Jésus
CHAPITRE VII
1. — Le voyage à Jérusalem.
2. — Pour aller à Jérusalem il faut franchir des plaines et des montagnes.
3. — Et il y a encore bien d’autres plaines et bien d’autres montagnes dans le monde.
4. — Ma maison est le village du village. Mais mon pays n’est que le village de la Terre.
5. — Au lieu qui est entre la mer et Ephraïm, nous avons vu une déesse Astaroth en bois qui était dans l’enclos d’un homme syrien appelé Ananias.
6. — Cette déesse, qui était d’une forme parfaite, était vêtue d’un grand manteau bleu plein d’étoiles. Elle avait une couronne d’or. Elle tenait dans ses bras un petit enfant divin, parfait lui aussi, et aussi couronné d’or. Et au-dessus d’eux était l’oiseau divin. Le tout, bleu et or, dans l’enclos d’Ananias.
7. — Nous sommes passés devant l’enclos, et il y avait mes grands compagnons de voyage, et mon père, et il y avait là surtout ma mère, avec laquelle j’étais, en dernier.
8. — Tous les Juifs se détournèrent, très fort, de cette idole.
9. — Et ma mère aussi.
10. — Mais tout doucement.
11. — Et ma mère soupira, et dit : C’est joli ! Elle a bien de la chance.
12. — Tout en se détournant. Car c’était une bonne Juive.
13. — Abisçaï, qui était Carmélite, dit : J’ai vu un jour (qu’il soit ôté !), des idolâtres qui officiaient, et devant l’autel se tenait un prêtre de la Perse, qui présentait la coupe, et buvait, et présentait une rondelle de farine cuite sans levain, et l’avalait, disant : C’est le corps de Dieu, qui est Mithra, que j’avale de la sorte.
14. — Nous tous, qui étions là, pieusement, nous crachâmes.
15. — Le Temple.
16. — Pour la première fois, je vis sa large figure carrée.
17. — Il était neuf, et plus que neuf : pas tout à fait fini.
18. — J’entrai dedans ; le temple que le suppliant essaye d’animer à lui tout seul.
19. — Et dont le grand vide parle encore de cérémonies.
20. — Dans le Temple, vinrent des scribes, des prêtres, des sacrificateurs, qui dogmatisaient et discutaient.
21. — Et disaient que l’astronomie a été enseignée par Abraham à la Babylonie et à l’Egypte, et la philosophie par Moïse aux Grecs.
22. — Et arriva aussi un homme nommé Elkania et qui était un grand docteur en Israël.
23. — Cet Elkania disait : Il y a eu les interminables Egyptiens, puis les rapetisseurs grecs.
24. — Dont les dieux sont en grande confusion entre eux.
25. — Car ils sont l’œuvre de poètes qui ne savent que savoir tout à moitié, et que tourner autour de la vérité.
26. — Et ce sont des jeux d’élégance et d’arrangement que font ces gens-là sur le dessus des choses. Et ils se contentent de peu, se contentant du sourire de l’apparence, et de la récolte du moment présent. Et ils bouchent leur vide par de l’éloquence et de la poésie, et des masques de clarté.
27. — Mais pendant ce temps-là, l’humanité est taillée en pièces, et les corps humains continuent à souffrir et à être violentés.
28. — Il y a eu Platon qui a édifié un univers de rayonnements sur l’humanité d’un sage appelé Socrate.
29. — Mais il a fait cela dans le plan du ciel, non dans le plan de la vie.
30. — Il y a eu les Romains qui semblent des hommes découpés sur l’image des Grecs ; mais trop découpés tout autour, et qui ne sont que les seigneurs de la législation et des affaires.
31. — Mais il y a le Dieu d’Israël, qui est l’homme-justice sur le monde !
32. — Or mon père et ma mère me cherchaient partout, car étant rentré dans le Temple alors qu’ils s’en allaient, je m’étais attardé pour écouter ces docteurs.
33. — Et ma mère ayant dit à mon père : Je te dis qu’il est passé par là ; et mon père ayant répondu : Alors, allons-y, ils retournèrent au Temple, et y entrèrent avec leurs paquets au moment où les scribes et les sacrificateurs m’ayant vu les écouter, m’interrogeaient,
34. — Et au moment où je répondais :
35. — Il y a partout des idoles qu’il faut jeter à bas.
36. — Ces hommes me demandèrent : Si on te dit : Adore ceci, ou cela ?…
37. — Je dis : Je répondrai : Non !
38. — Pourtant, si c’est adorable ?
39. — Je commencerai par répondre non. Et puis, je chercherai l’adoration.
40. — Elkania dit alors ceci sur moi : En cet enfant est la grande âme d’Israël.
41. — Car il faut toujours recréer entièrement son cœur.
42. — Ainsi, sa voix emplissait le Temple de la parole que je m’étais déjà dite à moi-même.
43. — Et cette parole fut à jamais bâtie.
44. — Que mon intention soit toujours un commencement où je tombe, comme le geste armé d’Abraham !
45. — Sur le chemin du retour, au carrefour où est le chemin tirant sur Ephrat qui est Bethléem, je profitais du soleil et je me disais : la vie est belle à cueillir des yeux.
46. — Mais je regrettai cette joie, car un aveugle passait.
47. — Pauvre homme, de quoi souffres-tu ?
48. — Du silence que je sème. De ce que les rires des autres se sauvent toujours devant moi comme des oiseaux, et m’échappent.
49. — Je lui demandai : Que voudrais-tu ?
50. — L’aveugle me répondit : Que tu me souries.
51. — Il leva son front illuminé de l’éclat que forgeait le soleil, et je tremblai devant celui qui, plus que moi, savait et aimait la lumière.
52. — Et je compris pourquoi ce sont les plus persécutés et les plus vaincus, qui ont vu la justice.
53. — Tous les temples qui foulent le sol font de celui qui est détruit, le temple de lumière.
54. — Et les justes sont des mutilés.
55. — Et il y avait des gens qui étaient là, qui, les yeux ouverts, regardaient cet homme, et qui ne voyaient point tout cela.
56. — Sur le chemin du retour, plus tard, étant fatigué, je baissais la tête.
57. — A cause des sacrifices que j’avais vus.
58. — J’avais un souvenir malade, de tuerie, d’entrailles qui brûlent, et de graisse qui coule et fume.
59. — Comment se fait-il que la prière fraye avec ces ignobles fumées ?
60. — Et la vie avec ce déchirement de viandes ?
61. — Et là aussi, les gens avaient regardé cela, et leurs yeux leur servaient à être aveugles.
62. — Est-ce donc qu’Israël vaincu, étouffé et bâillonné, frappe sans relâche les bêtes ;
63. — Pour faire tout de même une œuvre empourprée ?
64. — De laquelle l’Eternel a dit pourtant qu’il ne se souciait pas beaucoup.
65. — Le sacrifice qui compte, c’est celui qu’on fait avec soi-même.
66. — Quand on fait ruisseler la vérité,
67. — En poignardant les symboles dans son cœur.