Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire
NOTES
DOCUMENTS JUSTIFICATIFS ET ERRATA.
Introduction. Page 6. Cazotte et Sombreuil, ces deux pères que leurs filles n'ont pu sauver qu'une fois. Ce n'est pas sur la place de la Révolution, c'est sur la place de la Réunion (du Carrousel) que Cazotte a été exécuté. Le désir de grouper les victimes les plus fameuses dans ce tableau-vision m'a fait commettre volontairement cette erreur, qui n'existe pas du reste dans le récit circonstancié que j'ai fait de la mort de Cazotte. Voir page 236 et suivantes.
Page 10. Les Révolutionnaires de maintenant semblent vouloir imiter les Révolutionnaires de jadis. Cette introduction et une partie de l'Histoire du Tribunal révolutionnaire ont été écrites et imprimées avant le 2 décembre 1851. Destiné à se produire dans des circonstances difficiles, ce livre se ressent peut-être, en de certains passages, de la passion alors courageuse qui l'a inspiré.
Page 16. Une brochure très curieuse parue l'an dernier à Arras. C'est une Notice sur la vie et les écrits de Robespierre, par M. J. Lodieu, ancien sous-commissaire national en 1848.
Page 52. Théophile Mandar est mort à Paris, le 2 mai 1823. Il avait été revêtu, en 1793, du titre de commissaire national du Conseil exécutif de la République française. La Convention lui accorda une gratification de 1,500 francs. Malgré son exaltation, cet homme n'était pas entièrement dépourvu de bon sens et d'humanité. On trouve à la suite de son poëme en prose intitulé le Génie des siècles, un discours prononcé en septembre 1792 contre les journées des 2, 3 et 4.
Théophile Mandar a laissé en manuscrit deux ouvrages: la Gloire et son Frère, et le Phare des Rois, poëme en seize chants; c'est dans le Phare des Rois que se trouve le chant du Crime, qui en fit défendre l'impression en 1809. M. A. Maliol parle ainsi de cet ouvrage: «Quelqu'un qui en a entendu lire des fragments, assure qu'on y remarque parfois des pensées fortes, exprimées avec concision, mais qu'on y trouve aussi de l'incohérence et des incorrections fréquentes. On prétend que Napoléon, ayant lu des passages de ce poëme, désira voir l'auteur et finit par lui témoigner qu'il ne reconnaissait pas en lui l'homme du manuscrit.» Cela n'aurait guère été poli de la part de Napoléon.
En 1814, l'empereur Alexandre, qui alors accueillait volontiers les hommes que leurs opinions libérales avait rendus ennemis du gouvernement napoléonien, permit que l'auteur du Phare des Rois lui fût présenté.
Sur la fin de ses jours, Théophile Mandar était tombé dans l'indigence.
Je trouve dans un pamphlet, publié en l'an VIII et attribué à Rosny (de Versailles) ce portrait assez dur: «Voilà un de ces hommes qui ont le plus à se plaindre de l'ingratitude de leur siècle; de ces aigles qui, tandis qu'ils planent dans les nues, ne songent pas que leur pourpoint est troué, que leurs souliers sont déchirés, leur chemise sale, que leur femme souffre et que leurs enfants meurent de faim. Théophile Mandar fut un des trois premiers membres du Comité religieux, un des trois fondateurs de la secte théo-philanthropique, avec les citoyens Haüy et Chemin le libraire. Ce fervent apôtre d'une religion naturelle et tolérante a donné la Théorie des insurrections, ouvrage qui, dans les circonstances où il a paru (1793), eût pu faire beaucoup de mal, s'il eût été aperçu et si les insurrecteurs savaient lire. Joignons à cet ouvrage le Lendemain des Conquêtes et de la Souveraineté du Peuple.» Ce dernier ouvrage n'est qu'une traduction de l'anglais.
Page 57. Vous nous avez promis justice, vous nous la rendrez. Une autre version vient s'ajouter à celle du Patriote Français et à celle du Moniteur. Suivant l'Auditeur national (numéro du samedi, 18 août, page 4), l'orateur aurait dit, en s'adressant à l'Assemblée: «Vous étiez assis quand le peuple était debout, et il semble que vous vous soyez bornés à considérer son attitude. Ressouvenez-vous de cette vérité: quand l'écolier est plus grand que le maître, tant pis pour le maître!»
Page 58. Les costumes des membres du Tribunal seront les mêmes que ceux des autres membres des Tribunaux. C'est ce costume à la général sur lequel s'égaie Fournel dans son Histoire du Barreau de Paris pendant la Révolution, et dont s'étaient tant moqués les Actes des Apôtres, deux ans auparavant. Les juges avaient un grand chapeau à panache, ce qui donna lieu aux vers suivants:
(Actes des Apôtres, t. 16, p. 81, édit. in-12.)
Page 73. Ce Mathieu ne fit que passer à travers le Tribunal; au bout de quelques séances on ne retrouve plus son nom. Il y a ici une erreur. Nous reverrons M. Mathieu plusieurs fois, et surtout dans les dernières séances de novembre.
Page 74. Quelques extraits de l'Histoire du Tribunal révolutionnaire ayant paru dans les journaux, il m'est arrivé une réclamation de M. Maton de la Varenne, fils de l'historien de ce nom. M. Maton de la Varenne redoutant pour la mémoire de son père les interprétations que l'on pouvait faire de cette qualification d'avocat des voleurs, je me suis empressé de déclarer à M. de la Varenne, dont je comprenais les justes susceptibilités, que j'avais voulu simplement désigner par cette expression un de nos plus excellents criminalistes, honnête homme au premier degré et auteur d'écrits anti-révolutionnaires fort estimés, fort consultés surtout.
Cette circonstance m'a mis à même d'apprendre que M. Maton de la Varenne père a laissé de précieux et volumineux manuscrits. L'Histoire particulière des événements qui se sont passés dans l'année 1792, etc., ne serait qu'un fragment échappé à cette collection. La Bibliothèque royale est impardonnable de ne pas avoir acquis depuis longtemps ces pièces importantes, amassées par le courageux avocat au péril de ses jours, et dont la plupart comblent bien des lacunes indiquées par Deschiens.
Page 78. Des deux frères de Coffinhal, l'un devint procureur du roi; l'autre fut fait baron de l'Empire, maître des requêtes et conseiller à la Cour de cassation. Louis XVIII l'autorisa à ne porter que le nom de M. le baron Dunoyer.
Page 89. Il faut remarquer, en passant, que les mots les plus caractéristiques de la Révolution partent tous de Collot-d'Herbois. Je m'occupe depuis longtemps d'une étude assez vaste sur ce personnage.
Page 92. La demande fut renvoyée à la Commission et convertie en décret. Voici la teneur de ce décret, proposé par Hérault et adopté immédiatement:
«1o L'accusé aura pendant douze heures seulement en communication la liste des témoins.
»2o L'interrogatoire secret est supprimé; l'accusé paraîtra seulement devant le président, ou le juge commis par lui, en présence de l'accusateur public et du greffier, pour déclarer s'il a fait choix d'un conseil ou en recevoir un d'office.
»3o L'accusé conférera avec son conseil à l'instant même où il aura été entendu.
»4o La loi relative aux récusations motivées ou non motivées aura lieu dans son intégrité; mais les récusations ne pourront avoir lieu que dans le délai de trois heures.
»5o Les membres du jury qui ont fait leur service dans une affaire, ne pourront être employés dans la suivante; leurs noms ne seront placés dans l'urne que pour le tirage subséquent.
»6o Le délai de trois jours entre le jugement et l'exécution n'étant accordé que pour donner le temps au condamné de se pourvoir en cassation, et cette faculté étant supprimée par la loi du 17 août, le délai entre le jugement et l'exécution n'aura pas lieu.»
En outre, le surlendemain, et sur la demande du Tribunal, le Conseil général de la Commune décida que les défenseurs officieux des criminels de lèse-nation ne pourraient être admis qu'avec un certificat de probité délivré par leur section, et que les conférences entre l'accusé et le défenseur seraient publiques.—De quoi se mêlait le Conseil général de la Commune?
Cet arrêté fut affiché et envoyé aux prisonniers.
Page 121. La guillotine fut déclarée en permanence. Cependant on retirait le couteau tous les soirs.
Page 150. A l'Assemblée nationale, des citoyens vinrent réclamer contre le jugement qui acquittait M. de Montmorin. Ils furent renvoyés au ministre de la justice. «Ils se rendirent chez lui, raconte le Courrier des 85 départements; M. Danton leur remit un ordre provisoire pour ne point relaxer M. de Montmorin; munis de cette pièce, ils revinrent au greffe. Enfin, un d'eux, dont on ne peut faire trop l'éloge, est monté sur un banc dans le couloir du Tribunal; il a rendu compte à ses concitoyens de ce qui avait été fait, et après avoir lu la note du ministre de la justice dont ils connaissaient le patriotisme, il les a invités, au milieu des plus vifs applaudissements, à attendre dans le calme une décision légale. Son vœu a obtenu le succès qu'il méritait.» (Tome XII, page 8.)
Quoi qu'il en soit, le lendemain encore, le peuple n'était pas bien remis de son émotion: il se porta à la Conciergerie, et parut croire à une évasion de M. de Montmorin. Il fallut que des commissaires, autorisés par le Tribunal, vinssent rassurer la foule, pour qu'elle se retirât paisiblement. C'était le 1er septembre.
Page 160. Voir à la fin du volume le récit de l'accusation Réal. (Note au bas de la page.) D'abord, c'est l'accusateur et non l'accusation qu'il faut lire.
En 1795, Réal fit paraître un journal qu'il intitula: Journal de l'opposition; le deuxième numéro contient un long article à propos de l'organisation du Tribunal révolutionnaire. Sur la question des délibérations à haute voix, il cite les faits relatifs au procès de Backmann:
«J'étais accusateur public au Tribunal du 17 août; c'est le premier Tribunal révolutionnaire qui ait été établi. Le 2 septembre 1792, excidat! j'étais sur le siége; Mathieu présidait. Le Tribunal jugeait Backmann, major des Suisses. L'instruction durait depuis trois jours et deux nuits. Un coup de canon fait tressaillir tout l'auditoire: c'était le canon d'alarme. Nous continuons tranquillement l'instruction. Elle était terminée; les jurés se rendaient dans la chambre des délibérations, lorsque des cris affreux, etc., etc.
»Backmann se réfugie au fond de la salle; nous le couvrons de nos corps. Nous voulons parler à ces furieux; c'est en vain que nous approchons d'eux; les cris: «A bas!» nous empêchent d'entendre. Nous remontons avec précipitation sur nos siéges; là, debout, couverts, la main tendue, nous renouvelons le serment de mourir à notre poste. Ce mouvement, cette action nous obtiennent le silence de l'étonnement; nous en profitons pour faire entendre à ces furieux que les jurés délibèrent dans ce moment sur le sort de l'accusé, qu'ils doivent attendre avec respect leur décision, et que dans tous les cas, nous périrons plutôt que de souffrir qu'il soit fait la moindre violence à l'accusé. Chose étrange! on nous écoute…
»Les jurés disent qu'ils sont prêts à donner leur déclaration. Ils sont obligés d'aller aux voix en présence les uns des autres, dans la salle des délibérations qui restait libre. Déjà une boule blanche était en faveur de l'accusé; trois sur douze pouvaient l'acquitter. Un autre juré se présente, et, après avoir déclaré le fait constant, saisit une boule blanche pour prononcer sur la question intentionnelle. Quelques-uns des jures frémissent.—Que faites-vous? lui dit-on; quand même un troisième juré serait de votre avis, vous ne sauveriez pas l'accusé; il serait mis en pièces, et vous feriez égorger avec lui les juges et les jurés!
«Les réflexions, les bruits affreux qu'on répandait, les hurlements qu'on entendait, le firent hésiter un instant; mais bientôt:—Je n'ai qu'une conscience, dit-il, et je sais mourir. Puis, après avoir mis la boule blanche:—S'il s'en trouve un troisième, ajouta-t-il avec émotion, soyez tranquilles, j'irai déclarer au peuple que c'est moi qui ai sauvé l'accusé!
»J'aurais bien quelque envie de dire ici comment le Tribunal empêcha les septembriseurs de sabrer le condamné; comment Backmann remerciait bien naïvement, bien sincèrement le Tribunal de ce qu'il le faisait guillotiner; mais tout cela me mènerait trop loin.»
Page 179. Le lendemain des massacres de Septembre, on écrivit sur la porte de l'Abbaye la strophe suivante:
L'auteur de ces vers était un pauvre cordonnier, nommé François.
(Arabesques populaires. Paris, 1832.)
Page 171. J'avoue que j'hésite à adopter cette version monstrueuse. Une lettre, datée de Saint-Germain et signée de M. le baron de Saint-Pregnan, insiste sur la triste épisode du verre de sang bu par Mlle de Sombreuil, épisode que pour l'honneur de l'humanité j'avais essayé de révoquer en doute. M. de Saint-Pregnan a eu l'obligeance de me transmettre sur cette horrible scène des détails qui devront faire autorité. «Vous semblez douter, écrit M. de Saint-Pregnan, que Mlle de Sombreuil ait bu du sang, au 2 septembre, pour racheter la vie de son digne père des mains des bourreaux. J'ai beaucoup connu Mlle de Sombreuil, alors qu'elle était mariée à M. le comte de Villelume. Après le baptême du duc de Bordeaux où j'étais député, je partis avec elle pour Avignon, où M. de Villelume commandait l'Hôtel des Invalides; au moment où nous changions de chevaux dans une petite ville de Bourgogne, le sous-préfet du lieu se présente à notre voiture, et, après le compliment d'usage, il offre à Mme de Villelume, qu'il connaissait, trois ou quatre bouteilles de vin blanc. A peine en route, je lui fais cette demande:—Pourquoi ne vous a-t-on offert que du vin blanc dans un pays où le vin rouge est si bon?—C'est, me répondit-elle, parce que quand je fus forcée de boire du sang pour sauver mon père, il était mêlé avec du vin rouge, et que depuis lors je ne puis en boire.—Cette réponse me parut si simple qu'il ne fut plus question de ce fait le reste du voyage, ni dans aucune occasion pendant que j'ai été de la société habituelle de Mme la comtesse de Villelume-Sombreuil.»
Le respectable signataire de cette lettre, qui fixe un point historique jusqu'à présent incertain, a été maire d'Avignon sous l'Empire, sous la Restauration et sous Louis-Philippe. Il en remplissait encore les fonctions en 1835.
La poésie a célébré sous plusieurs formes le dévouement de Mlle de Sombreuil.—Citons un beau vers de Legouvé:
Mais soit qu'il ne crût point au verre de sang, soit qu'il désespérât de rendre une pareille image en termes supportables, Legouvé se tait sur cette circonstance.—Dans ses premières odes, M. Victor Hugo n'a pas reculé devant cette difficulté:
Rendue à la liberté après le 9 thermidor, Mlle de Sombreuil reçut de la Convention nationale un faible secours de mille francs. Plus tard, elle quitta la France et épousa à l'étranger M. le comte de Villelume à qui sa main avait été promise par son père. Mme de Villelume-Sombreuil a terminé ses jours à Avignon, en 1823, laissant un fils capitaine dans les chasseurs de la garde.
Page 238. Au nombre des lettres que j'ai reçues et qui me sont précieuses à plusieurs titres, j'en dois mentionner une de M. Cazotte fils. Cette lettre se termine par ces mots:
«En conservant au vénérable Cazotte et à son héroïque fille leur touchant caractère, M. Monselet s'est acquis des droits à la gratitude du fils aîné de Jacques et des enfants dont sa vieillesse est entourée. Signé: Jacques-Scévole Cazotte, rue du Cherche-Midi, 44.»
De tels témoignages sont la meilleure récompense de l'écrivain, auquel ils apportent la confirmation d'un travail accompli avec conscience; et c'est pour lui un grand bonheur que de se voir rendre par les fils la sympathie qu'il a vouée aux pères.
IMPRIMERIE CENTRALE DE NAPOLÉON CHAIX ET Cie, RUE BERGÈRE, 20.