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CHAPITRE XXVIII

1. — Sur le chemin de Damas, un jour, je rencontrai un homme, lequel me dit : Je suis Paul, ton disciple. Et j’ai parcouru le monde, moi qui suis parti un soir, chargé de ta parole, avec Simon, qui t’a trahi.

2. — Car les Zélotes sont des brigands.

3. — Ils volent et tuent pour régner, et ils ne régneront pas, et ils appelleront les persécutions et les captivités.

4. — Il me dit ensuite : Pourtant, les âges sont venus où la grande œuvre des Grecs et des Romains chancelle sur sa base.

5. — Car ce n’était qu’un semblant d’ordre, qui cache et légalise sur le dessus le désordre des choses et la souffrance des hommes.

6. — Mais un souffle, qui ressemble beaucoup au souffle juif, va pousser tous les hommes, comme un seul homme, contre cette fabrication grecque.

7. — Et ce souffle, c’est la vie.

8. — Et que peut la surface du monde contre la profondeur du monde ?

9. — Sache qu’il y a une nouvelle forme, que nous préparons, de la religion de nos pères.

10. — Et je te le dis, tu y es pour quelque chose.

11. — Je dis : Comment est-elle nouvelle ?

12. — Par l’avènement du Messie.

13. — Mais le Messie n’est pas venu.

14. — Et lui : S’il n’était pas venu, Israël se lasserait d’attendre et serait perdu, ou bien alors n’importe qui pourrait dire : Je suis le Messie, et ce serait aussi des trappes de perdition.

15. — Et puis, l’acte du Messie, c’est justement la substance de cette seconde loi qui nous a été révélée.

16. — Le Messie est venu, encore qu’il reviendra définitivement.

17. — Et voici ce que nous apercevons sur les cimes, nous les nouveaux :

18. — Le monde a été perdu et voué à la mort par le péché d’un seul : le premier Adam, mais voilà qu’il est sauvé et voué à la vie à partir de ces temps-ci par le sang d’un seul : le dernier Adam, envoyé exprès par Dieu.

19. — Or le premier Adam était l’homme extérieur, de chair, et le dernier Adam est l’homme intérieur, d’esprit.

20. — Et l’esprit est présentement tombé sur nous, les nouveaux, par le canal de la grâce, pour que nous annoncions cet évangile aux hommes, et, séparant en deux la destinée de leur corps et celle de leur âme, les éblouissions par la vie future et par la guérison de la mort, et disions que cet évangile abroge la loi du Temple, et que la foi en ceci remplace tout, même les observances, et même les œuvres.

21. — Et voici désormais la prison magnifique du Messie.

22. — Car nous avons connu que toi, et d’autres comme toi, avez parlé pour l’esprit et pour l’homme intérieur, et pour la justice et la vie, et pour les seuls pauvres, contre les pratiques, contre les riches, et les lois cadavériques, et que le peuple a entendu cela et vous aima partout où vous êtes passés, et que vous avez saisi le cœur du monde.

23. — (Et ainsi tu me tiras de moi-même et tu fus la cause, et la vie, ayant poussé le cri de la terre).

24. — Et que d’autre part, tout cela peut être déduit des promesses qui sont dans les Ecritures.

25. — C’est pourquoi tu seras avec nous, puisque le peuple t’aime, et a besoin de crier avec toi, et l’Eglise doit être posée à même le peuple, à vif.

26. — Mais moi : Vous avez mis de la sorte tout un appareil sur ce que j’ai dit.

27. — Et je n’en veux pas.

28. — Quand je dis l’esprit, c’est l’esprit, et non pas un objet de culte qui voltige par-dessus le front des hommes ; et la justice dans ma bouche c’est la justice et elle est pleine des choses, et ma vie n’est pas le rêve des morts, et je ne suis pas venu pour chasser la vie de la vie, et je ne suis pas venu pour faire saigner les tombeaux, et il n’y a pas de magie.

29. — C’est au contraire l’enlèvement des dogmes et des rituels, la nudité du vrai, et le devoir jailli du cœur comme du rocher, et le commencement par nous, que j’ai dits, et l’évangile de restitution que j’ai prêché, étant celui qui n’a pas de religion, et c’est là ma seule valeur, à moi qui aurai passé ici-bas.

30. — Il y a du nouveau, dit-il plus fort pour me répondre mieux. Nous avons mis la mort sous les pieds de Dieu, selon les psaumes. Nous avons réveillé toute la mort des hommes !

31. — Vous n’avez réveillé que le spectre des dormeurs. Moi j’aurai ressuscité les vivants.

32. — Il répondit alors : nous avons besoin de toi, pour la chair de notre jeune Bible, et pour mettre debout la loi.

33. — Il était chétif et enflammé, et semblait sortir de terre.

34. — Il était plein d’exclamations et d’éclairs, de morceaux cassés de Jérémie, d’Ezéchiel, et des Psaumes. Il parlait par coups de feu, et il exhalait un grand génie.

35. — Et il me parla afin de mettre au dedans de moi les prodiges qu’il voulait faire.

36. — Donc, la gerbe nouvelle est prête, disait-il.

37. — Il faut maintenant l’accomplir pour les siècles de siècles.

38. — Il est temps de sceller d’un nom propre toutes les vieilles prophéties.

39. — Il est temps de susciter le Dieu qui tuera l’avenir.

40. — Il faut qu’il soit en ressemblance d’homme puisque les prophètes l’ont annoncé tel.

41. — Je dis : comment quelqu’un peut-il être à la fois un dieu et un homme ?

42. — Si c’est un Dieu qui prend la forme corporelle et fait semblant d’être un passant, ce n’est qu’une tromperie d’homme.

43. — Car il n’y a d’humain que l’homme.

44. — Il dit : En prenant notre nature, Dieu nous fait prendre la sienne.

45. — Je répondis : non.

46. — Il répondit : Il faut. Il faut mettre l’Homme quelque temps au-dessus des anges, selon les Psaumes.

47. — Il dit violemment : Il faut aussi qu’il soit la mansuétude et la bonté (car nous faisons un alliage de la grâce et de la charité, pour construire avec cette nouveauté les hommes nouveaux, et dévorer par elle la réclamation juive, et le délire oriental, et la raison grecque).

48. — Où est-il, ce vivant tendre, ce cœur du ciel ?

49. — Et l’idolâtre du Dogme, qui rêvait du grand tombeau neuf d’un temple par dessus l’autre, me considéra étrangement, et me dit :

50. — Ce sera peut-être toi.

51. — Alors, je ris.

52. — Tu ne peux pas me prendre pour proie, car je n’ai rien de commun avec toi.

53. — Il ne m’entendit pas, comme ceux qui débordent de leur idée, et il dit :

54. — On traînera tous les hommes dans l’ordre nouveau à la suite du héros ensanglanté.

55. — Il faut qu’il soit fils de David, car cela est écrit.

56. — Et il faut qu’il meure vite pour que la grande promesse messianique de l’avenir se retourne sur lui et qu’on bâtisse sur son corps.

57. — Il faut qu’il meure pour qu’il puisse ressusciter.

58. — Selon les Ecritures, et aussi selon le rêve parsemé sur tous les pays de l’orbe romain au souffle des quatre vents de la distance.

59. — Car il y a, à l’ouest, les Syriens et les Phéniciens, et au nord les Grecs, et les Babyloniens à l’est, et les Egyptiens au sud, et tous ces gens-là se ressemblent en ce qu’ils croient à un dieu mourant et ressuscitant dans leurs bras, et qu’ils aiment ce mystère (encore qu’ils ne le voient que d’un œil, étant borgnes).

60. — Et s’il n’y avait pas les préparatifs du monde entier, notre religion nouvelle ne serait qu’une chétive erreur.

61. — Il nous faut leur arracher leur baptême de sang, et leur communion de chair.

62. — Et leur résurrection.

63. — Que les philosophes grecs aiment avec calme, car ils l’appellent l’immortalité de l’âme.

64. — Et prendre tout cela à notre compte de Juifs, en ayant fait un nouveau mélange.

65. — Car comment détruirai-je les machinations des idolâtres, si je ne les imite pas ?

66. — Je dis : Ce qu’on imite n’est pas détruit.

67. — Et aussi : Les Juifs, si fort qu’ils convoitent le Messie, ne voudront jamais croire qu’il est venu.

68. — Il dit : Le cri juif et aussi le sang de son agneau, sont le levain dans le mélange, mais si cette race bronche, on la mettra en dehors.

69. — Moi : C’est attenter à l’homme que de le murer dans tous les hommes au nom d’un seul péché. Et qui donc est-on pour se permettre de dire : personne, ici-bas, n’est innocent ! L’amour de Dieu nous rachètera, dis-tu. Ce sont là des amusements de princes.

70. — Et ce n’est pas après l’injustice, à savoir après la vie, qu’il faut faire la justice. C’est au fils de l’homme que la justice doit être bonne. Cela n’a-t-il point été écrit ? Au fils de l’homme, dis-je, non à son ombre future.

71. — Et tu mets par des formules un double fond aux sépultures.

72. — Tu assailles l’esprit par son trou, à savoir la peur de la mort, et tu le lapides avec les pierres tombales ; encore que tu prétendes, avec ta bouche, remplacer la mort par le mot d’éternité ; et tu fais de Dieu le complice de ceux qui persécutent.

73. — Dieu a dit — , dit Paul.

74. — Ce Dieu ! dis-je, il a dit : vous mourrez ! C’est le Serpent qui a dit : vous ne mourrez nullement. Annoncer aux hommes qu’ils ne mourront point, c’est souffler aux damnés d’ici-bas le conseil satanique de ne point vivre leur vie, et faire qu’ils perdent les pauvres jours qu’ils ont — sous l’enseigne d’un cadavre vivant.

75. — Mais, dit-il, un Dieu rachetant les hommes par ses souffrances, n’est-ce point merveilleusement beau ?

76. — Je dis : Démagogue !

77. — Et puis, ajouta-t-il, si notre foi se met dans l’au-delà, les puissants du monde ne seront pas gênés, et nous laisseront tranquilles.

78. — Tu te trompes, dis-je, en prétendant coudre la vérité à des lois fantômes. Tu montreras seulement combien l’amour des hommes pour Dieu est un sentiment contre nature.

79. — La réponse fut : C’est pour cela que nous disons : C’est surnaturel.

80. — Il s’écria et dit : Il est écrit : J’abolirai la sagesse des sages et j’anéantirai la science des intelligents. Dieu n’a-t-il pas fait voir que la sagesse de ce monde n’était qu’une folie ? Et il lui a plu de sauver par la folie que nous prêchons, ceux qui croiraient.

81. — Je dis : Sophiste !

82. — De loin, il semblait un prophète d’Israël, mais de près, montait de sa robe l’odeur du calcul grec.

83. — C’est défendu, dis-je, de donner à la justice une autorité qui roulera en poussière lorsque l’homme ouvrira les yeux.

84. — Car il les ouvrira.

85. — Il reconnaîtra que la grandeur de l’homme est de l’homme ; il reconnaîtra aussi que la grandeur des hommes est des hommes.

86. — Et c’est ainsi que le destin de l’homme et celui des hommes seront pareils de ressemblance.

87. — Ton changement n’est pas un changement, et tu te donnes beaucoup de mal pour rien.

88. — Il me répondit : Tu ne sais pas ce que tu dis.

89. — Il faut une loi fixe, appuyée sur des cérémonies inexorables,

90. — Qui forgent l’homme.

91. — Et soient tenues par des dirigeants.

92. — Les mystères intérieurs ne se voient pas publiquement, et tout est là.

93. — Il faut la force visible et l’accord avec les rois, pour faire marcher le monde.

94. — Et des clous pour fixer sur la terre l’appareil céleste.

95. — Et il faut aussi une croix, venant des Psaumes, pour l’y clouer !

96. — Il me dit, celui qui avait besoin de mon corps assassiné pour le prendre dans ses bras et le mettre au centre de sa mythologie :

97. — Veux-tu être le roi des rois ?

98. — Je dis : Parmi mes disciples, on ne trouvera jamais un soldat des rois et de l’ordre établi. Mais parmi mes disciples, on trouvera les soldats de la justice.

99. — Et Paul me dit à moi, Jésus : Tu ne sais pas ce que tu dis. Moi qui suis à la fois Juif, Grec et Romain, je suis plus fort que toi. Va-t’en prêcher.

100. — Il était de l’espèce des bâtisseurs.

101. — Qui réussit sur la terre.

102. — C’était un pharisien immense.

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