tribunal avait son siége fait.
La liste des témoins étant épuisée, le défenseur officieux de Collenot d'Angremont eut la parole. Ce défenseur (M. Julienne), dont le journal de Gorsas lui-même constata les efforts et «les grands talents,» se retrancha judicieusement dans l'incompétence du Tribunal pour juger le délit de son client, lequel, ayant été arrêté le 8 août, ne devait pas et ne pouvait pas, dit-il, être jugé par un jury désigné pour se prononcer sur les attentats du 10. On ne l'écouta pas.
Après une séance de trente-deux heures, sans désemparer, le jury déclara que Collenot d'Angremont était coupable de conspiration contre l'Etat. Le commissaire appliqua la loi, et le Tribunal prononça la peine de mort, conformément aux art. 2 et 3 de la sect. 2 du tit. 1er de la seconde partie du Code pénal.
—Victime de la loi, dit Osselin, après le prononcé du jugement, que ne peux-tu scruter les cœurs de tes juges, tu les trouverais pénétrés. Marche à la mort avec courage; un sincère repentir est tout ce que la nation réclame.
D'Angremont ne fit qu'un pas du tribunal à l'échafaud. Pendant le trajet, le peuple le força d'ôter la redingote nationale dont il était revêtu. L'exécution eut lieu le soir de l'arrêt, le 21 août à dix heures, aux flambeaux sur la place du Carrousel, récemment baptisée place de la Réunion. Ce spectacle fut sinistre et menaçant. La foule était immense, mais muette. C'était la première fois qu'elle voyait appliquer la guillotine aux châtiments politiques; à partir de cette nuit-là, le couperet allait avoir une opinion. Le règne du bourreau était inauguré.
Afin de ne pas égarer notre reconnaissance, empressons-nous de dire que c'est à Manuel que nous devons une partie de ces dispositions sanguinaires. Après avoir installé le Tribunal criminel, il s'était empressé, le jour même, d'aller installer la guillotine en face des Tuileries.
Pendant trois jours, le peuple avait pu voir l'effrayante machine, debout, et attendant une victime. Lorsque la tête du pauvre Collenot d'Angremont fut tombée, le bourreau,—Charles-Henri Sanson, un homme de cinquante ans, grand, avec une physionomie souriante,—fit mine de vouloir démolir et remporter son échafaud. Mais ce n'était pas le compte de la Commune de Paris. Manuel, qui avait assisté à l'exécution, congédia le bourreau d'un signe; la guillotine fut déclarée en permanence, comme l'Assemblée nationale.
Manuel trouvait sans doute qu'elle remplaçait avec avantage,—en tant que monument,—les statues dont il avait, quelques jours auparavant, ordonné la destruction.
Cet acte avait, par malheur, une autre signification, plus atroce, plus calculée. La guillotine en permanence, cela voulait dire aux membres du Tribunal:—On compte sur vous!
Ce Collenot est sans doute le même dont il est parlé dans le tome XXIII des Mémoires secrets: «27 juin 1783. Tout devient ressource et moyen de fortune entre les mains d'un intrigant. C'est ainsi qu'un aventurier, nommé Collenot, fils d'un bourreau, après avoir été recruteur, s'est transformé en homme de lettres, en instituteur de la jeunesse, et, profitant de l'engouement général pour les Musées, a tenté d'en établir un; puis, ne pouvant réussir, a voulu s'associer à celui de Paris, dans l'espoir de s'y pousser au premier rang par ses cabales, et de faire plus facilement des dupes. Il a d'abord été soutenu dans ce projet par l'abbé Cordier de Saint-Firmin; mais cet honnête agent ayant reconnu l'indignité du candidat, bien loin de travailler à son admission, s'est efforcé de lui ôter toute envie de réussir en le démasquant aux yeux de ses confrères. Le sieur Collenot, furieux, a soutenu que c'était une diffamation, et a traduit en justice et au criminel l'abbé Cordier de Saint-Firmin, etc., etc.» (Voir pages 31, 32, 33.)