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Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire

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IV.
PREMIER ACQUITTEMENT.

Un juge avait manqué au procès de De Rozoy. Vilain d'Aubigni, qu'une dénonciation récente venait de signaler comme un des dilapidateurs du Garde-Meuble, s'était dérobé par la fuite à la clameur publique. Il fut remplacé par le nommé Jaillant.

Après avoir fait tomber trois têtes, le Tribunal crut avoir acquis le droit de déployer un peu d'humanité. Le premier coquin qui lui fut amené, il l'acquitta.

Ce coquin était le sieur d'Ossonville, qui cumulait les fonctions de limonadier avec celles d'officier de paix de la section de Bonne-Nouvelle. Accusé de complicité avec Collenot d'Angremont, sur les listes duquel son nom se trouvait inscrit en première ligne, et prévenu d'enrôlements contre-révolutionnaires, il comparut le 26. Sa défense fut marquée au sceau de la bassesse et de la duplicité. Il convint qu'effectivement il avait eu communication verbale du plan de d'Angremont, et qu'il l'avait cru d'abord utile au bien public, parce qu'il pensait que ce plan émanait du maire et de la municipalité; mais que, détrompé plus tard, il avait feint, en sa qualité d'officier de paix, d'être tout entier à d'Angremont pour mieux pénétrer ses projets.

—Mon intention, dit-il, n'était point de le servir réellement, mais bien d'obtenir sa confiance par des services apparents, afin de me rendre son dénonciateur.

En présence d'un pareil drôle, les juges se trouvèrent à leur aise; ils commençaient à se lasser de ne voir, depuis quelques jours, que des hommes ouverts, distingués et justes. Ils se montrèrent remplis de prévenance pour cet espion de bas étage, ils l'écoutèrent avec bonté, l'approuvèrent en de certains moments, et l'excusèrent dans d'autres. Evidemment il y avait eu méprise dans son arrestation; sa place n'était pas parmi ceux dont on voulait se débarrasser,—l'erreur était grossière, palpable!

On l'acquitta avec empressement.

Ce fut, à cette occasion, une fête dans l'auditoire et sur les bancs des jurés. Le peuple se livra à d'enthousiastes démonstrations, et si ce n'eût été l'heure avancée,—il était trois heures du matin,—on aurait certainement promené d'Ossonville en triomphe dans les rues de Paris.

La République utilisa plus tard les petits talents de cet honnête citoyen; il devint agent secret du comité de sûreté générale, et se fit remarquer par d'importantes captures; il arrêta un peu tout le monde, ses protecteurs comme ses ennemis: il mit la main sur le collet d'Henriot, de Villate, de Babeuf, d'Amar, etc., jusqu'au jour où il fut lui-même arrêté et incarcéré dans la prison qui lui convenait le mieux—à la Bourbe.

D'Ossonville s'est toujours montré fier du lustre éclatant répandu sur son innocence par le Tribunal criminel. Dans un mémoire justificatif, adressé à ses concitoyens et publié dans l'an IV, il évoque avec orgueil ce souvenir: «Comme officier de paix au 10 août, écrit-il, j'ai été traduit devant le tribunal institué à cette époque pour juger les faits relatifs à cette journée; j'ai été acquitté aux acclamations du peuple, et certes ce TRIBUNAL EN VALANT BIEN UN AUTRE![8]»

[8] D'Ossonville à ses concitoyens, en réponse aux mille et une calomnies débitées et imprimées contre lui. Imprimerie de Laurent aîné, rue d'Argenteuil, 211.

On nous permettra de ne pas être entièrement de l'avis de M. l'agent secret.

Du reste, d'Ossonville n'avait guère de motifs de se vanter de son acquittement. Le premier enthousiasme évaporé, il y eut une sorte de réaction contre lui, ce qui ne surprendra personne. Il avait semé la délation, il ne récolta que le mépris. Deux mois après son procès, quelques honnêtes gens—il y en avait encore—demandèrent son renvoi de la section Bonne-Nouvelle, alléguant qu'il affectait de se montrer dans son café pour braver les patriotes. Après une longue et mûre discussion en assemblée générale, on arrêta à l'unanimité que d'Ossonville et sa famille seraient tenus sous huit jours de sortir de la section, «afin d'éviter les malheurs qui pourraient résulter de son odieuse conduite.» Tels sont les termes du procès-verbal.

Sénart, autre agent secret du Comité de sûreté générale, a consacré dans ses Mémoires posthumes un long panégyrique à Jean-Baptiste d'Ossonville. Ce petit service de confrère à confrère paraîtra tout naturel lorsqu'on saura que d'Ossonville avait été investi, par testament, de la propriété des Mémoires de Sénart. Il les vendit, en 1823, à M. Alexis Dumesnil, qui les publia l'année suivante.

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