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Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire

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III.
DÉCADENCE DU TRIBUNAL.—IL CHERCHE A SE JUSTIFIER.

Vers cette époque, le tribunal commença à baisser ostensiblement dans l'opinion publique. Il avait été trouvé trop doux avant les journées de septembre; il fut trouvé trop cruel après. Dans la séance du 26 octobre, un membre de la Convention nationale, dont le nom est en blanc au Moniteur, demanda hardiment la suppression du Tribunal du 17 août, qu'il qualifia de tribunal de sang, en se fondant sur ce que les juges avaient récemment condamné à mort une femme prévenue de complicité dans l'affaire du Garde-Meuble, bien que le Code pénal ne portât pas cette peine pour les vols et les recels. La proposition fut ajournée au lendemain; mais le lendemain, le Tribunal criminel se rendit en corps à la barre de la Convention, où il s'exprima de la sorte, par la bouche de son président Mathieu:

—Le Tribunal criminel a eu connaissance de la proposition qui a été faite hier à son égard; ce n'est point la suppression qui l'affecte, car il sait que les causes qui ont déterminé sa création n'existant plus, la Convention pourrait l'ordonner; mais ce sont les motifs qui ont appuyé cette demande.

On interrompit M. Mathieu, et plusieurs membres réclamèrent l'ordre du jour, qui fut adopté. M. Mathieu ne se découragea pas; il revint le 28 et réitéra ses plaintes, auxquelles le président de la Convention répondit par ces mots:

—Le plus grand malheur dont puissent être accablés les hommes chargés de prononcer sur la vie de leurs semblables, est sans doute le soupçon d'arbitraire et de prévarication. La Convention examinera votre pétition. En attendant, elle vous accorde les honneurs de la séance.

Les honneurs de la séance étaient devenus chose bien banale et bien insignifiante.

—Cependant, objecta Lanjuinais, il ne me paraît pas que le Tribunal ait répondu à l'inculpation qui lui a été faite par un de nos collègues d'avoir condamné à mort pour recèlement.

Ces insinuations ébranlèrent beaucoup le crédit du Tribunal. Mal écouté à la Convention, il porta ses récriminations au club des Jacobins. Lullier fut l'orateur.

—Citoyens, dit-il, depuis longtemps le zèle du Tribunal criminel déplaît à une espèce d'hommes ennemis de la république; depuis longtemps on le calomnie; on l'a traité de tribunal de sang. Ce matin, nous nous sommes encore présentés à la Convention; je ne sais par quelle fatalité le président a pu se méprendre, mais il est aussi scélérat que celui qui nous a calomniés hier! Il a dit à la Convention:—«Le Tribunal criminel, inquiet sur sa position et craignant d'être destitué, propose d'être entendu.» On voit toute la perfidie de ces expressions. Le Tribunal ne sollicite pas sa conservation; mais il veut, en descendant du siége, rester et paraître aussi pur que lorsqu'il y est monté par le vœu du peuple» (Applaudissements).

Néanmoins, les hommes du 17 août avaient reçu un coup dont ils ne devaient pas se relever. Après avoir inutilement fatigué la Convention, ils publièrent des mémoires qu'ils répandirent à foison dans le public. Les membres du jury d'accusation se justifièrent, en particulier, dans une brochure de seize pages, devenue excessivement rare, et que nous avons pu nous procurer. «Le Tribunal du 17 août, disent-ils dans cette brochure, n'a calculé ni ses dangers, ni la courte durée de son existence; il n'a vu que les droits du peuple et les moyens de maintenir sa liberté par des exemples de juste sévérité. Il a fait ce qu'il a pu, il l'a fait avec un zèle aussi infatigable que désintéressé. Quoi qu'on puisse dire contre le Tribunal du 17 août, on ne lui enlèvera pas le mérite d'avoir calmé Paris (c'est une prétention singulière!), vengé les atteintes portées à la liberté, et d'y avoir employé tous les moments de chaque jour et une grande partie des nuits. Il s'est tellement livré à cette partie du service public, qu'il serait impossible aux plus fortes santés de soutenir plus d'un petit nombre d'années le pénible effort d'un pareil travail.»

Une des autres objections dont on se servait pour attaquer le Tribunal, c'était, ainsi que nous l'avons vu, d'avoir prononcé la peine de mort contre les principaux voleurs du Garde-Meuble. La réponse est insuffisante et embarrassée: «On se plaint de ce que le Tribunal a condamné à la mort des hommes contre lesquels la loi ne prononce que vingt ans de fers; le tribunal a dû regarder les voleurs du Garde-Meuble comme des instruments de conspiration; il a dû penser que les ennemis de notre Révolution avaient convoité cette ressource pour les soulager dans leur détresse. Ils ont vu, en outre, dans l'attroupement de ces voleurs et de leurs complices, réunis en forme de patrouille armée et en uniforme, avec le mot d'ordre de la garde nationale, une circonstance tellement aggravante, qu'elle a nécessairement changé la nature du délit. Ces caractères de conspiration et d'usurpation de la force publique ont dû déterminer l'application d'une peine au-dessus de celle du vol fait avec effraction. Nous étions au centre des mouvements de la plus grande révolution que nous ayons faite; il fallait proportionner les peines aux circonstances dont nous étions environnés, et au besoin que nous avions de remonter aux causes de ce vol, si extraordinaire, que l'on disait qu'il devait être suivi du vol du Trésor national et de l'enlèvement des bijoux, vases et effets précieux des églises de Reims et Saint-Denis.»


Au fond, le Tribunal a été dans ce procès plus sévère qu'il ne fallait l'être. Il se disculpe mal et cherche à s'appuyer sur la raison politique, qui ne le regardait pas. Il n'est pas mieux inspiré lorsqu'il s'excuse de s'être attribué la police correctionnelle. «Personne ne s'en occupait, dit-il; où donc est la prévarication à avoir fait ce dont personne ne voulait se charger, et à l'avoir fait non-seulement d'une manière irréprochable, mais encore avec un esprit de justice et d'intérêt public digne d'un meilleur traitement?» Voilà des arguments au moins bizarres.

Cette brochure est signée: Loyseau, Fouquier-Tinville, Dobsen, Caillère de Létang, Crevel, Lebois, Guillaume Sermaize, ci-devant Leroi[12] et Perdrix.

[12] Leroi,—le marquis de Montflabert,—Dix août—et Guillaume Sermaize ne sont qu'une même personne et qu'un seul coquin. Après la suppression du Tribunal, et le 2 décembre, lorsque la Municipalité du 10 août fut remplacée par une autre sous le nom de Municipalité provisoire, Sermaize fit partie des nouveaux commissaires chargés de surveiller ou plutôt de tyranniser les augustes prisonniers du Temple. Il s'acquitta de cet emploi à la satisfaction des sans-culottes. Entre autres devoirs, il mit scrupuleusement à exécution l'arrêté de la Commune qui ordonnait d'enlever à Louis XVI tous les instruments tranchants qui se trouveraient en sa possession. Après une première perquisition opérée par ses collègues, Sermaize voulut en opérer lui-même une seconde, plus minutieuse: il se fit conduire dans l'appartement de Sa Majesté. Le roi était assis près de la cheminée, les pincettes à la main; Sermaize lui demanda, de la part du Conseil, à voir ce qui restait dans son nécessaire; le roi le tira de sa poche et l'ouvrit: il y avait un tournevis, un tire-bourre et un petit briquet. Sermaize se les fit remettre.—«Et ces pincettes que je tiens en main, ne sont-elles pas aussi un instrument tranchant?» lui dit le roi en lui tournant le dos.

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