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Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire

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II.
INSTALLATION AU PALAIS-DE-JUSTICE.

L'installation du Tribunal criminel du dix-sept août—ainsi fut-il nommé du jour de sa création—se fit au Palais-de-Justice, dans la grand'chambre du parlement, au milieu d'une foule assez considérable, que l'on avait, la veille, prévenue et convoquée. Le grand escalier était principalement couvert de ces agitateurs à gages, que nous retrouverons partout dans le courant de cette histoire, au pied de l'échafaud comme sur les degrés de l'autel de l'Etre-Suprême, dans les tribunes de la Convention et dans la nef souillée de Notre-Dame,—éternel ramas de ces hommes perdus de dettes et de crimes, dont parle Corneille, qui poussent au char de toute révolution. Dans l'affreuse langue d'alors, on appelait cette multitude: la huaille. Son patriotisme ne se manifestait, en effet, que par des huées; son enthousiasme procédait par vociférations. Elle se croyait le peuple, comme se croit l'eau la vase qui monte des étangs battus.

On voulait donner et l'on donna une certaine pompe à cette cérémonie; on emprunta même des formes antiques. Chaque membre du Tribunal fut tenu de monter sur une espèce d'estrade, et là, de proférer ces mots, en s'adressant à la foule:—Peuple! je suis un tel, de telle section, demeurant dans telle section, exerçant telle profession; avez-vous quelque reproche à me faire? Jugez-moi avant que j'aie le droit de juger les autres.

Après une minute d'attente, si personne n'élevait la voix, il descendait et faisait place à un autre.

Il n'y eut de réclamation contre aucun membre.

Etait-ce donc à dire que tous ces hommes fussent également purs, également honorables? Leur passé était-il si complétement à l'abri de tout reproche? Quoi! pas une objection, pas une observation partie du sein de cet auditoire? Qui le stupéfiait de la sorte? Ah! c'était sans doute l'impudence de quelques-uns de ces jurés, qui, banqueroutiers, voleurs, intrigants, osaient faire retentir dans l'enceinte de la justice leur nom flétri par la loi et dire en face au peuple:—Jugez-moi avant que je juge les autres!

Eh bien! ce que le peuple égaré ou tremblant n'eut pas le courage de faire, nous le ferons, nous, et nous arracherons leur masque à ces magistrats de hasard; nous dirons leurs titres à l'estime et au respect; nous les ferons descendre, couverts de honte, de l'estrade où l'audace les a hissés!

Cette première formalité accomplie, les juges, les jurés, les accusateurs publics prêtèrent, en présence des représentants de la Commune, le serment d'être fidèles à la nation et de maintenir l'exécution des lois ou de mourir à leur poste.

A leur tour, les juges reçurent le même serment des commissaires nationaux et des greffiers.

Puis, on se mit à l'œuvre.

Les accusés ne manquaient pas, il n'y avait qu'à choisir. Les cachots regorgeaient, grâce aux visites domiciliaires, aux mandats d'arrêt du Comité de surveillance et aux dénonciations particulières. Des princes, des princesses, des journalistes, des ouvriers, des prêtres, des militaires! La moisson promettait d'être grasse, elle le fut.

Lorsqu'on eut employé la plus grande partie de la journée à des dispositions générales[3] indispensables, on convint d'instruire l'affaire de M. Collenot d'Angremont, convaincu d'embauchage pour le compte de Louis XVI.

[3] «Le jury spécial d'accusation désirant apporter à ses opérations toute la célérité dont ses fonctions se trouvent susceptibles, a nommé pour demander en son nom dans les bureaux de la mairie et dans ceux de la maison-commune tous les papiers et pièces dont il a besoin pour accélérer l'importante mission dont il est chargé, MM. Petit fils et Garnier. FAIT AU TRIBUNAL, SÉANCE TENANTE, l'an IVe de la liberté et Ier de l'égalité.» (Procès-verbaux de la Commune.)

Mais avant de suivre le Tribunal du 17 août dans ses premiers travaux, examinons, ainsi que nous l'avons promis, les antécédents des membres qui le composent;—et, avant qu'ils ne la rendent aux autres, rendons-leur à eux-mêmes la justice qui leur est due.

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