Jésus
CHAPITRE IX
1. — Dans ce temps-là, mon père mourut.
2. — Quand il s’est mis à mourir, il a demandé pourquoi. Des hommes, tout autour, simples comme des mères, ont répondu : pour rien.
3. — Il y eut un instant où il était là, puis un instant après où plus rien n’était là. Il y eut un instant incroyable où la chose du vide est entrée dans sa poitrine, où son œil a pris la fixité des lignes, et sa figure la blancheur du blanc. Vous voyez bien que l’immobilité des temps vient de changer de place pour commencer à ce lit.
4. — Je voudrais tant que tu fusses ce que tu n’es plus !
5. — Le lendemain de la mise au tombeau, ma mère me dit : Voici déjà le lendemain du jour où on l’a enfermé dans le tombeau, du jour où je suis devenue aveugle.
6. — Sa souffrance exhala un soupir, un cri de grand silence. Et nous avions une passion désespérée pour un homme.
7. — Cet homme qui était, à elle et à moi, le frère de nos entrailles.
8. — Et ce furent des fiançailles de nous et de lui.
9. — Car il y avait, au fond de nous, emprisonnées, la joie et l’illumination de sa vie, et la résonance de fête de sa voix, et on s’émerveillait de la moindre de ces choses. Et la figure du mort et ses lèvres, remuaient dans nos têtes.
10. — Lui le faible, l’ombre, je le tenais dans mon sein, je veillais sur lui, j’étais devenu le père de mon père.
11. — Et bien que tout fût en fleurs dans les jardins, où continuaient à s’accomplir les fruits, tout était en deuil.
12. — A cause de moi le survivant.
13. — Il n’était plus rien, au dehors, mais moi, j’étais une mort, et ma mère était une autre mort. La mort, c’est quelqu’un qui se retire de soi-même et qui vient dans vous. Il n’y a des morts que traînés dedans les vivants.
14. — C’est nous qui tuons les êtres et qui les ressuscitons.
15. — Et, sondant la mort, je dis : Ce n’est pas lui, c’est moi.
16. — Le soir, j’allai parmi le lieu triste des tombeaux, le cadavre des foules.
17. — O désolation des désolations !
18. — Et au sein du crépuscule pire qui se fit en ce lieu des sépultures, je vis deux orphelins, un jeune homme et une jeune fille, qui riaient parce qu’ils s’étaient trouvés là tous les deux, et ce couple naissant admirait à ses pieds le passé noir du monde. Toute cette multitude-chose qui sous terre avait changé de visage et n’avait plus d’yeux, ils s’en extasiaient, parce qu’ils se tenaient tous deux par la main.
19. — A cause de leur récompense intérieure.
20. — Ils s’appuyaient tous deux sur le même tombeau pâle, ossement extérieur de quelqu’un.
21. — Et cela qui porte malheur aux autres, leur portait bonheur à eux, puisqu’ils souriaient.
22. — Ces deux ombres chétives créaient la solitude à l’aide de l’univers.
23. — Ce fut le grand moment de ma vie que celui où assis sur une pierre, — et je voyais le grand arbre qui fait la tête du village et une étoile un peu au-dessus — je pensai à l’amour et à la mort, et je vis que cela ne se passe que dans chaque cœur.
24. — Et parmi l’espace noirci où remuaient un peu les gens, il se traça, pour moi seul, un trait de lumière.
25. — La vérité a un autre sens que celui qu’on croit.
26. — La vérité ne va pas de Dieu à nous, mais de nous à Dieu.
27. — Voilà la direction de la vérité.
28. — Et l’esprit vient d’en-bas.
29. — Il ne faut plus commencer par l’au-delà. Ce qui n’a pas commencé en nous, n’est pas. Nous ne tombons pas du ciel, nous qui nous levons.