Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire
VI.
ENCORE VILAIN D'AUBIGNI.—PROCÈS DE
M. DE MONTMORIN.—MURMURES DU
PEUPLE.
Rentrés au Palais-de-Justice, les membres du Tribunal apprirent que Vilain d'Aubigni, ayant eu l'impudence de se montrer à Paris, en plein jour, avait été arrêté et conduit immédiatement à la Force. Nous reverrons plusieurs fois ce misérable, et toujours il se présentera à nous chargé du poids de quelque nouvelle inculpation de vol.
L'instruction du procès de M. de Montmorin, parent du ministre de ce nom, commença le 28 et se termina le 31. M. de Montmorin, comme les autres, était accusé d'avoir coopéré à la conjuration du 10 août; on avait trouvé dans ses papiers un plan écrit entièrement de sa main. Il parut devant la première section du Tribunal, présidée par Osselin, et détourna avec une habileté extrême la plupart des charges qui pesaient sur lui. C'était un homme de cour et un homme d'esprit. Il avait aussi beaucoup de fortune, ce qui, d'après les bruits qui coururent, ne fut pas tout-à-fait indifférent à quelques juges.
Il importe, en effet, que l'on sache que la corruption ne resta pas étrangère à ce procès, afin d'expliquer l'étrange indulgence dont se sentit soudainement atteint le Tribunal pour un ci-devant aussi prononcé que M. de Montmorin. On a parlé de dix mille livres en or comptées à Pepin-Dégrouhette. Le commissaire national Bottot,—ceci est plus évident,—fut arrêté quelques jours après «sous la prévention d'avoir influencé et provoqué le jugement qui a acquitté le sieur Montmorin.»
Les termes de ce jugement sont dérisoires et trahissent l'embarras des fripons qui le rédigèrent: «Louis-Victoire-Hippolyte-Luce de Montmorin, natif de Fontainebleau, âgé d'environ trente ans, prévenu d'avoir écrit un projet de contre-révolution dont l'effet a éclaté le 10 août, convaincu d'en être l'auteur, mais de ne pas l'avoir fait méchamment et à dessein de nuire, est acquitté de l'accusation portée contre lui, avec ordre d'être mis sur-le-champ en liberté, et son écrou rayé de tous les registres où il se trouverait.»
Pouvait-on montrer plus d'effronterie et de sottise! Convaincu d'avoir conspiré, mais de ne pas l'avoir fait méchamment et à dessein de nuire!…
Cet arrêt fut rendu dans la nuit du 31 août.
Le peuple, qui n'avait pas reçu d'argent, lui, ne comprit pas la conduite du Tribunal, et fit entendre de violents murmures.
—Vous l'acquittez aujourd'hui, s'écria un citoyen, et dans quinze jours il nous fera égorger!
—Oui! oui!
—A mort le Montmorin! à mort!
L'indignation était à son comble, et il en fût résulté de funestes effets, si Osselin, prenant la parole, n'eût fait valoir l'empire des lois. Il rétablit à peu près le calme en déclarant qu'il se chargeait de conduire lui-même M. de Montmorin dans les prisons de la Conciergerie et de le faire écrouer de nouveau, au nom du peuple, en attendant qu'on vérifiât son procès.
A cette condition seulement, le peuple consentait à se retirer.
Mais le coup était frappé, et, à partir de ce jour, le tribunal du 17 août ne fit plus que déchoir dans l'opinion publique.
Un motif qui avait contribué puissamment à l'irritation du peuple, c'est qu'au moment où l'on déchargeait M. de Montmorin de toute inculpation, le bruit se répandait dans l'auditoire de l'évasion du prince de Poix, évasion favorisée, disait-on, moyennant une forte somme, par les soins de Marat et de Sergent.
Pareillement, à la même heure, Manuel recevait de Beaumarchais une rançon de trente mille livres, et celui-ci sortait de l'Abbaye, où il avait été enfermé depuis quelques jours.
Ainsi, de tous côtés, l'or domptait les républicains, relâchait leurs principes, suspendait leurs haines. Quelques millions de plus, et l'on aurait eu raison de la Terreur! Mais la France n'était pas assez riche pour se racheter du fer des assassins.